Sanctions économiques contre la Russie / Europe : comment gérer l’Ukraine ? / n°235 / 6 mars 2022

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SANCTIONS ÉCONOMIQUES CONTRE LA RUSSIE

Introduction

Philippe Meyer :
  Ces derniers jours, les Occidentaux, Europe et États-Unis en tête, ont multiplié les annonces afin de dissuader Moscou de poursuivre ses assauts contre l'Ukraine. Même la Suisse a abandonné sa neutralité pour les appliquer, or elle est la première place mondiale pour le négoce d'hydrocarbures russes. Les sanctions frappent principalement les secteurs de la finance, de l'énergie et des transports. Un arsenal qui selon le président Biden « dépasse tout ce qui a jamais été fait ». En 2014, après l'annexion de la Crimée, la guerre dans le Donbass et le crash du vol MH17, les 27 avaient déjà fait le choix de mettre en place des sanctions. Une stratégie qu'ils répliquent aujourd’hui avec des sanctions plus lourdes. Les réserves de la Banque centrale russe placées dans l'Union européenne, mais également dans les pays du G7, sont gelées afin d'empêcher toute transaction ou rapatriement de ces liquidités vers la Russie. Des personnalités russes de premier plan comme Vladimir Poutine, son chef de la diplomatie Sergueï Lavrov, de hauts gradés militaires et des oligarques voient leurs actifs financiers détenus dans l'UE gelés. Au total, 488 personnes et entités sont visées pour le moment. Les exportations de « technologies cruciales » de l'Union européenne vers la Russie sont suspendues. Cela touche les composants électroniques, les logiciels, les équipements de l'industrie aéronautique et spatiale ou des pièces utiles au raffinage pétrolier. L’espace aérien européen est fermé aux avions et aux compagnies russes depuis le 27 février minuit. Enfin, Bruxelles a banni les médias russes d'information Russia Today et Sputnik tous deux financés par Moscou. Mardi, l'UE a débranché sept banques russes du système financier international Swift. Elle n’a toutefois pas inclus deux gros établissements financiers très liés au secteur des hydrocarbures : le gaz russe représente 40 % des importations de gaz de l'UE, et un peu plus de 20 % de sa consommation énergétique. Certains pays européens ont pris des mesures spécifiques nationales, comme l'Allemagne qui a suspendu dès le 22 février le projet de gazoduc Nord Stream 2, déjà construit mais pas encore en fonctionnement. Exploité par Gazprom il relie la Russie à l'Europe par l'Allemagne. Pour l'instant, la Chine et l'Inde n'ont pas rejoint les appels occidentaux à sanctionner l'économie russe. Les pays arabes, dépendants du blé russe, restent discrets.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a reconnu lundi que les sanctions prises par les Occidentaux étaient « lourdes » et « problématiques », tout en assurant que la Russie avait « les capacités nécessaires pour compenser les dégâts ». La Russie dispose de réserves de change de 630 milliards de dollars (560 milliards d'euros), selon les chiffres de l'assureur-crédit Coface, alimentées par la hausse des prix du gaz et du pétrole. Sa dette est extrêmement réduite : elle pesait seulement 17,5% de son PIB fin octobre 2021, quand en France, elle dépasse les 116,3%. La Russie représente 1,3 % des exportations françaises et 1,7 % de ses importations, principalement de gaz. L’impact le plus important sur l’économie française portera sur les prix de l'énergie.

Kontildondit ?

