La réaction est-elle en marche ? / Biden est-il un autre Trump ? / n°212 / 26 septembre 2021

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La réaction est-elle en marche ?

Introduction

Philippe Meyer :
L'essayiste Éric Zemmour, qui a publié le 16 septembre « La France n'a pas dit son dernier mot », réimprimé à 200 000 exemplaires avant même sa sortie, a entamé une série de conférences aux allures de campagne électorale. La décision du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, de renoncer à toute candidature présidentielle lui laisse libre champ sur le flanc droit du parti Les Républicains. Islam, immigration, place des femmes, le livre d’Éric Zemmour reprend ses thèmes favoris que ses adversaires qualifient de racistes, misogynes et homophobes. Quoiqu’il ne soit pas officiellement candidat, dès le 28 juin, des affiches « Zemmour président » avaient fleuri sur les panneaux électoraux après la fin des régionales, à l'initiative de la galaxie Génération Z, qui se définit comme le futur mouvement de jeunes appuyant la candidature de leur champion. Tandis que le maire Ligue du Sud d'Orange, Jacques Bompard, lançait un site Internet et une pétition « jesignepourzemmour » à son nom, Samuel Lafont, ancien membre du pôle société civile de la campagne de François Fillon, créait le dièse #DemainAvecZemmour. Ses soutiens clament haut et fort qu'en cas de candidature, ils misent sur l'électorat de François Fillon à la présidentielle de 2017 et non sur celui de Marine Le Pen. Le 27 août, dans un texte signé par 100 sympathisants de droite se revendiquant de la Génération Z, des jeunes appellent Les Républicains à soutenir une candidature Zemmour. Créée dès la fin avril, l'association de financement du parti Les amis d'Éric Zemmour a été récemment agréée par la commission des comptes de campagne.
Le polémiste est crédité de 11% d'intentions de vote au premier tour de l'élection présidentielle, révèle le 21 septembre un sondage Harris Interactive publié par Challenges. Le journaliste n'est devancé que de trois et sept points par Xavier Bertrand (14%) et Marine Le Pen (18%). Le même institut de sondage ne lui promettait que 5% des voix au cœur de l'été. « Cette progression est forte et rapide. Il se passe quelque chose, analyse Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos. Éric Zemmour jouit d'une présence médiatique extrêmement forte. La visibilité est la condition clé pour une telle hausse. »

Kontildondit ?

