L’énergie : question économique ou enjeu politique et citoyen ? / Chine - USA : une nouvelle guerre froide ? / n°217 / 31 octobre 2021

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L’énergie : question économique ou enjeu politique et citoyen ?

Introduction

Philippe Meyer :
Le plan « France 2030 », présenté le 12 octobre par Emmanuel Macron, prévoit d’allouer à l’énergie 8 des 30 milliards d’euros investis pour la « France de demain ». Cet enjeu d’indépendance et compétitivité énergétique fait écho à l’actualité : le Réseau de Transport de l’Électricité (RTE) a détaillé, le 25 octobre, 6 hypothèses de développement en vue d’atteindre la neutralité carbone en France. Pour un coût actuel du système électrique de 45 milliards d’euros par an, ces nouveaux scénarios prévoient des prix qui oscillent entre 49 milliards, pour 50% nucléaire en 2050, et 80 milliards d’euros par an pour un mix composé à 100% d’énergies renouvelables en 2060. Cette question est également rappelée à l’agenda politique par l’inflation, qui s’est établie en septembre à 2,2% des prix à la consommation, particulièrement tirée par les coûts actuels de l’énergie. La situation n’est pas sans rappeler l’insécurité financière concomitante au début du mouvement des Gilets Jaunes. L’hexagone ne fait pas exception : l’Europe entière ainsi que les États-Unis sont touchés par une croissance des coûts accentuée par le prix de l’énergie. Elle est compensée en France par des aides directes de l’État, l’« indemnité inflation », en Espagne, par une baisse des taxes, ou au Royaume-Uni par un fonds de soutien. Au-delà de cette réponse immédiate, les politiques de plus long terme amenées en France ne font pas l’unanimité, le débat se clivant autour du nucléaire et des énergies renouvelables, unanimité pas mieux trouvée à l’échelle européenne, qui voit les 27 se diviser autour d’une réforme du marché de l’électricité. Un peu partout dans les pays industrialisés, ce sont des citoyens, seuls ou organisés, qui parfois impulsent de nouveaux modes de consommation de l’énergie, par un recours à la sobriété ou à travers des « communautés énergétiques citoyennes ».

Kontildondit ?

Lucile Schmid :
A la question qui nous sert de sujet, je serai tentée de répondre : « les trois, mon général ! » Rappelons-nous de ce que disait Nicolas Hulot au moment des Gilets Jaunes, en novembre 2018 ; il pointait une contradiction face à un enjeu largement énergétique, « entre la fin du monde et la fin du mois ». Au fond, c’est un peu la même tension que l’on retrouve aujourd’hui, dans cette nouvelle crise énergétique, qui comme vous l’avez rappelé, ne touche pas que la France, loin de là. Rappelons aussi qu’en Chine, on craint des coupures d’électricité lors de cet hiver qui s’annonce très rude, et que Xi Jinping a ainsi relancé la construction de centrales à charbon, celles-la même dont il avait annoncé la fin l’an dernier. Cette crise mondiale est donc à la fois économique, politique et citoyenne.
Face à cela, il y a une sorte de précipité de la crise sociale ; un plein d’essence coûte en ce moment environ 80€, et l’on s’aperçoit que trois ans après la crise des Gilets Jaunes, la dépendance à la voiture des Français est exactement la même. Modifier la mobilité est un défi à long terme, et il est très difficile d’ajuster les politiques publiques quand la crise se revient quasiment à l’identique aussi régulièrement. Le gouvernement a choisi de donner des chèques : le chèque-énergie de 100€, qui concerne environ 6 millions de foyers, et un autre a été mis en place, concernant l’inflation cette fois, et destiné à 38 millions de nos concitoyens. Ce « quoi qu’il en coûte » énergétique est évidemment insatisfaisant, même s’il faut bien mettre un pansement sur cette jambe de bois.
Que peut faire le gouvernement dans cette période de campagne électorale ? Montrer qu’il a une perspective, déjà. C’est ce qu’a voulu faire Emmanuel Macron en sortant ce rapport de RTE sur les perspectives énergétiques françaises. Il faut reconnaît que le timing est très opportun, puisqu’apparemment ce rapport était en gestation depuis deux ans. Le débat sur le modèle électrique de la France bat son plein : nucléaire ou tout renouvelable pour les 20 prochaines années. Et tout aussi opportunément, ce rapport nous recommande de ne pas choisir. Il faut à la fois faire du renouvelable et du nucléaire, et au fond, sur les six scénarios proposés, le seul qui vaille est celui qui associe une montée en puissance très volontariste des énergies renouvelables (notamment l’éolien en mer) et la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. On sait que le président de la République a récemment évoqué la possibilité de petits réacteurs flexibles, ayant la possibilité d’être installés plus facilement, et présentant moins de dangers que les gros ; le contraire des énormes EPR, en somme. On a du mal à y croire, le discours à propos du nucléaire a des allures de pensée magique, mais il est certain qu’on ne peut plus esquiver le débat à son propos.
Au niveau citoyen, on peut noter qu’en France plus que partout ailleurs, le débat énergétique a été réservé aux experts. Notre modèle de production d’électricité est centralisé et confié à une entreprise, EDF. Aujourd’hui le foisonnement des petites coopératives, ou le fait de vouloir s’associer à la construction de champs d’éoliennes commence à faire participer les citoyens au débat. Encore très marginalement hélas.