Richard Werly :
Quand il s’agit de sanctions, il y a trois questions à se poser.
La première concerne la capacité du ou des sanctionneurs à les mettre en œuvre. De ce côté, on peut dire que pour l’instant, ce défi a été relevé, puisque l’UE, les Etats-Unis, le Japon, le Canada, la Corée du Sud se sont tous mis d’accord et arrivent à fonctionner de concert.
La deuxième concerne la cible des sanctions : qui en paie véritablement le prix ? Ici, s’agit-il de l’appareil politique poutinien, c’est à dire de Poutine lui-même, d’un certain nombre de personnalités politiques et militaires, mais aussi de certains oligarques. Là aussi, il semble que grâce à la mise en place d’une Task Force au niveau européen et américain, et également au niveau national en France, il y ait eu un ciblage assez précis, permettant de penser que les sanctions paralyseront avant tout l’appareil de pouvoir autour de Vladimir Poutine, plutôt que la population russe. Car si c’était la population qui est touchée, le risque qu’elle se soude autour de son chef est alors très grand.
La troisième concerne le calibrage : le sanctionneur ne paie-t-il pas plus cher que la cible ? Là aussi, beaucoup d’efforts ont été faits.
Si l’on examine ces trois critères, on peut dire que pour le moment, l’épreuve des sanctions a été passée. Maintenant, il va falloir voir si elles fonctionnent. Et là aussi, trois éléments sont à considérer.
Le premier concerne la Banque Centrale et les circuits financiers. A partir du moment où l’on interdit à la Banque Centrale d’un pays de se refinancer au sein des marchés de capitaux internationaux, on pose d’extrêmes difficultés. Tous les yeux sont donc tournés vers la Chine : accordera-t-elle un prêt massif à la Russie ? Pour l’instant, cela ne semble pas être le cas.
Les sanctions parviendront-elles à dissocier les oligarques russes de Vladimir Poutine ? Et Poutine lui-même est-il sensible aux arguments que peuvent lui faire entendre les oligarques ? Tous les gens avec lesquels j’ai pu m’entretenir à ce sujet me disent qu’en réalité, Vladimir Poutine se fiche du sort des oligarques, que c’est ailleurs qu’est son pouvoir. Que M. Abramovich, propriétaire du club de football de Chelsea, lui dise de se calmer n’a apparemment aucun poids sur le président russe.
Enfin, il y a la question de l’unité. L’unité européenne est là, en tous cas pour le moment. La décision la plus symbolique de ce côté fut celle des Allemands, qui ont annoncé qu’ils ne certifieraient pas le gazoduc Nord Stream 2. On peine à se représenter l’ampleur de cette décision, car l’infrastructure derrière Nord Stream 2 est absolument colossale. Mais qu’en sera-t-il quand la conséquence sur les économies européennes se fera sentir ?
Un mot enfin sur la Suisse. Tout le monde s’étonne qu’elle ait renoncé à sa neutralité. Mais ce n’est arrivé qu’à cause des pressions américaines. Le Conseil fédéral aurait largement préféré ne pas appliquer ces sanctions dans leur intégralité, mais il n’a pas eu le choix. Si la Suisse ne les avait pas appliquées, elle se serait elle-même mise au ban de la communauté financière internationale.
A ce stade, l’épreuve des sanctions a été bien menée en Occident, mais il reste le défi du calendrier : est-ce que cela fonctionnera, et surtout, arriverons-nous à le supporter ?

Lucile Schmid :
Les sanctions économiques se sont beaucoup développées au XXème siècle comme arme de rétorsion, pour éviter une entrée en guerre. C’est toujours la même logique qui est à l’œuvre en ce moment. Le régime de ces sanctions économiques est bien plus fort et efficace que ce qui avait été anticipé. Beaucoup de commentateurs ont dit avec force que c’était là l’émergence d’une « Europe puissance ». Pourquoi pas, mais étant données les circonstances de cette émergence, cette Europe puissance est très fragile. Cette guerre-éclair lancée par Vladimir Poutine n’a pas réellement été anticipée, nous ne voulions pas y croire, et elle nous montre bien le dilemme auquel nous faisons face. Nous mettons en œuvre des sanctions économiques fortes, mais quand il s’agira de monter en puissance sur la question du gaz par exemple, de faire des sacrifices économiques et financiers, serons-nous prêts à les faire ? Ces questions restent aujourd’hui posées à l’UE, même si le consensus lors de « premier round » est tout à fait remarquable.
Pour autant, cela a-t-il des chances d’arrêter Vladimir Poutine ? Là aussi, la question est loin d’être résolue. D’autant plus que nous ne connaissons pas la manière dont d’autres acteurs russes vont réagir et influencer le président russe. Richard parlait des oligarques et du peu d’influence qu’ils avaient sur Poutine, un certain nombre de commentateurs disent qu’il faut étudier la façon dont les classes moyennes russes vont réagir. Elles auraient d’une certaine façon troqué leurs libertés civiles contre une certaine docilité, ou du moins une absence de résistance manifeste au pouvoir russe. Est-ce vrai ? Nous en sommes vraiment réduits à un certain nombre d’interrogations, sans mesurer la façon dont le pouvoir fonctionne vraiment en Russie.
Sur la question énergétique, nous ne sommes pas tous égaux en Europe face à la dépendance au gaz russe. Richard rappelait à quel point la décision allemande à propos de Nord Stream 2 était courageuse ; par ailleurs, la décision de Berlin d’envoyer des armes à l’Ukraine constitue elle aussi un changement de paradigme complet. Toute une série de positions géopolitiques traditionnelles sont en train de bouger, comment cela évoluera-t-il ? Jusqu’à présent, tout cela reste encore largement dans la sphère de la communication, les décisions sont prises sur le papier, qu’en sera-t-il dans les faits ? Que se passera-t-il quand nous ressentirons la réalité de nos décisions ?
Enfin, on voit bien que les calendriers sont décalés, entre celui de Vladimir Poutine et de son invasion de l’Ukraine, et celui des mesures de rétorsion, dont les effets seront à plus long terme. La détermination européenne tiendra-t-elle dans la durée ? Poutine fait le pari que non, tandis qu’il s’efforce de prendre le contrôle de l’Ukraine aussi rapidement que possible.