Richard Werly :
J’ai choisi d’aller voir et entendre Eric Zemmour lors du rassemblement organisé à Toulon, au lendemain de la sortie de son livre. L’évènement avait toutes les allures d’un meeting politique, même si ce n’en était pas un, puisque c’était à l’occasion d’un festival littéraire qu’il a été invité à s’exprimer.
Je vais donner quelques éléments de contexte pour tenter de mieux vous faire visualiser la scène, car il me semble qu’elle résume bien la position de Zemmour mais aussi de son discours, clairement réactionnaire, sur la société française.
Nous sommes au palais des congrès de Toulon, appelé « Neptune ». La salle principale est pleine à craquer, il faut attendre deux heures, ce que j’avais fait puisque j’avais pris un billet normal dans le public. A peine Eric Zemmour est-il apparu qu’il est applaudi à tout rompre par 300 ou 400 personnes sur les 2500 présentes, qui se lèvent et scandent « Zemmour président ! Zemmour président ! » L’intéressé est physiquement dopé par ces acclamations, cela se voit.
Je décris cela car cela me paraît important pour comprendre ce moment où nous sommes. Je ne sais pas s’il sera ou non candidat, mais il me semble qu’il s’est mis dans une position où il lui est désormais très difficile de ne pas l’être. Reculer l’obligerait à trouver des justifications fortes, car ses fans, cette « génération Z » l’attendent.
Le discours, ensuite, était très frappant. Encore une fois, il ne s’agissait pas d’un discours électoral à proprement parler, puisque le public entier était déjà conquis, et avait déjà acheté le livre. Au passage, je signale que la séance de dédicace a commencé à 21h15 et s’est terminée à 0h30, et j’y ai vu des gens avec des sacs remplis de livres. D’abord, le discours anti-islam, ouvertement raciste. Il est suffisamment commenté pour que je n’y revienne pas en détail ici, car j’aimerais m’attarder sur deux autres aspects. Le public que j’ai vu à ce rassemblement est très différent de celui que j’ai pu observer lors de meetings de Marine Le Pen. Ce sont des gens qui paraissent socialement très bien intégrés, venus en couple, voire en famille, pour écouter un discours qu’ils ont envie d’entendre. On entend très souvent le commentaire que Zemmour est cultivé, qu’il a des références … Eric Zemmour leur fournit un vernis, de quoi briller lors des discussions avec leurs amis. Mais le discours lui-même est clairement réactionnaire, au sens où il brosse le portrait d’une France qui n’existe pas, et ne pourrait pas exister même s’il arrivait au pouvoir, mais que ces gens ont envie d’entendre. Au fond, Éric Zemmour est le candidat d’une France virtuelle, dans laquelle un certain nombre de Français veulent vivre.
Ensuite, et c’est peut-être spécifique au midi de la France, il y avait beaucoup de gens rapatriés d’Algérie, ou des enfants de rapatriés d’Algérie. Ce n’est pas anodin, et Zemmour l’a d’ailleurs dit. Ces gens sont dans la nostalgie, même si beaucoup d’entre eux n’ont pas connu l’Algérie française, et cherchent une réhabilitation. C’est ce que leur permet Zemmour : il leur dit « ce que vous ou vos parents avez fait, ce n’était pas une erreur, c’était même un acte héroïque : vous avez voulu civiliser les Arabes ». Il dit dans son discours : « nous les Pieds-Noirs, les Arabes, on les connaît. »
Enfin, le discours est machiste : selon Zemmour le féminisme est contraire à la prise de décision, il corrode l’autorité. Ne confions pas le pouvoir à des femmes, elles empêchent de décider. Et toutes les femmes de l’assemblée applaudissaient.

Nicole Gnesotto :
Zemmour lui-même se définit comme « nostalgique et réactionnaire ». Il appelle même à une « révolution réactionnaire », malgré la contradiction dans les termes. Il n’y a donc pas de débat à ce sujet. Il est d’ailleurs un peu difficile en France de distinguer les populistes des réactionnaires. Il y a de nombreux points communs entre les deux, notamment la ligne identitaire et l’islamophobie, mais on voit bien que Mme Le Pen est plutôt du côté des populistes, tandis que Zemmour est réactionnaire.
Ce mouvement des « nouveaux réactionnaires » existe depuis 2015, et compte des gens très cultivés, comme Alain Finkielkraut, Michel Houellebecq, Natacha Polony, Michel Onfray ainsi que certains humoristes. On a l’impression qu’au-delà de son éventuelle campagne électorale, Zemmour s’inscrit dans une mouvance « intellectuelle » française, qui n’est pas contredite par une gauche intellectuelle, puisque celle-ci s’est perdue en France dans un « indigénisme » que je crois sans avenir. Il me semble que le personnage Zemmour est à replacer dans cet arrière-plan intellectuel.
Si Zemmour est réactionnaire, c’est d’abord par son refus de l’Histoire. Son idée est de geler l’Histoire à venir, et de revenir à un « temps d’avant », une mythologie complètement fantasmée d’une France blanche où l’autorité était respectée et les femmes ne votaient pas. Cela va de pair avec une stratégie de panique, il s’agit de dire que si l’on ne revient pas à cette « France d’avant », nous allons droit vers la guerre civile. Il s’agit donc en quelque sorte d’une nostalgie eschatologique, c’est le même raisonnement qui était à l’œuvre dans la récente tribune des généraux de Valeurs Actuelles.
Il est ensuite réactionnaire au sens sociétal du terme. Il est homophobe et misogyne. Il s’en défend en se prétendant un vrai défenseur des femmes, car d’après lui, en renvoyant tous les immigrés hors de France, il empêche les viols … Il est également raciste, son meilleur ami en Europe est Viktor Orbán, avec qui il était encore cette semaine (il a d’ailleurs déjà été condamné deux fois pour incitation à la haine raciale). Il veut réserver les prestations sociales aux seuls Français, arrêter le regroupement familial, etc.
Il est enfin réactionnaire dans son style. D’un point de vue littéraire, la réaction s’exprime traditionnellement sous la forme du pamphlet. J’ai regardé son débat de jeudi dernier, je l’ai trouvé très mauvais à l’oral mais je reconnais qu’à l’écrit, il a le style des grands pamphlétaires : il manie adroitement l’injure, la provocation et l’outrance ; on a donc une parole très éloignée du débat démocratique normal, basé sur l’écoute et la recherche de la vérité. Je cite juste une phrase : « le Kosovo est l’avenir de la Seine Saint-Denis, et la Seine Saint-Denis est l’avenir de la France ». Tout y est.
Le point qui le différencie à mon avis de Marine Le Pen et du Rassemblement National, c’est qu’il est dans l’excès. Il est jusqu’au-boutiste dans sa pensée, et ose dire ce que Mme Le Pen s’efforce de taire. L’objectif du RN est précisément d’apparaître fréquentable, tandis que le succès de Zemmour vient précisément de ses excès.