Nicolas Baverez :
Le problème que pose cette forte augmentation du prix des combustibles est celui du conjoncturel et du structurel. Le chèque de 100€ est par exemple une réponse très conjoncturelle, liée à l’intensité de la crise du moment mais aussi évidemment à la campagne électorale ; il s’agit de lier le « quoi qu’il en coûte » à la hausse du coût de l’énergie et à celle des prix. C’est dangereux car cela installe l’idée que l’Etat va se substituer au système productif et aux entreprises pour assurer les revenus des Français quoi qu’il arrive. C’est évidemment insoutenable. L’autre aspect qui est compliqué est que ce chèque, malgré tous ses déguisements, n’est ni plus ni moins qu’une subvention à la consommation de carburant fossile, à la veille de la COP26 et alors que nous sommes sur une trajectoire d’augmentation de la température planétaire moyenne de 2,7°C à la fin du siècle.
A quoi avons-nous affaire ici ? On nous dit que ce sera temporaire, et que cette crise énergétique n’est qu’un effet de la crise Covid, qui va s’atténuer. Il est vrai que la demande explose, que l’offre est contrainte à cause de sous-investissements, que des problèmes de météo impactent la production d’énergie renouvelable, et que Poutine fait un chantage aux régulateurs européens pour l’ouverture de Nord Stream, mais malgré tout cela, il y aura d’autres chocs énergétiques à l’avenir, car les vraies raisons sont structurelles : la démographie, l’urbanisation, l’émergence du Sud, le numérique … Même la décarbonation de l’économie a un impact : si l’on veut par exemple arrêter le charbon, il va falloir au moins à court terme, faire davantage appel au gaz. L’important est de résoudre ce problème structurel.
Et là, nous avons un double problème, français et européen. Au niveau français, comme dans de nombreux domaines, c’est l’immobilisme qui l’emporte : si l’on veut continuer à faire du nucléaire, qui est un atout considérable pour la France et le pivot sur lequel construire la transition énergétique, il faut renouveler notre parc actuel. Cela suppose des décisions importantes et un débat public : où investit-on, et dans quel type de machines ? Au niveau européen, le problème est majeur. L’UE s’est calée sur le modèle allemand, qui de toute évidence ne fonctionne pas : il y aura un déficit de production en Allemagne d’au moins 10% en 2030, les Allemands ont dilapidé 500 milliards d’Euros pour remettre du charbon et de la lignite partout (aujourd’hui en Allemagne, 1 kW/h revient à 377 grammes d’émission de dioxyde de carbone contre 50 en France). Enfin, les Allemands se sont mis à la merci de Poutine avec le gaz russe. Le problème est donc triple : production, économie et sécurité.
Plusieurs idées très répandues sont aujourd’hui complètement fausses. On entend ainsi que la consommation d’énergie va diminuer. Or elle va devoir augmenter de 40% en France et de 50% en Europe d’ici à 2050. On entend aussi que tout cela sera gratuit et illimité car renouvelable. Mais rien n’est gratuit ni illimité, nous n’y arriverons pas sans véritable stratégie. Au niveau européen, il faut cesser de ne regarder que la consommation et s’intéresser à l’offre. Il faut aussi un regard plus rationnel : ce qui nous tue, c’est le dioxyde de carbone, il nous faut donc du décarboné, et le nucléaire en fait partie. Il faut soutenir l’innovation, dans le stockage et dans l’hydrogène. Il faut aussi raisonner en termes de sécurité : on ne peut pas se mettre ainsi à la merci de Vladimir Poutine. Enfin, il ne faut pas oublier la justice sociale : l’énergie n’est pas un luxe mais un bien de première nécessité. Les Gilets Jaunes l’ont bien montré : si l’idée consiste à nous expliquer que la mobilité ou le chauffage sont des options, on se prépare d’énormes problèmes de violence sociale, et pas seulement en France.