François Bujon de l’Estang :
Les sanctions économiques sont un sujet à propos duquel il y a beaucoup de préjugés. On imagine très bien une entrée dans le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert : « Sanctions : ne servent à rien. S’en gausser. ». Mais c’est excessif. Les sanctions sont utiles, et parfois elles fonctionnent. L’idée que « ça ne marche jamais » est fausse, c’est une espèce de tarte à la crème. Ce sont les sanctions qui ont permis de mettre fin au régime d’apartheid en Afrique du Sud, ou qui font très mal au régime iranien. Ce n’est pas pour rien que les Iraniens demandent la levée des sanctions comme condition préalable à toute négociation.
Il est vrai qu’il y a aussi des contre-exemples, où les sanctions n’ont rien empêché. On pense évidemment à l’annexion de la Crimée en 2014, où elles n’ont absolument pas fait fléchir le régime russe. Cette fois-ci, c’est différent. Certes, elles ne méritent peut-être pas toutes les hyperboles par lesquelles on les a volontiers décrites ces derniers jours : « dévastatrices » selon Joe Biden, « massives et douloureuses » … Le paquet de sanctions qui est en train de se mettre en place vise à frapper l’économie russe en son cœur, c’est à dire à neutraliser le système financier. C’est assez nouveau : l’exclusion des banques russes du système SWIFT, le gel des actifs de la Banque Centrale russe dans les pays hors Russie, tout ceci ne peut qu’entraîner à terme une asphyxie de l’économie russe. On en voit d’ailleurs les premiers effets, avec les files d’attente devant les distributeurs d’argent liquide. Il peut y avoir une panique bancaire, le rouble a déjà perdu environ 50% de sa valeur, la bourse de Moscou est fermée, et le restera longtemps.
La non-mise en œuvre de Nord Stream 2, les sanctions financières et celles touchant la Banque Centrale, et puis toutes celles qu’a mentionnées Philippe sur les logiciels, les semi-conducteurs, la haute technologie … Tout cela sera extrêmement contrôlé, et on peut faire confiance aux Américains et à Bruxelles pour être très rigoureux. Tout cela est nouveau, et il s’agit du fond.
Mais la forme aussi est inédite. Les pays européens se sont décidés très rapidement, et unanimement. Il ne faut pas se faire trop d’illusions cependant, car la Russie a de quoi tenir sans doute très longtemps, elle avait déjà anticipé certains dispositifs, comme une alternative à SWIFT (très insuffisante malgré tout). Elle a eu la prudence d’accumuler des réserves de change considérables. Mais de toutes façons, si asphyxie de l’économie russe il y a, ce sera un processus très lent et progressif. Il faut par conséquent que le front occidental reste uni, il faut également prévoir une « police » rigoureuse sur l’application des sanctions, et ne pas oublier que l’objectif principal, en dehors de l’économie, c’est l’opinion publique russe, et les oligarques. Chez ces deux possibles sources de pression sur Vladimir Poutine, que produiront les sanctions ?