Marc-Olivier Padis :
Nicole a très bien présenté la substance idéologique de Zemmour, je m’intéresserai donc à la place de cette affaire dans la campagne présidentielle qui commence. A-t-il une chance ? Jouera-t-il un rôle ? Il est peut-être un peu tôt pour une surprise de campagne électorale, mais on voit bien que le moment actuel est saturé de sa présence. C’est la seule question qui se pose, alors qu’il y a des primaires chez les Verts, que du côté des socialistes, la candidate est choisie, et pourtant, on ne parle que de la potentielle candidature de Zemmour, et de l’indéniable coup de ringardise qu’il inflige à Marine Le Pen.
Le phénomène est difficile à commenter ici, car nous cherchons habituellement nos références plutôt du côté de Plutarque et Habermas que de Gustave Le Bon ou Michel Houellebecq. Blague à part, je me demande toujours si j’ai les clefs pour décoder un phénomène comme le succès d’Eric Zemmour. Exemple de l’une de ses obsessions : les prénoms. Il a par exemple agressé des femmes sur le fait qu’elles devraient changer de prénom. Un site internet assez ludique est donc né il y a peu, appelé « vite mon prénom » vous permettant de savoir si votre prénom doit être changé, selon les critères zemmouriens. J’ai entré le mien, et ai été recalé (prénom double). Cela m’a amusé, je croyais que c’était l’œuvre de gens vouant tourner Zemmour en dérision. Puis j’ai appris que ce sont plutôt des soutiens de Zemmour qui ont créé le site, et que celui-ci est donc à prendre au premier degré … C’est là que je me suis rendu compte qu’il me manquait une case pour appréhender le phénomène. Des choses comme ce site n’existent que pour créer du buzz et faire parler du candidat.
Faut-il prendre au sérieux une éventuelle candidature d’Eric Zemmour ? Personnellement, je pense que oui, ne serait-ce que pour se prémunir de l’effet de surprise. Mais au delà de cela, nous avons tous en tête le précédent de Donald trump. Tout le monde pensait à une bouffonnerie au début, puis c’est devenu une supercherie tragique. Est-ce que quelque chose de similaire pourrait se produire avec Zemmour ? Il ne s’agirait plus d’un héritier qui ferait semblant d’avoir le sens des affaires, mais d’un éditorialiste qui ferait semblant d’avoir de la culture. Je pense qu’il ne faut pas faire de tocquevillisme mécanique en se disant que tout ce qui s’est produit aux Etats-Unis va automatiquement se reproduire ici, mais il y a tout de même un certain nombre de points communs.
D’abord, il s’agit d’un candidat qui est soutenu par une chaîne d’information continue. Dans les médias actuels, cela compte beaucoup. D’autre part, il passe son temps à insulter tout le monde, mais se positionne toujours en victime. Cette semaine par exemple, il a fait la une de Paris Match, qui lui a consacré un reportage d’une complaisance inouïe. Et pourtant, la réaction de Zemmour a été de porter plainte contre Paris Match, en tonitruant « je ne me laisserai pas intimider ! ». Autre point commun avec Trump : des femmes ont porté plainte contre lui pour harcèlement sexuel. Enfin, le fond de son discours est anti-système et pétri de ressentiment.
Il y a tout de même quelques différences fondamentales. D’abord le système électoral américain est très différent, le système de financement des campagnes électorales aussi, et puis la polarisation de l’opinion n’est pas aussi extrême ici. Ensuite, Trump a gagné la primaire des Républicains, ce qui signifie qu’il avait la force d’un parti derrière lui. Enfin, Trump n’avait pas de programme, il était le programme. Zemmour est profondément un rhéteur : il a construit une vision du monde, et développe une idéologie à laquelle il semble croire. C’est d’ailleurs sans doute un de ses points faibles : il est sans doute davantage attaché à la pureté de ses idées qu’à convaincre un électorat.