Nicole Gnesotto :
Je serai bien en peine de faire des préconisations quant à la bonne stratégie européenne ou française, car pour les décideurs politiques, l’énergie est le moteur de trois dynamiques totalement contradictoires (c’est d’ailleurs aussi déprimant que fascinant). C’est le moteur de la mondialisation : sans consommation d’énergie, pas de croissance, c’est ainsi que la Chine est devenue le premier consommateur de gaz liquide en 2021. C’est le moteur de la lutte contre le réchauffement climatique, car il faut à tout prix diminuer la consommation d’énergie fossile. C’est enfin le cœur d’une dynamique sociale, rappelez-vous en 2019, toute l’Amérique latine était dans la rue à cause d’une augmentation si brutale du prix de l’énergie que les classes moyennes s’en étaient retrouvées ruinées.
Lucile évoquait la redoutable conciliation de la fin du mois et de la fin du monde, mais c’est encore plus difficile que cela : il faut concilier l’urgence économique (assurer la croissance), l’urgence climatique (éviter les +3°C à la fin du siècle) et l’urgence sociale (l’éclosion d’autres Gilets Jaunes un peu partout).
Il y a une autre contradiction entre la nécessaire transition du modèle énergétique, et la révolution culturelle qui en découle. Ainsi, Emmanuelle Wargon (la ministre déléguée au logement auprès de la ministre de la Transition écologique) a récemment déclaré que la maison individuelle était un non-sens écologique, économique et social. C’est peut-être vrai, mais elle s’est fait taper sur les doigts car ses propos étaient en contradiction totale avec le rêve civilisationnel des Français (et sans doute de toutes les classes moyennes européennes) : avoir sa petite maison et sa voiture personnelle. La ministre prônait ainsi une révolution que les économistes disent inévitable sur le plan de l’habitat périurbain : ramener tout le monde en ville dans de grandes tours vertueuses au point de vue du carbone ; cette contradiction entre ce qui est nécessaire et ce à quoi nous sommes prêts me semble à l’heure actuelle inacceptable pour une majorité de Français.
Enfin, la question énergétique remet complètement en cause la géopolitique traditionnelle. Pendant longtemps, on a ainsi raisonné en termes de « guerres du pétrole ». Ainsi les pays du Moyen-Orient étaient-ils à la fois les maîtres du monde et le théâtre des conflits les plus violents, à cause de cette indispensable ressource. C’est en train de changer, notamment grâce aux évolutions technologiques. Sur les prix par exemple : si le cours du baril devient insupportable pour l’économie mondiale, alors le gaz iranien redevient très intéressant, et les négociations avec l’Iran s’en trouveraient par conséquent accélérées. Quant aux innovations en termes de stockage et de photovoltaïque, elles nécessitent des métaux trouvés dans ce qu’on appelle « les terres rares », dont le monopole est en Chine.

Richard Werly :
En ce qui concerne l’énergie, je trouve qu’Emmanuel Macron n’est pas bon. Il ne fait que s’abriter derrière des rapports et des projections, que peu de personnes lisent et comprennent. Lui qui est plutôt un très bon communiquant dans d’autres domaines (comme vendre la start-up nation à son électorat en début de mandat) livre ici une piètre performance. Il n’est pas à son aise sur cette question énergétique, et cela se comprend car il a à ce sujet une position très ambiguë. Son écologisme est un opportunisme, pas besoin de revenir sur ce qui s’est passé avec Nicolas Hulot. Lorsqu’il s’est exprimé à propos du plan France 2030, on avait nettement l’impression qu’il se faisait la voix du lobby nucléaire. Or la crédibilité sur ces sujets est importante, puisqu’on sait qu’en France, tout remonte à Paris et qu’à Paris, tout remonte à l’Elysée. Ce problème de l’énergie va à mon avis durer, car ni Macron ni aucun autre candidat potentiel (à l’exception peut-être de l’écologiste) n’est très convaincant à ce sujet.
Dans ce domaine, il y a deux non-dits, très rarement abordés. Bruno Le Maire a brièvement essayé de le faire avant de bien vite se raviser. Le premier concerne le coût de la transition écologique. Il faut dire la vérité aux Français : la décarbonations va coûter très cher. Par exemple, la seule usine Mittal de Dunkerque va coûter plusieurs milliards d’Euros. Immanquablement, le budget de l’Etat va devoir pourvoir à ces coûts, les taxes vont donc augmenter. Le second non-dit est particulièrement vrai en France : le pays se prend pour une start-up nation, mais les nouvelles technologies sont extrêmement consommatrices d’énergie. Là aussi, il faut le dire : tous ces ordinateur qui vrombissent dans des sous-sols réfrigérés sont très gourmands en énergie. Tout le discours qu’il y a aujourd’hui sur le télétravail est par exemple un peu ahurissant : on essaie de nous faire croire qu’on peut télétravailler de n’importe où, mais à quel prix ?
Je trouve que la controverse sur les éoliennes est une très bonne nouvelle. Quand on se promène en France, on ne peut plus passer dans un village sans y voir une pancarte « halte aux éoliennes ». Pourquoi est-ce une bonne nouvelle ? Parce que d’une part, cela va obliger les défenseurs des éoliennes (c’est à dire bien souvent leurs constructeurs) à s’expliquer, et à apporter des garanties quant à leurs installations. L’effort d’information ne peut qu’être bénéfique. Quant au nucléaire, il va bien falloir qu’un jour, EDF dise combien ça coûte, parce qu’on a l’impression de voir voler les milliards pour l’EPR. Dans le nucléaire, le « quoi qu’il en coûte » existe apparemment depuis des années … Plutôt qu’un rapport assorti de préconisations, il faut un audit du nucléaire français, pour être mieux informé sur ses vertus et ses coûts. Personnellement, je ne le vois pas venir.