Jean-Louis Bourlanges :
Quand je songe à ces sanctions, il me revient à l’esprit une caricature de Forain, parue pendant la guerre de 1914-1918. On y voyait deux soldats discutant dans une tranchée :
« Pourvu qu’ils tiennent ! 
- Qui ça ?
- L’arrière. »
Je crois qu’on en est là. Tout un peuple est promis à des souffrances inouïes, dont nous n’avons encore à peu près rien vu. Les jours qui viennent vont sans doute être terribles. Même si le degré d’horreur n’atteint pas ce qu’on a pu voir à Grozny ou à Alep, si l’on se base sur les précédentes opérations de même nature menées par l’armée russe, on a tout lieu de croire que ce sera absolument terrifiant. Pour des raisons très solides, nous n’intervenons pas dans cette guerre : rien ne serait plus dangereux que de transformer ce conflit en troisième guerre mondiale. Ces raisons sont fortes, mais bien peu sympathiques. Nous nous retrouvons un peu dans la situation du film Fort Alamo. Nous savons qu’à quelques milliers de kilomètres de nous vont mourir des gens qui défendent leur patrie, ainsi que la liberté et les valeurs des Européens.
Ce « pourvu qu’ils tiennent ! » n’a rien d’évident. Je suis moi aussi réconforté sur la façon dont les sanctions ont été décidées, à savoir par l’unité profonde, et entièrement nouvelle. Notamment la conversion de nos amis allemands, sous l’impulsion du nouveau chancelier, à une logique de confrontation dont il assume pleinement les conséquences. C’est très nouveau. J’ai vu récemment mes collègues des affaires étrangères du Bundestag. Nous avions eu une conversation plutôt formelle pendant la séance de travail, mais pendant le dîner qui a suivi, la détente aidant, je leur avais demandé quand ils comptaient sortir de ce nanisme géopolitique. Je leur disais qu’ils ne pourraient pas continuer à dire qu’ils voulaient surtout ne rien faire. J’avais été très sensible au fait que manifestement, mon propos était bien reçu dans les différents partis. La décision d’Olaf Scholz a confirmé ce changement profond de posture.
Nous avons donc l’unité, la solidarité, la rapidité et l’ampleur, avec le gel des avoirs de la Banque centrale, qui est à la limite de l’embargo. Mais au-delà ce tout cela, je suis très préoccupé. D’abord parce qu’il me paraît hors de question que ces sanctions fassent dévier M. Poutine de son objectif final. Sa capacité stratégique a été mise au défi, il ne peut que surenchérir. Il a les moyens militaires de le faire, il a l’assurance que les forces occidentales n’entreront pas en guerre, il ne va donc pas se priver. Donc, au moins à court terme, il va réaliser son projet. Nous sommes nécessairement dans le long terme. Comment le rapport de forces évoluera-t-il ? D’abord, nous sommes nous aussi très vulnérables. Sur le blé, sur les engrais, sur une quantité de matières premières rares … Nous sommes donc exposés à une situation où il va nous falloir encaisser, faire des sacrifices. D’autre part, je ne sens pas encore que la conscience européenne et occidentale est engagée sur un effort de longue haleine et de sacrifices. Nous sommes un peu dans la situation décrite dans le testament de Richelieu : quand il s’agit de se mobiliser les Français sont tout feu tout flamme, et par la suite, ça se gâte … Les Allemands sont peut-être plus conscients et engagés sur la durée que nous le sommes, mais cela reste à démontrer.
Face à Poutine, nous avons trois désavantages. D’abord une faiblesse idéologique : en France, environ une moitié de la population s’est montrée sensible à Poutine. Or être sensible à Poutine, c’est être sensible à ce qu’il y a de pire en nous : le culte du chef, de la violence, le nationalisme le plus étriqué, etc. D’autre part, nous sommes en pleine incertitude quant à l’universalité de nos valeurs, on le voit avec des phénomènes comme le wokisme. Ensuite, sur le plan stratégique : qu’attendons-nous exactement des sanctions ? Que pouvons-nous en obtenir ? Et à quel moment s’arrêtent-elles ? Nous n’en avons pas la moindre idée. Pour le moment, il semble que M. Poutine veut toute l’Ukraine ; on ne voit pas comment une solution intermédiaire pourrait émerger. Et même si elle émergeait, on ne voit pas comment elle pourrait à la fois satisfaire Poutine et être acceptable par M. Zelensky et par les Ukrainiens. Enfin, une incertitude de la volonté : tiendrons-nous dans la durée ?
Nous avons changé de monde, mais nous n’en sommes qu’au début. Il va nous falloir accomplir une révolution intellectuelle et surtout morale, accepter les logiques de contraintes, de mobilisation et d’efforts, si nous voulons rester dignes de ce que nous prétendons être. Il est plus nécessaire que jamais de garder à l’esprit la phrase de Thucydide : « il n’y a pas de bonheur sans liberté, ni de liberté sans vaillance ». Et la vaillance n’est pas une valeur instantanée, mais à long terme. Le plus dur est devant nous.

EUROPE : COMMENT GÉRER L’UKRAINE ?

Introduction

Philippe Meyer :
Au-delà des sanctions économiques, la journée du dimanche 27 février a connu une succession de tournants historiques pour l’Europe : le premier a été celui de l'Allemagne qui a, pour la première fois depuis 1945, décidé de livrer des armes à l'Ukraine et promis d'investir massivement dans sa propre défense : 100 milliards d’euros. La Suède a, elle aussi, rompu avec sa politique de ne pas livrer d'armes à un pays en guerre. La dernière fois, c'était en 1939, lorsqu'elle avait assisté la Finlande attaquée par l'URSS. Dix-neuf pays européens, dont la France, la République tchèque, la Roumanie, le Portugal ou la Grèce ont aussi annoncé leur volonté de faire parvenir des armes aux Ukrainiens. Décidées de façon bilatérale, ces livraisons seront financées par l'Europe, via la « Facilité de paix ». Les États membres ont accepté de débloquer 450 millions d'euros pour cela et 50 millions d'euros de plus pour la fourniture d'équipements de protection et de carburant l'Ukraine. C’est la première fois que ce mécanisme est utilisé à cette fin et la somme allouée par cet instrument de politique étrangère européenne est inédite. Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki a appelé à « doubler les dépenses pour la défense en Europe ». « Nous avons besoin d'une armée européenne forte, a-t-il déclaré. Ce n'est pas impossible et cela permettra à l'Europe de jouer enfin un rôle majeur. »
Au soutien militaire, les Européens ajoutent une aide humanitaire avec l'accueil des réfugiés aux frontières de la Pologne, de la Slovaquie, de la Hongrie et de la Roumanie, ainsi que dans les pays plus à l’Ouest. Selon un pointage de l’ONU réalisé vendredi, 1,2 million de réfugiés ukrainiens ont déjà fui leur pays, tandis que l’UE prévoit que plus de 7 millions d'Ukrainiens pourraient être déplacés en cas d'aggravation du conflit. Le courant de solidarité envers l'Ukraine se manifeste également par de très nombreux défilés populaires de Berlin à Prague et de Vilnius à Athènes.
Le 28 février, le président Zelensky a demandé que son pays puisse bénéficier d’une procédure accélérée pour intégrer l’UE, avant de signer une demande officielle d’adhésion. Une demande qu’il a réitérée le lendemain dans un discours face au Parlement européen, où il a reçu une standing ovation. Un collectif de 116 personnalités a demandé d'envoyer un signal fort à la population ukrainienne, en reconnaissant officiellement l’Ukraine comme État candidat à l’Union européenne. Selon un sondage de l'institut ukrainien Rating Group publié le 17 février 2022, 68 % des sondés soutiennent l'adhésion à l'Union européenne. En 2015, l'UE a reconnu « les aspirations européennes de l'Ukraine » et s'est félicitée « de son choix européen ». En 2017, le Parlement ukrainien a voté une loi faisant de l'adhésion à l'UE un des objectifs stratégiques de la politique étrangère et sécuritaire de l'Ukraine. Cette loi, entrée en vigueur en 2019, inscrit cet objectif dans la Constitution du pays. Toutefois, un tel élargissement des Vingt-Sept divise.