Nicolas Baverez :
Dans le phénomène Zemmour, il y a indéniablement le talent du polémiste, mais il y a aussi incontestablement du populisme, avec des réponses simplistes à des situations compliquées, comme dans le cas du « grand remplacement ». Un titre plus juste pour son livre aurait sans doute été « la réaction n’a pas dit son dernier mot ». Il part d’un constat exact, celui du décrochage de la France, mais donne une réponse réactionnaire : « la terre et les prénoms ne mentent pas ».
Dans l’univers Zemmour, on trouve l’immigré comme bouc émissaire de toutes les difficultés, la critique frontale de l’islam (et non du djihadisme), l’hostilité à l’Europe, le tout enrobé dans un retour à une France mythifiée, faisant fi des contresens et des erreurs historiques. Très peu de propositions concrètes, excepté le fait de faire partir 5 millions de musulmans du territoire français, ce qui aussi extravagant qu’irréalisable.
Comment un tel phénomène est-il possible ? Peut-être parce que cette campagne démarre alors que le pays n’a jamais été dans une situation aussi difficile depuis 1945, et que les projets politiques et les propositions n’ont jamais été aussi faibles. Quant aux candidats, ils ne donnent pas l’impression d’une grande solidité. Il y a par ailleurs ce paradoxe : la France est sociologiquement, idéologiquement et intellectuellement à droite alors que politiquement, c’est le grand vide de ce côté. Marine Le Pen a effectué un tournant assez curieux : au moment où tout le monde aspire à l’autorité, elle entre en campagne sur les libertés. C’est un peu comme si Jean-Luc Mélenchon entrait en campagne sur la défense des riches et du capitalisme … Côté LR, où il devrait y avoir un grand potentiel, il n’y a ni candidat, ni stratégie, ni projet, ni mobilisation. La gauche est quant à elle totalement fragmentée, déchirée sur la question de l’identité, des valeurs de la République et du rapport à l’islam. C’est cette configuration qui explique le succès d’Eric Zemmour.
On peut évidemment se dire qu’il aura des difficultés : pas de parti, 500 signatures à récolter, un financement à trouver, et que le thème du grand remplacement, c’est tout de même un peu réduit pour régler tous les problèmes du pays. Mais j’aimerais vous renvoyer à autre précédent historique que je crois éclairant. Il y a à mon avis une comparaison pertinente à faire avec Edouard Drumont, qui publia La France juive en 1886, succès de librairie comparable au Suicide Français. Drumont créa ensuite son journal, La libre parole, il fut évidemment férocement anti-dreyfusard, député d’Alger en 1898 et battu en 1902. Chez Zemmour, le musulman a remplacé le juif, mais à part ça la méthode est la même, notamment la prise à parti des gens à titre personnel. C’est ce que fait Zemmour quand il raconte ses dîners et s’en sert pour accuser des responsables publics.
L’aventure politique de Drumont fut un échec, mais ce fut aussi un moment clef. La IIIème République a finalement surmonté cette crise du nationalisme et de l’antisémitisme mais cela a pris beaucoup de temps et fut une épreuve considérable pour la démocratie, placée en position de grande vulnérabilité. Je crois que c’est cela qui importe avec Zemmour : son aventure politique ne durera peut-être pas, mais son impression sur le débat politique et son rôle dans l’accélération de la crise de la démocratie en France me paraissent durables.