Nicolas Baverez :
Je voudrais donner une note positive : la redoutable conciliation qu’évoquait Nicole n’est en réalité pas si impossible que cela. Je voudrais également répondre à Richard à propos des coûts. Regardons les choses avec un peu de bon sens. D’abord, il faut revenir à une chose très claire et simple : ce sont les émissions de dioxyde de carbone qui nous tuent. Il faut donc décarboner méthodiquement l’énergie, le transport et le logement. On s’aperçoit ainsi que le modèle énergétique allemand est absurde : il est aberrant de quitter le nucléaire pour remettre de la lignite.
Sur les technologies, il y a tout de même des percées très spectaculaires, il n’y a qu’à voir à quelle vitesse les progrès se font dans le domaine des voitures électriques. Il faut investir dans ces technologies, car c’est aussi grâce à elles qu’on va décarboner.
Quant aux coûts, ils ne sont en réalité pas si démesurés. Cela représente environ 2% à 3% du PIB mondial par an. Sachant que l’investissement mondial en représente 23% aujourd’hui, il faudrait donc monter à 26% ou 27%. On peut d’ailleurs regretter que dans les plans de relance mondiaux, la lutte contre le réchauffement climatique ne représente que 17% à 19%, on aurait certainement pu faire mieux.
L’impact sur le pouvoir d’achat : il est autour de 3,6% du revenu des ménages, c’est à dire exactement comme le choc pétrolier des années 1970. Oui, cela a été violent, mais on a quand même réussi à le surmonter.
Enfin, économiquement, nous disposons de l’outil adéquat : le prix du carbone. Tout le monde est obligé de le prendre en compte, de l’épargnant au producteur, en passant par les consommateurs et les investisseurs. On peut également faire de la redistribution sociale , et avec un ajustement aux frontières, il permet également de gérer les problèmes de compétitivité. Au delà de l’idéologie, en se contentant de regarder pragmatiquement ce qui est possible, avoir une stratégie qui tienne la route n’est pas impossible, et permettrait peut-être de concilier la fin du monde et la fin du mois.

Lucile Schmid :
A propos d’Emmanuel Macron qui s’abrite derrière des rapports, il faut être conscient du fait que la question énergétique en France est à la fois un sujet ultra-technique et une question d’identité nationale. Il n’y a jamais eu de débat national à ce propos, et donc à titre personnel, je trouve plutôt bienvenu que RTE ait produit ce rapport, le premier qui assume qu’on puisse faire à la fois du nucléaire et du renouvelable, et que ces deux moyens ne sont pas mutuellement exclusifs. Je ne sais pas si M. Macron s’abrite derrière cela, mais en tous cas il introduit avec ce rapport la possibilité que la campagne à venir fasse de l’énergie un sujet important, alors même que jusqu’à présent, c’était slogan contre slogan : « je suis anti-éolien » ou « je suis pro-nucléaire ». Il y a là quelque chose d’assez fort.
En outre, cela met les citoyens face à leurs propres contradictions. Aujourd’hui, nous sommes tous consommateurs, et certains d’entre nous sont aussi producteurs ou pourraient le devenir. Par ailleurs, la question est aussi citoyenne d’un point de vue électoral : pour qui voter quand on ne veut pas d’éoliennes à côté de chez soi, etc. Il va bien falloir que les Français choisissent : veulent-ils un prix de l’électricité artificiellement bas, sachant qu’EDF est très endettée, à hauteur d’environ 35 milliards d’euros, et que cela coûte cher au contribuable ? Veulent-ils assumer le risque nucléaire pour ne pas avoir d’éoliennes à côté de chez eux ? On sait qu’avec le réchauffement climatique, les centrales nucléaires ne pourront plus être installées le long des fleuves (qui n’auront plus assez d’eau) mais le long des côtes, cela implique des choses très différentes en termes d’aménagement du territoire et de paysages. Nous sommes face à des choix qui impliquent l’ensemble de la communauté nationale, c’est assez passionnant, même si les campagnes électorales ne sont pas les moments les plus propices aux débats dépassionnés.

Nicole Gnesotto :
Je suis convaincue que le nucléaire est une énergie d’avenir dans la mesure où elle est décarbonée, mais pour ce qui est des chiffres, il ne nous avantage pas du tout. Car la vraie question, c’est le prix des énergies fossiles. Or dans le monde, 80% de l’énergie consommée est fossile. L’avantage comparatif de la France sur son modèle énergétique n’empêche pas que nous ayons un problème d’augmentation du prix de l’énergie. Le mix énergétique français est d’ailleurs encore fossile à plus de 60%. On peut donc être pour le nucléaire, mais il est permis de douter qu’il soit la solution d’avenir.

Richard Werly :
Si Emmanuel Macron connaît des difficultés pour faire passer un message clair au sujet de l’énergie, c’est aussi parce que l’Europe est désunie à ce sujet. Il y a un marché européen de l’électricité, mais il n’y a pas de souveraineté européenne en matière d’énergie. Nous verrons ce que donnera le nouveau gouvernement allemand, mais si les choses continuent ainsi, on n’arrivera pas à opérer le basculement nécessaire.

Chine - USA : une nouvelle guerre froide ?