Kontildondit ?

François Bujon de l’Estang :
Les liens de l’Ukraine avec l’Union Européenne sont au cœur du drame actuel. L’aspiration à rejoindre l’UE est à la racine de la nouvelle Ukraine, celle qui s’est progressivement forgée au fil de ces dernières années, avec la Révolution orange puis Maïdan. Cet objectif d’entrée est inscrit dans la Constitution, au même titre que celui d’entrée dans l’OTAN. Et évidemment, cela revient à agiter un drapeau rouge sous les yeux de Moscou, pour qui l’UE n’est rien d’autre qu’une antichambre de l’OTAN.
C’est l’initiative de l’UE, avec la proposition d’accord d’association en 2014 (traité de Vilnius) qui a déchaîné la révolution de Maïdan. À l’époque, M. Ianoukovitch y faisait obstacle, et c’est ce qui a déclenché l’insurrection, ainsi que l’émergence de l’Ukraine nationaliste actuelle, que M. Poutine veut réduire. Il dénie à l’Ukraine le droit à l’existence en tant que nation, et veut refaire la « Grande Russie », comprenant la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine.
On peut s’interroger sur les erreurs qu’ont pu commettre les Européens lors de la préparation de l’accord d’association, autour de 2014. Je me rappelle qu’à l’époque, les gouvernements de Paris, Londres ou Berlin n’ont pas fait suffisamment attention à ce qui était en train de se préparer, à l’initiative de la Pologne et des Etats baltes. On ne s’est pas demandé comment faire avaler cet accord à Moscou. Il ne s’agit pas de refaire l’Histoire, mais nous avons une part de responsabilité dans cette affaire. C’était tout à fait inacceptable pour la Russie, qui ne veut pas voir l’Ukraine s’éloigner, a fortiori dans la direction de l‘Europe.
Ceci étant dit, depuis le 24 février, l’UE a plutôt bien réagi. On l’a vue passer successivement de l’incrédulité à l’inquiétude, puis à la sidération et enfin à la condamnation, unanime et sans états d’âme. L’attitude de l’Allemagne a été cruciale, on ne saurait insister trop sur l’importance de son changement de paradigme. Une immense vague de solidarité à l’égard de l’Ukraine s’est levée en Europe et c’est très compréhensible.
Ceci étant dit, il faut garder la tête froide pour l’avenir. M. Zelensky joue ses cartes et demande à ce qu’on reconnaisse à son pays le droit à la candidature à l’Union. C’est légitime, mais il faut se garder de toute précipitation, car l’Ukraine est embarquée dans une guerre dont on ne saurait prévoir l’issue.
Normalement, pour reconnaître la qualité de candidat à l’adhésion d’un nouvel Etat, il faut un certain nombre d’éléments, dont un qui pose ici de sérieux problèmes : ne pas avoir de conflit territorial avec ses voisins. Nous avons fait une exception pour Chypre, dont nous nous mordons encore les doigts aujourd’hui. D’autres formules seraient possibles, comme celle de l’association. Il faut tenir compte des opinions publiques européennes. Bien sûr, il y a la vague de sympathie pour le peuple ukrainien, mais il y a également une énorme fatigue des opinions publiques à l’égard de l’élargissement, notamment vers l’Est. La Moldavie et la Géorgie ont emboîté le cas à l’Ukraine et fait elles aussi acte de candidature. La Moldavie est en Europe, mais pas la Géorgie. Cela pose problème. Et enfin, quelle sera la situation de l‘Ukraine dans quelques semaines ? S’agira-t-il d’un pays démembré, coupé en deux, annexé à la Russie et doté d’un gouvernement fantoche ? Tant que nous n’y verrons pas un peu plus clair, il faut rester très prudent.