Richard Werly :
Ce qui me semble très important dans le phénomène Zemmour, c’est l’existence en France d’un courant réactionnaire, souhaitant revenir à un passé fantasmé. Il y a bien chez Eric Zemmour un projet sociétal. Il concerne évidemment l’expulsion des musulmans (on ne sait d’ailleurs pas très bien s’il ne s’agit que des immigrés ou s’il inclut aussi les musulmans français), mais aussi les femmes, et même l’organisation de la société.
C’est une constante chez Zemmour : le provincialisme. Certes, lui-même n’est « que » banlieusard mais il se décrit lui-même comme un quidam venu de Montreuil, qui est parvenu à intégrer Sciences-Po. Son projet réactionnaire s’adresse à tous les provinciaux qui sentent aujourd’hui que la « montée à Paris » n’est plus possible.
Je suis en revanche en désaccord avec Marc-Olivier, pour moi Zemmour n’est absolument pas un candidat anti-système, c’est ce qui le distingue de Trump. Ce dernier voulait « faire sauter la banque » pour gagner plus d’argent, son discours pouvait se résumer à « avec moi, vous allez vous enrichir ». Zemmour au contraire est très pro-système, il ne veut que revenir au vieux système de papa. Il le dit dans ses discours et dans son livre : son rêve était d’être énarque. C’est tout de même paradoxal pour quelqu’un se disant révolutionnaire.

Nicole Gnesotto :
Ce qui est fascinant dans le succès d’Eric Zemmour (à mes yeux totalement incompréhensible), c’est que sur le plan sociétal, il est exactement un islamiste. Il n’est pas musulman mais à part ça, il coche toutes les cases. C’est une contradiction que personne ne relève, en tout cas dans son public (ou son électorat ?). Pardon pour cette comparaison un peu extrême, mais cela me fait penser à Hitler, petit homme brun aux yeux noirs, qui défendait la race aryenne, constituée de grands blonds aux yeux bleus …

Philippe Meyer :
Il ne faut pas confondre la nostalgie et la réaction. La réaction, c’est vouloir le retour à des choses ayant existé avant. Personnellement je trouve cela idiot, notamment parce que c’est totalement impossible. La nostalgie est très différente. Elle consiste à regretter des gens, des moments, des situations qu’on ne reverra plus. Autrement dit, elle porte en elle l’acceptation de cette finitude. Un être humain qui n’a pas de nostalgie est une brute, et pas autre chose. On n’a cessé de railler la nostalgie, et on a eu tort : c’est l’un des constituants de l’humanité, et elle me paraît être aujourd’hui dans la situation où se trouvait la libido pendant l’ère victorienne : ça travaille tout le monde, mais il ne faut surtout pas en parler.
Richard évoquait plus haut la nostalgie de l’Algérie. Il m’est arrivé autrefois de faire une émission avec Bernard Cazeneuve, pas du tout politique, il s’agissait de musique et de chansons. Ses parents sont des Pieds-Noirs rapatriés mais M. Cazeneuve lui-même n’avait alors jamais mis les pieds en Algérie. Il avait à choisir des chansons et des morceaux de musique, et j’avais été frappé par le caractère assez triste de sa programmation ; il m’a expliqué que cela venait sans doute de cette nostalgie d’une Algérie qu’il n’avait pourtant jamais connue.

Nicolas Baverez :
Ajoutons que la nostalgie concerne des choses réelles, tandis que la réaction a trait au fantasme.

Biden est-il un autre Trump ?