Introduction

Philippe Meyer :
Le 18 octobre, deux navires de guerre américain et canadien ont traversé le détroit de Taïwan, défendant dans un communiqué « un Indo-Pacifique libre et ouvert ». De Pékin, l’armée Populaire de Libération (APL) a condamné en retour « la provocation de troubles compromettant gravement la paix et la stabilité du détroit », rappelant que Formose « fait partie du territoire chinois ». Ces tensions se sont accrues lorsque Washington a appelé ses alliés à « soutenir une participation significative et robuste de Taïwan au sein des institutions de l’ONU », et que des soldats américains ont pris position sur l’île, le 27 octobre, pour la première fois depuis 40 ans. La résurgence de ces confrontations autour du statut de Taïwan survient au cœur de ce qu’un grand nombre d’observateurs et d’acteurs qualifient de « nouvelle guerre froide ». L’expression a été reprise par le ministre des Affaires étrangères chinois dès juin 2020, et plus récemment par Joe Biden, lors de son allocution à l’Assemblée Générale annuelle des Nations Unies, le 21 septembre. Depuis la pandémie du coronavirus, à l’origine de laquelle le rôle de la Chine n’est pas clarifié et dont les conséquences économiques ont sensiblement modifié les équilibres entre puissances, l’opposition entre démocraties et régimes autoritaires s’amplifie et se radicalise.
Le directeur de la CIA, William Burns, a annoncé le 7 octobre la création d’une unité spécialisée consacrée à la Chine, qui aura à évaluer « la menace la plus importante à laquelle nous sommes confrontés au XXIe siècle : un gouvernement chinois de plus en plus hostile ». Le parallèle avec la confrontation entre ces mêmes États-Unis et l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) est renforcé par la stratégie d’endiguement de la Chine, par les partenariats stratégiques de Washington en Asie et en Océanie accélérés ces derniers mois, aux dépends parfois d’alliés européens. Dans ce retour progressif aux logiques bipolaires, l’Europe se trouve tiraillée entre la tutelle américaine et le flux massif de capitaux chinois sur le continent, tiraillements qui perturbent sa capacité à dégager une autonomie stratégique.
Malgré tout, pour Sylvie Bermann, ancienne ambassadrice à Pékin et à Moscou, « L’Union Européenne, facteur d’équilibre entre les deux et productrice de normes, aura sa partition à jouer ». Dominique Moïsi conclut pour Les Échos : « Les comparaisons historiques sont utiles. Elles mettent en perspective le présent. Elles peuvent aussi être dangereuses. Soit parce qu'elles créent une illusion rétrospective de fatalité, soit parce qu'elles masquent la radicalité nouvelle du présent ».

Kontildondit ?

Nicole Gnesotto :
Quand on parle de « nouvelle guerre froide », je crois qu’il faut distinguer le mot et la chose. Le mot me paraît juste et assez pertinent, dans la mesure où il rend compte de l’affrontement global de deux systèmes politiques antagonistes : les démocraties occidentales d’un côté et l’autoritarisme de l’autre. Il décrit aussi l’impossibilité d’une guerre totale, à cause de la dissuasion nucléaire. On se retrouve ainsi dans une situation que Raymond Aron avait résumée génialement : « guerre impossible, mais paix improbable » entre les Etats-Unis et la Chine.
La chose en revanche, est très différente. Aujourd’hui, les relations entre les USA et la Chine n’ont strictement rien à voir avec celles des blocs de l’Est et de l’Ouest à l’époque de l’Union soviétique. Dans la guerre froide, il y avait une opposition systématique et totale, marquée par un mur à Berlin, par la Trouée de Fulda où 300 000 soldats de l’OTAN et de l’Armée rouge se faisaient face. A part un téléphone rouge, les deux blocs n’entretenaient aucune relation. Aujourd’hui, la Chine est certes l’adversaire systémique des Etats-Unis, mais elle est également son partenaire commercial incontournable. C’est absolument inédit dans l’histoire des relations internationales.
« Guerre froide » n’est donc pas adaptée à la réalité de la situation. La Chine, c’est par exemple 2000 milliards de dette américaine, ce qui crée une interdépendance très forte entre les deux pays. C’est la deuxième économie mondiale depuis 2016, et le premier exportateur commercial depuis 2019. Comment être en guerre contre le pays dont dépend votre croissance ? Il ne s’agit donc pas d’une guerre froide, et l’on n’a encore pas trouvé l’expression adéquate pour qualifier la situation actuelle.
Malgré la complexité de ce système, les Etats-Unis adoptent une stratégie très simple : une rivalité systémique avec Pékin, autrement dit le containment de la menace chinoise. Cela se traduit par l’invention d’une nouvelle zone géostratégique : l’Indo-Pacifique, qui prend le relais de ce qu’était la zone de l’Atlantique Nord pendant la Guerre froide ; de nouvelles alliances, comme l’AUKUS (Australia, United Kingdom, United States) qui correspondent à ce qu’était l’OTAN. Cela revient à transposer les procédés d’hier sur la situation d’aujourd’hui, en somme. Ce faisant, les Etats-Unis espèrent endiguer la menace chinoise. Taïwan se retrouve au centre de cette confrontation. Certains considèrent Taïwan comme le Berlin de cette nouvelle guerre froide. Cela me paraît totalement différent, car d’une part Taïwan n’est pas divisé, et d’autre part c’est la Chine communiste qui exige la réunification, alors que pendant la Guerre froide, c’était l’Occident qui souhaitait la réunification allemande. Pour autant, Taïwan se trouve dans une position stratégique cruciale. A son égard, les Etats-Unis ont une attitude très intéressante : ils ont jusqu’ici entretenu une ambiguïté stratégique : ne jamais dire qu’on défendra Taïwan, et ne jamais le nier. On se contente de lui vendre des armes défensives, et c’est ainsi depuis 1979. Or voici que récemment, cette doctrine américaine a changé. Il y a trois ans d’abord, sous Donald Trump, qui pendant sa campagne électorale, avait demandé, avec la naïveté qui le caractérise : « et pourquoi est-ce que je ne reconnaîtrais pas Taïwan ? » Tout le State Department lui étant tombé dessus, il est revenu à la doctrine traditionnelle. Deuxième infraction : Joe Biden. Le président a déclaré il y a quelques jours que oui, les Etats-Unis défendraient Taïwan au besoin. Il a été immédiatement démenti par le Secrétaire à la Défense et par tout le Département d’Etat, mais on voit bien que la relation avec Taïwan évolue vers une clarification, ce qui ne semble pas aller dans le sens d’une pacification de la région.