Richard Werly :
Les journalistes ont un avantage sur les diplomates : celui d’être dans l’instant, au lieu de devoir préparer l’avenir. En tant qu’observateur, je m’avoue assez énervée par la tendance généralisée à dire : « si on avait su, on aurait fait mieux ». Seulement voilà, on s’est trompés. « On », ce sont les gouvernements, les diplomates et les technocrates de l’UE. Et désormais il est trop tard. Il ne sert à rien de passer son temps à se flageller sur le thème « si nous avions mieux traité les Russes, nous n’en serions pas là ». C’est peut-être vrai, mais enfin nous en sommes là, ayons le courage de regarder la situation et l’avenir. La phase de nostalgie qui nourrit actuellement quantité de commentaires sur les radios et les télévisions n’est à mon avis plus de mise. Il faudra tirer un bilan de tout cela, mais plus tard, avec du recul.
L’élargissement de l’UE ne peut pas être un mécanisme automatique pour répondre à des crises. Il existe une boîte à outils, il s’agit des accords bilatéraux que la Suisse a passés avec l’UE depuis la fin des années 1990. Plus récemment, elle a décidé de rejeter une offre de l’Union et d’en faire un accord-cadre, mais pendant 20 ans, la Suisse a très bien fonctionné sur la base d’une centaine d’accords, couvrant tous les domaines de la vie économique. Pourquoi ne pas utiliser cette boîte à outils, et la proposer à l’Ukraine ou à la Moldavie ? L’Union européenne sait faire fonctionner ces accords bilatéraux ; certes cela nécessite beaucoup de travail et de négociations, mais que je sache, les fonctionnaires européens sont faits pour cela.
Dans le conflit actuel, je vois tout de même une chance. Elle consiste en ce que nous voyons que les valeurs européennes, à savoir l’Etat de droit et la démocratie, sont attaquables et attaquées. C’est une chance car on n’est jamais plus solides que quand on a un ennemi. Évidemment, il y a un risque d’être vaincu mais la cohésion est là. Peut-être que Vladimir Poutine sera celui qui aura fabriqué l’Europe de demain.
En revanche, j’ai aussi une inquiétude quand j’entends le débat sur une éventuelle armée européenne. Quand ils en parlent aujourd’hui, les Polonais sont-ils vraiment sincères ? Personnellement j’en doute. Je reviens de Varsovie, et franchement, j’ai plutôt l’impression que tout ce qui les intéresse, ce sont les Etats-Unis et l’OTAN. Quand ils parlent d’armée européenne, c’est pour faire plaisir à Bruxelles ou peut-être à la France. Charles Michel a dit que la pierre angulaire de la sécurité européenne, c’est l’OTAN. Nous ferions mieux de réfléchir à un partage des rôles plus équilibré, avec une alliance atlantique qui reste le parapluie sécuritaire incontournable, et une UE qui devrait mieux faire ce qu’elle fait : l’économie, la prospérité et le respect de l‘Etat de de droit et de la démocratie.

Lucile Schmid :
La situation est avant tout mouvante. Nous sommes convaincus qu’il nous faut faire un pas de plus vers l’Ukraine. Parce qu’elle appelle à l’aide bien sûr, mais aussi parce qu’il faut montrer à Poutine notre détermination. Nous savons qu’il faut faire ce pas de plus, mais nous ne savons pas en revanche ce que ce pas va signifier par rapport à la suite du conflit. Comme le disait François, nul ne saurait dire si dans quelques semaines, il n’y aura pas en Ukraine un gouvernement à la botte de Moscou. L’un des enjeux de cette crise n’est-il pas de dire que nous ne reconnaîtrons jamais un gouvernement fantoche ? Il s’agit de ne plus accepter, comme nous l’avions fait avec la Crimée. Nous avions laissé faire. Certes, nous avions adopté des sanctions, mais nous avions aussi laissé la Chine les rendre ineffectives.
Au niveau européen, il y a une diversité de situations. Comment pouvons-nous prendre en considération que nous ne sommes pas tous dans la même situation géographique vis-à-vis de la Russie ? Les pays baltes, la Pologne, l’Allemagne, sont des des situations très différentes de la France, de l’Espagne ou de l‘Italie.
Par ailleurs, l’arsenal que nous avons à notre disposition pour une entrée dans l’UE n’a rien à voir avec le contexte géopolitique de crise actuel. On nous dit qu’adhérer à l’UE est le résultat d’années de négociations, qu’il faut des économies d’un certain type, certaines normes, alors qu’un pays est en train d’être détruit, et que des civils se font tuer. C’est surréaliste. Comment pouvons-nous établir avec l’Ukraine une discussion qui soit politique et stratégique, alors même que jusqu’à présent cela relavait de l’économie, des finances et des normes ?
Cette crise repose la question de la puissance européenne. Jusqu’à présent, il s’agissait d’une puissance d’influence, normative et économique. Il s’agissait de mettre des amendes aux GAFAM. Aujourd’hui, il s’agit de la puissance « à l’ancienne », traditionnellement portée par les Etats, et jamais par un ensemble géopolitique comme l’UE. Cela nous pose la question de la hiérarchie des critères de la puissance européenne.