Introduction

 Philippe Meyer :
Au lendemain de la claque infligée à la France par les Etats-Unis et leur nouveau partenariat stratégique avec l'Australie et le Royaume-Uni baptisé Aukus entraînant l'annulation de la vente de douze sous-marins conventionnels de technologie tricolore à Canberra, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves le Drian qui avait supervisé la vente des sous-marins en tant que ministre de la Défense, en 2016 a déclaré : « Cette décision unilatérale, brutale, imprévisible ressemble beaucoup à ce que faisait M. Trump ». « Cela ne se fait pas entre alliés ». Le choc est d'autant plus grand que les Etats-Unis n'ont pas prévenu Paris. C'est le ministre de la Défense australien qui a décroché son téléphone le 15 septembre, tandis que le 30 août dernier, les Australiens n'avaient rien laissé paraître lors d'une réunion à quatre entre les ministères de la Défense et des Affaires étrangères.
Après le cavalier seul des Etats-Unis lors du retrait d'Afghanistan, le « coup de Trafalgar » des sous-marins australiens éclaire différemment la campagne de Joe Biden qui se définissait comme l'«anti-Trump » et promettait de revenir au multilatéralisme et à un pacte des nations démocratiques basé sur le respect mutuel et la défense des droits de l'homme. Pour Dominique Moïsi dans les Echos : « Loin d'être le sauveur attendu par l'Europe, Joe Biden apparaît au contraire comme un condensé de l'action de ses deux prédécesseurs. Il combine, de manière brutale, le virage vers l'Asie de Barack Obama, et « l'Amérique d'abord » sinon « seule » de Donald Trump. » Il n'a pas levé les principaux sujets irritants de l'ère Trump, comme les tarifs sur l'acier et l'aluminium, ou la résolution du contentieux Boeing-Airbus, remis à plus tard.
En marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York la France a reçu en début de semaine le soutien des dirigeants de l’Union européenne : sur CNN, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a jugé « inacceptable » la manière dont la France a été « traitée ». Le président du Conseil européen, Charles Michel, a dénoncé un « manque de loyauté » des États-Unis. Le China Daily a jugé que l'administration Biden marche sur les traces de Donald Trump et « se comporte dans la région comme un chef de gang de rue amplifiant les différences et provoquant la confrontation en vue de commencer une guerre de territoire ».
La France a formalisé sa colère contre l'Australie et les Etats-Unis en rappelant pour consultation ses ambassadeurs à Washington et à Canberra le 17 septembre. A l’issue du coup de téléphone, le 22 septembre, entre Emmanuel Macron et Joe Biden, à la demande du président américain les deux chefs d’Etat ont affiché leur volonté de calmer le jeu dans un communiqué commun. L’ambassadeur français aux Etats-Unis, retournera à Washington la semaine prochaine.

Kontildondit ?