Nicolas Baverez :
Cette situation n’a malheureusement rien d’inédit. En 1914 déjà, alors que le Royaume-Uni était la puissance financière dominante dans le monde, et l’Allemagne la puissance industrielle qui monte, les relations commerciales entre les deux Etats étaient extrêmement imbriquées (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les patronats européens furent tous hostiles à la guerre). Cela n’a pas empêché la déflagration, qui signa la fin de l’Europe libérale et nourrit la théorie du piège de Thucydide.
Il y a des points communs avec la situation d’aujourd’hui, à commencer par l’évolution de la Chine. Elle est aussi agressive qu’inquiétante. Xi Jinping a annoncé officiellement que la Chine entendait exercer le leadership mondial en 2049 ; cela se traduit par un totalitarisme qui s’est encore durci, un big brother numérique qui contrôle la population, la fermeture économique, une grande agressivité en mer de Chine et aussi vis-à-vis de l’Inde, la reprise en main de Hong-Kong, qui n’est plus désormais qu’un marché régional, et la stratégie des routes de la soie qui enserrent l’Occident. Cela fait beaucoup, et on peut s’étonner qu’il ait fallu autant de temps aux USA pour s’inquiéter.
La réaction des Etats-Unis a commencé par être très improvisée et visiblement émotionnelle. Trump a liquidé le meilleur instrument d’endiguement de la Chine, l’accord de partenariat transpacifique ; Biden essaie quelque chose de plus organisé, mais pour le moment l’exécution n’est pas formidable. On voit en tous cas, et c’est pour le coup un vrai effet de guerre froide, des blocs se mettre en place en Asie Pacifique. D’un côté la Chine, la Russie, l’Iran, le Pakistan, l’Afghanistan des talibans et la Corée du Nord, de l’autre l’AUKUS ainsi le Quad (avec le Japon et l’Inde), et puis la Corée du Sud et Taïwan. Pour contredire la formule de Raymond Aron, la guerre est aujourd’hui possible, car la Chine a largement cédé à la démesure, elle est en train de commettre la même faute que Guillaume II en 1914. Aux Etats-Unis, une partie des dirigeants se dit que c’est le moment où jamais d’arrêter Pékin, car il sera trop tard en 2030. Enfin, il faut rappeler que l’Asie est une région très particulière. Il n’y a pas eu de traité de paix à la fin de la seconde guerre mondiale, parce qu’il n’y a absolument pas de téléphone rouge ou de système de gestion des incidents, et ce à la demande de la Chine.

Lucile Schmid :
Je voyais qu’à propos de cette situation de tension très grave, certains commentateurs ont parlé de « somnambuler vers un conflit ». L’expression me paraît pertinente : il y a l’idée que l’on se dirige malgré soi vers un conflit, alors même qu’on ne le souhaite pas. C’est effectivement différent de la guerre froide qui a suivi la seconde guerre mondiale. Je rappelé au passage que c’est George Orwell qui a employé le premier le terme de guerre froide, que Raymond Aron a par la suite explicité. Peut-être faudrait-il expliciter aujourd’hui cette « guerre froide 2.0 » ?
Au fond la pandémie a dévoilé ce qu’était le régime chinois. Dans les débuts, on a vu que le régime a très mal traité sa population (le nombre de suicides en atteste, les gens étaient carrément retenus prisonniers dans leurs maisons), que les chiffres ont été maquillés (on ne sait pas combien il y a eu de morts) et le reste du monde a brutalement pris conscience de l’extrême dépendance économique, financière, voire civilisationnelle à la Chine. La pandémie fut un réveil brutal, alors que des années de doux commerce nous avaient endormis.
Tout le monde pensait que Donald Trump était un fou dangereux. Certes, les méthodes de Joe Biden semblent bien plus raisonnables, mais on voit que la Chine désignée comme grand ennemi est un point commun avec son prédécesseur. L’opinion publique américaine en est d’ailleurs majoritairement convaincue. Il s’agit donc d’une situation de basculement des Etats-Unis, et cela pose évidemment la question de l’attitude de l’Europe. Comment se positionnera-t-elle face au Quad et à l’AUKUS ? On sait que l’UE a sorti sa stratégie pour l’Indo-Pacifique en septembre dernier, pressée par le président français. L’Europe donne toujours le sentiment de ramer derrière ces puissances agressives et offensives. Une fois de plus, la question de la possibilité d’une Europe-puissance stratégique se pose. Il semble de plus en plus difficile dans le monde tel qu’il va que l’Europe se contente de son soft power.