Jean-Louis Bourlanges :
D’abord, j’aimerais m’associer à ce qu’a dit Richard sur la nostalgie et le passé. Il y a eu des maladresses, c’est indéniable, les conditions dans lesquelles l’accord d’association a été négocié, puis très mal communiqué à Moscou … Tout cela était raté. Mais je trouve que les deux arguments qui nous sont reprochés sont indéfendables.
D’abord, l’OTAN. J’aimerais qu’on arrête avec ce discours, que tient M. Zemmour (qui répète mot à mot la rhétorique poutinienne) : nous n’avons aucune raison d’avoir honte de ce que nous avons fait avec l’OTAN. C’est une alliance purement défensive, voire excessivement pusillanime. Elle n’avait absolument pas réagi face à l’occupation de la Hongrie, ni de la Tchécoslovaquie. L’alliance a toujours été extrêmement prudente et n’a jamais menacé personne. Au moment où des Etats, qui avaient été asservis par l’Union Soviétique pendant une quarantaine d’années, nous demandaient une protection et un article de solidarité (l’article 5), au nom de quoi leur aurions-nous dit : « non, débrouillez-vous. Et le jour où les Russes voudront reprendre pied chez vous, vous serez seuls. » Si nous ne l’avons pas fait en Ukraine, c’est pour une raison très différente. C’est parce que l’Ukraine s’est séparée « à l’amiable » de la Russie. Même s’il y a eu un horrible contentieux dans les années 1930, la relation entre les deux n’était pas hostile au moment de la chute de l’URSS. Nous n’avions donc aucune raison de provoquer la Russie en intégrant ce pays qui lui était si proche. Nous nous sommes interrogés à partir du moment où il est devenu clair que l’Ukraine était menacée, à la période la Révolution orange. Mais nous n’avons pas fait entrer l’Ukraine dans l’OTAN, et toute la négociation conduite par les Occidentaux, et particulièrement par Emmanuel Macron, visait à définir un cadre de sécurité acceptable par tout le monde.
Sur l’accord d’association, même chose. Au nom de quoi aurions-nous pu refuser à l’Ukraine un destin de proximité sociale, économique et politique (et pas du tout défensive) avec l’Ouest ? Pourquoi l’aurions-nous condamnée à imiter la Biélorussie, ou la cleptocratie tyrannique en honneur à Moscou ? Il n’y avait aucune menace pour personne, et nous n’avons à rougir de rien. Il est d’ailleurs très significatif que les Russes aient beaucoup plus mal réagi à Maïdan qu’à Bucarest en 2008 : c’est parce que Poutine sentait bien le risque de contagion éventuelle sur le système intérieur russe.
Sur l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, je suis d’accord avec ce qui a été dit : il faut se montrer très prudent, et une union dans l’urgence est absurde. L’adhésion à l’UE ou à l’OTAN, l’unité territoriale de l‘Etat ukrainien, tout ce modèle économique et social est sur la table, personne ne sait ce que sera l’Ukraine de demain. La situation est suffisamment dure pour les Ukrainiens, on ne va pas se mettre à leur imposer des préalables impossibles. Richard a tout à fait raison d’invoquer l’exemple suisse, on pourrait aussi parler de la Norvège, ou imaginer une coopération politique, par exemple admettre M. Zelensky au Conseil européen sans pour autant avoir une adhésion complète. On peut en tous cas réfléchir dans le cadre d’une Europe à cercles concentriques, infiniment plus différenciée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Mais il ne faut pas confondre les temporalités. Dans l’immédiat, nous avons une confrontation extrêmement dure avec les Russes.
Je crois aussi que le problème central est l’OTAN. L’alliance est sortie de sa mort cérébrale. Les Etats-Unis, qui souhaitaient ne se consacrer qu’à l’Asie, sont replongés dans les affaires européennes, des pays que l’on croyait neutres de toute éternité comme la Suède souhaitent rejoindre l’OTAN, bref la situation est extrêmement contraignante. Il faut réfléchir à l’élargissement du périmètre de l’OTAN, au degré de mobilisation militaire que cela implique, et au degré d’autonomie par rapport aux Américains. Même si c’est très impopulaire en France depuis longtemps, je suis de ceux qui pensent que la seule organisation de défense européenne se fait plutôt dans le cadre de l’OTAN. C’est là que les Européens ont l’habitude de coopérer. C’est un fait dont il faut partir. Pour autant, il faut reconnaître que les Américains ne sont pas sûrs. Ils ne l’ont d’ailleurs jamais été. Ils nous avaient lâchés en 1956 au moment de la crise de Suez (même si c’était pour de bonnes raisons), et avaient été très mous au moment de la crise de Berlin. Aujourd’hui, on sent que Joe Biden est très gêné, il a tout de suite dit qu’il n’y aurait pas d’intervention américaine. Mes amis baltes me disent qu’ils sont très préoccupés : eux sont focalisés sur Poutine, tandis que les Américains ne s’occupent que de Xi.
Dans la lettre de Biden et Macron, on parle de « défense européenne complémentaire ». Mais qu’entend-on par « complémentaire » ? Si la défense stratégique de l‘Europe est entièrement américaine, on reste dans une situation incertaine. Si le « complément » consiste à mener des opérations extérieures sous pavillon européen (comme en Afrique), c’est possible, mais je crois qu’il ne s’agit pas de cela. Nous sommes dans une négociation sur la réforme de l’OTAN, qui en principe aboutira lors du Conseil de Madrid, au début de l‘été. Il faut vraiment réfléchir très sérieusement à tout cela, car c’est là que cela se passe, et pas ailleurs.