Richard Werly :
Avons-nous affaire à une nouvelle guerre froide ? Je pense que la réponse est claire : non, il s’agit d’une guerre chaude. Elle est engagée entre les Etats-Unis et la Chine. Pas encore sur le plan militaire, certes, mais de fait, les Etats-Unis sont en train de mettre en scène une confrontation quasiment inéluctable avec la Chine. Un roman intitulé « 2034 » est en ce moment un véritable best-seller aux USA. Écrit par un ancien chef d’état-major de l’OTAN, James Stavridis, il met en scène un affrontement entre les marines chinoise et américaine. Du côté des Etats-Unis, il y a donc une préparation des esprits à ce qui est perçu comme une possible confrontation militaire. Si l’on regarde du côté de la Chine et de Taïwan, il semble que tous les ingrédients sont là. Nous avons bel et bien affaire à une guerre, elle est simplement encore tiède, mais pourrait se réchauffer très vite.
Je suis très frappé qu’on oublie de parler de deux acteurs majeurs de cette crise : la Corée du Sud et le Japon. Car pour défendre Taïwan, les Etats-Unis ne sont pas isolés, ils ont sur place deux alliés très forts. Les forces conjuguées de ces trois-là sont d’une tout autre ampleur que les forces taïwanaises seules. Deuxième élément : il y a cette idée très installée en Occident que la Chine règne en maîtresse en Asie Pacifique. C’est en réalité bien moins évident que cela. L’influence économique chinoise est certes déterminante en Asie du Sud-Est, mais personne n’est dupe. Il y a les petits Etats que la Chine a achetés, comme le Cambodge ou le Laos, ou d’autres dans le Pacifique, mais beaucoup d’autres puissances émergentes moyennes, comme le Vietnam (l’ennemi irréductible) ne sont absolument pas prêtes à subir l’influence chinoise. Historiquement, cela a souvent donné des pogroms anti-Chinois, comme en Indonésie par exemple, où des dizaines de milliers de Chinois ont fini la tête sur une pique … Il n’est donc pas du tout sûr que la Chine ait les moyens de contrôler une zone aussi étendue, comme on le répète un peu vite.
Enfin, nous n’avons pas évoqué une autre arme de guerre, absolument redoutable et pour le moment pas utilisée : les relocalisations industrielles. Si l’Occident est sérieux et tient bon sur ce point à la suite de la pandémie (et ce sera incontestablement difficile), la Chine a de gros soucis à se faire dans les années à venir. C’est indubitablement une guerre, et contrairement à ce qu’on croit souvent, une guerre pour laquelle l’Occident a de très bonnes armes, et à la quelle la Chine n’est pas si bien préparée qu’elle tente de nous le faire croire.

Nicole Gnesotto :
J’apporterai trois nuances. D’abord, Je ne crois pas du tout à la logique de blocs que Nicolas a décrite. Il y a un bloc : la Chine. En face, c’est bien plus désorganisé. L’Inde est alliée aux Etats-Unis contre la Chine, et alliée à la Chine contre le Pakistan. L’Australie, alliée aux Etats-Unis face à la Chine, est membre d’un gigantesque accord de libre-échange avec la Chine … bref c’est le bazar côté occidental.
Sur la guerre, ensuite. Est-elle possible ? Pas sur un plan intentionnel à mon avis. Si on en arrive à l’affrontement, ce sera par inadvertance, ou peut-être par somnambulisme en effet. Un mauvais calcul des intentions de l’adversaire, par exemple ; l’Histoire regorge de cas similaires. Et si affrontement il y a, je pense qu’il restera limité à Taïwan, la dissuasion nucléaire empêchera que le conflit devienne mondial.
Sur l’Europe, enfin. Il me semble que les Européens ne devraient ni dénier la menace chinoise, ni suivre aveuglément la politique américaine, à laquelle nous n’avons rien à gagner. Nous n’avons aucune chance d’exister à l’avenir si nous nous contentons d’être la piétaille des Américains dans leur stratégie contre la Chine.

Nicolas Baverez :
La référence au somnambule renvoie précisément à 1914. Cette crise nous montre une fois de plus que l’enjeu principal du XXIème siècle sera celui de la liberté politique, entre les démocraties et les régimes autoritaires ou les démocratures.
Ce qui peut être éclairant dans la comparaison à la guerre froide, c’est que le dénouement s’était produit parce que le bloc soviétique s’était effondré. La première chose à faire pour les démocraties, c’est de régler leurs problèmes, car la principale force de la Chine de Xi, ce sont les faiblesses de ses adversaires. Mais le pays a d’énormes problèmes intérieurs, que Xi est tenté de surmonter par le recours à des « aventures » extérieures. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la paix, mais ne surestimons pas le régime chinois et surtout, soignons nos propres maux.