Les brèves

L’ombre de Staline

Philippe Meyer

"Après que j’ai signalé tout l’intérêt de « La Grande terreur », le livre déjà ancien de Robert Conquest traduit dans la collection Bouquins et précédé de « Sanglantes moissons », son étude de la famine provoquée en Ukraine par Staline et responsable de 4 à 6 millions de morts, de nombreux auditeurs m’ont recommandé le film d’Agnieszka Holland « L’Ombre de Staline » que je n’avais pas vu. Il est accessible sur nombre de plateformes et il traite de façon saisissante non seulement la famine elle-même, mais des obstacles que surmonta  un jeune journaliste britannique, Gareth Jones, témoin volontaire et courageux de ce meurtre de masse, pour le faire connaître dans son pays et au monde, décrédibilisé qu’il fut par les idiots utiles du journalisme occidental, notamment par un correspondant à Moscou du New York Times et prix Pulitzer, Walter Duranty, qui, quoique parfaitement informé, rendit à Staline le service de démentir son confrère. Gareth Jones fut enlevé puis assassiné par les services soviétiques alors qu’il avait à peine 30 ans. Walter Duranty mourut en Floride à 74 ans sans que son prix Pulitzer ne lui ait été retiré."

Impressions de voyage - En Russie

François Bujon de L’Estang

"Dans les périodes de grande crise, rien de tel que la relecture des classiques. Puisqu’on ne peut pas se rendre en Russie en ce moment, je vous recommande de lire les Impressions de voyage d’Alexandre Dumas. Elles datent de 1859, une bonne époque, puisqu’il y est passé juste après la guerre de Crimée, et juste avant la crise polonaise. Il décrit avec cette plume inimitable, d’une extrême alacrité, non seulment son voyage en Russie, mais aussi des digressions infinies sur l’histoire du pays, des portraits rapides … Le tout avec beaucoup d’allégresse, de façon très primesautière. Cela justifie la réponse qu’il fit un jour à un critique, qui lui reprochait de prendre bien des libertés avec l’Histoire. Il rétorqua : « Oui. Mais avouez que je lui ai fait de bien jolis enfants ». "

L’emprise

Richard Werly

"Je propose de revenir à l’élection présidentielle française, qui va aussi jouer un rôle dans la formation de la politique européenne, vis-à-vis de la Russie mais aussi de l’Ukraine. J’aimerais recommander deux livres qui se complètent à mon avis très bien. Le premier est consacré à Emmanuel Macron, il est signé par Marc Endeweld, journaliste de Marianne. Il décrit très bien comment sont intervenus des changements tectoniques pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron, peut-être pas ceux auxquels on s’attendait. Le poids des lobbies et de certaines officines privées, et leur contournement des régulations, y est notamment très bien décrit. C’est un ouvrage très complet."

Mon année en Zemmourie

Richard Werly

"On peut cependant le compléter davantage avec ce livre-ci, consacré à l’un de ses adversaires, Eric Zemmour. Il s’agit de quatre petits opus, où l’auteur, Hubert Prolongeau, raconte cette année passée sur les traces du candidat. Il démontre notamment très bien qu’Eric Zemmour, dont on sait qu’il fait sans cesse référence à l’Histoire et à des grands auteurs, est en réalité véritablement un homme de son époque, c’est à dire un homme du buzz, capable de dire tout et son contraire, pourvu que cela fasse de la mousse."

Macron, le disrupteur

Jean-Louis Bourlanges

"J’aimerais recommander le livre d’Isabelle Lasserre, excellente journaliste au Figaro. C’est un livre intéressant, sans complaisance pour Macron, qui en dit toutes les qualités mais aussi les limites, notamment l’erreur d’analyse sur Vladimir Poutine. Le président français a cru à la possibilité d’obtenir un accord avec M. Poutine, et a fait ce qu’il fallait en ce sens. On ne peut pas lui reprocher d’avoir ignoré ou snobé le président russe. A travers ce livre, on voit une personnalité très forte, qui se construit sur le plan de la politique étrangère. Peut-être arrivons-nous au moment où il en a acquis la pleine maîtrise. S’il y a un second quinquennat, il devrait nous permettre d’avoir les avantages sans les apprentissages. "

Indice des feux

Lucile Schmid

"Je vous recommande un recueil de nouvelles, signé d’Antoine Desjardins, un auteur québécois. Le thème directeur des nouvelles est la façon dont nous sommes modifiés par tout ce qui se passe autour du dérèglement climatique. L’une d’entre elles, Feu doux, raconte la trajectoire d’un jeune homme, promis à toutes les réussites, porté par l’ambition de sa famille, venant d’un milieu modeste, et qui choisit de se mettre en marge. On voit le désarroi familial que cela suscite, par rapport aux processus sociaux par lesquels nous avons l’habitude de projeter nos vies. Passionnant."