Lucile Schmid :
Xi Jinping nous démontre que certes, il s’agit d’un régime et d’une idéologie, mais que le communisme n’est pas tout ; le tempérament et les personnalités jouent aussi un rôle crucial dans ce genre de tensions : le leader chinois n’hésite pas à tenir des discours ultra-agressifs. Ils sont aussi très contradictoires : ainsi depuis 2018, le terme « civilisation écologique » a été inscrit dans la Constitution chinoise, mais uniquement dans un but offensif, pour renforcer la puissance chinoise. L’Europe doit installer l’idée d’une puissance radicalement différente. C’est autant Xi Jinping que le régime chinois qu’il s’agit de contenir.

Les brèves

La France dans le bouleversement du monde

Nicolas Baverez

"L’ouvrage que je vous recommande complète bien notre conversation très géopolitique de cette semaine. Michel Duclos est à la fois un diplomate de haut rang et un intellectuel dans la lignée de Pierre Hassner. Il nous livre ici son analyse à propos de la solitude stratégique de la France, qui va au-delà des échecs d’Emmanuel Macron en politique étrangère. Il montre bien comment la boussole du pays s’est déréglée à partir de la mondialisation, de l’unification de l’Europe, de l’effondrement de l’Union Soviétique, et comment la France, après avoir essayé plusieurs rôles ou plusieurs concepts, s’efforce désormais de porter l’idée d’une Europe-puissance. Le livre est passionnant, car il ne s’agit pas d’une simple critique de la diplomatie française, il montre les problèmes que posent le nouvel équilibre du monde et l’effondrement des anciens cadres. Retrouver une place dans ce système éclaté et dangereux est un problème qui concerne autant la France que l’Europe."

Rien à déclarer

Nicole Gnesotto

"Je vous recommande le dernier ouvrage de Richard Ford. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, Richard Ford est un auteur américain absolument exceptionnel, dont on retrouve de livre en livre le héros Frank Bascombe, une espèce d’agent immobilier déprimé et désabusé. Le romancier est génial (il a d’ailleurs reçu le prix Pulitzer), ici il s’agit d’un recueil de dix nouvelles assez nostalgiques. On n’y raconte aucun événement extraordinaire , mais simplement quelques héros qui à la faveur d’un événement très banal se souviennent du passé, d’un être aimé. C’est extraordinairement écrit, il s’agit pour moi d’un des meilleurs livres de Richard Ford."

La fin du régime de Vichy

Richard Werly

"On entend beaucoup parler en ce moment, notamment dans la bouche d’Eric Zemmour, du régime de Vichy. Un témoin de ce régime vient de signer ce livre que je vous recommande, il s’agit de l’ambassadeur de Suisse Walter Stucki. Il fut d’abord ambassadeur à Paris avant la guerre puis s’installa à Vichy où il devint le confident du maréchal Pétain qui le visitait régulièrement. L’auteur y dépeint un régime absolument fantoche, où toutes les personnalités politiques étaient soit d’affreux manipulateurs, soit de sinistres manipulés. L’ouvrage est très intéressant, et je rappelle que le maréchal Pétain fut rendu aux Français par les Suisses, puisqu’à son retour de Sigmaringen, Pétain passa par la confédération helvétique, et c’est le même Walter Stucki qui vient l’accueillir à la frontière (avec des chocolats, dit-on) avant de le remettre à la France libre deux jours plus tard. "

Une histoire des luttes pour l’environnement

Lucile Schmid

"Je vous recommande cet ouvrage que je trouve très fort, signé de quatre historiens. Réinscrire dans l’Histoire des choses qui paraissent d’une actualité brûlante aide à comprendre leur force et leur intensité. J’en donne deux exemples : dès 1830 en Ariège, face à un nouveau code forestier, on assiste à une mobilisation des paysans pour combattre cette « privatisation » des forêts. Ou bien la création de la première société protectrice des animaux par des Anglais en 1824. Ce livre inscrit la question écologique dans une Histoire, et non sans humour (ce qui est plutôt rare à propos de ces questions). Nous réalisons ainsi que nous n’inventons rien, et que les problèmes et les causes sont seulement devenus plus urgents."

Revue Books n°116

Philippe Meyer

"Voulez-vous prendre des nouvelles du monde autrement que par les voies habituelles ? Connaissez-vous le Zugzwang ? Oui, si vous êtes joueur d’échecs. C’est la configuration dans laquelle quel que soit le coup joué, il ne pourra que dégrader votre position. Books, devenu trimestriel à sa reparution, en consultant les listes des meilleures ventes de livres, a remarqué que les Russes, quand lis considèrent leur situation politique, économique ou sociale se sentent assez proches du Zugzwang. Alors ils se réfugient dans des livres qui retracent d’autres époques : celle du dégel sous Khrouchtchev, celle de l’ébulition artistique de l’Europe de 1913. Et, plus loin dans les pages de Books, Euphrosina Kernovskaia se souvient du Goulag où ses 30 ans rebelles l’ont conduite. Mais le dossier central de la revue a pour titre Testez vos préjugés. Vos préjugés sur le Parti communiste chinois, vos préjugés contre le foie gras, les préjugés des nouveaux censeurs contre l’Odyssée, ou le théâtre de Shakespeare, ou le président Thomas Jefferson bref, tous ces préjugés dont d’Alembert écrivait « les préjugés, de quelque espèce qu’ils puissent être, ne se détruisent pas en les heurtant de front ». Nous ne sommes pas prêts de sortir du Zugzwang."