Nicole Gnesotto :
Il est vrai qu’on a toutes les raisons d’être surpris par la diplomatie de l’administration Biden : retrait d’Afghanistan sans consultation des alliés (alors que l’OTAN y avait tout de même 16 000 hommes au moment de l‘annonce), rupture du contrat franco-australien, et création de cette nouvelle « alliance » (encore informelle) pour encercler la Chine.
S’agit-il d’un tournant dans la politique étrangère américaine ? Je ne le crois pas. Il me semble que ce tournant avait déjà été pris vers 2011 par Barack Obama quand il a annoncé le pivot vers l’Asie et qu’il essaya (sans succès) de retirer ses troupes d’Afghanistan. Biden comme Trump ne font que poursuivre cette nouvelle stratégie, très cohérente. Si le nouvel objectif est la Chine, c’est sur elle qu’il faut concentrer les efforts, et par conséquent il faut quitter le reste.
Que reste-t-il de Trump dans la diplomatie Biden ? Trois éléments. D’abord, l’obsession chinoise. On le savait déjà avant les élections présidentielles, c’est le seul point qui unit Démocrates et Républicains (à ceci près que Trump envisageait l’ennemi chinois sous un angle commercial, avec une politique de sanctions, tandis que Biden a une vision plus globale, avec une politique d’encerclement. Ensuite, l’unilatéralisme. Effectivement, Biden ne consulte ou n’avertit aucun allié. C’est la marque des Démocrates : vanter le multilatéralisme tout en promouvant l’exceptionalisme américain. Enfin, la troisième caractéristique commune entre Trump et Biden, c’est l’amateurisme.
On nous avait présenté Biden comme un grand professionnel, fort de 40 d’expérience à Washington. Or dans les faits, il y a des erreurs absolument grossières. Quitter l’Afghanistan, c’est donner ce pays à la Chine, au moment même où l’on présente cette dernière comme l’ennemi stratégique. C’est aussi donner la base et la prison de Bagram aux talibans, qui s’empressent de libérer 5 000 terroristes …
Il y a également de grandes contradictions dans sa politique, qui la rendent difficilement lisible. En mai, il obtient de l’OTAN la phrase stipulant que la Chine est le « défi systémique » pour l’alliance atlantique au XXIème siècle, et quelques mois plus tard, il poignarde dans le dos la seule grande puissance qui puisse épauler les Etats-Unis sur la scène indo-pacifique : la France. L’alliance avec le Royaume-Uni et l’Australie est également de nature à effrayer les Européens, qui pourraient être tentés de considérer l’OTAN comme obsolète.
Voilà pour les points communs. Quelles sont les différences avec Trump ? D’abord Biden a une vision globale de la menace chinoise, il est dans la réflexion là où Trump était dans l’instinct. Il est entouré d’une équipe, que je qualifierais de « néo-démocrates » (par opposition aux néo-conservateurs de l’ère George W. Bush), qui construit une idéologie : l’Amérique est faite pour défendre la démocratie « contre ». Certes, il s’agit désormais de la Chine, mais je rappelle que les Démocrates avaient tous voté la guerre en Irak. Ensuite, Biden construit dans la durée, là où Trump fonctionnait au coup par coup. L’intensification de sa politique asiatique d’encerclement est tout à fait spectaculaire. Sur le plan du renseignement, il y avait déjà les « Five Eyes » (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Etats-Unis). Il y a désormais le « Quad », très récent (alliance diplomatique entre l’Inde, l’Australie, Japon et USA). Il y a désormais l’Aukus (« Australie-UK-US »). La stratégie du président américain est binaire et purement confrontationnelle, mais elle se construit sur le long terme. Que fera l’Europe dans tout cela ?

Nicolas Baverez :
La vraie continuité est effectivement avec l’ère Obama et le pivot vers l’Asie. Obama en avait parlé, Biden est en train de le faire, en révisant les hiérarchies des menaces, des alliances et des alliés. Kaboul, c’est la fin de la guerre américaine contre le terrorisme. C’est évidemment un énorme problème puisque le djihadisme n’a non seulement pas été vaincu, mais qu’il progresse même plutôt. Le redéploiement dans le Pacifique illustre bien la priorité absolue des Etats-Unis. Ils ont compris la leçon : ils n’y arriveront pas seuls. On sait par exemple qu’en 2050, la marine américaine alignera 350 bâtiments de première ligne, tandis que les Chinois en auront plus de 450. La vitesse de progression de la puissance chinoise force les USA à des alliances. Ils ont donc décidé d’organiser un cantonnement de la Chine dans le Pacifique, sous la bannière anglo-saxonne. L’Aukus n’est que le prolongement de Five Eyes.
Les menaces et les alliances ont donc été ré-hiérarchisées. Il en ressort une priorité à la Chine, faisant passer les menaces djihadiste et russe au second plan ; il y a également la volonté d’obtenir l’implication de l’Inde dans le Quad. Il est désormais évident que l’OTAN est une alliance de second rang pour les Etats-Unis.
Le point commun entre les administrations Biden et Trump se situe dans l’exécution : toutes deux sont calamiteuses. Entre Kaboul et l‘affaire des sous-marins, on est parvenu à égaler le revirement d’Obama sur la Syrie en 2013, ou la suite de coups de force de Trump, qui ont brouillé l’Amérique avec tous ses alliés. Une preuve de plus que dans la diplomatie, le style et le tempo sont extrêmement importants.
On a donc bel et bien une nouvelle guerre froide qui se met en place dans le Pacifique. La situation fait penser à celle de l’Europe de 1914. La Chine fait une grosse erreur : le système tombe dans son camp, mais Xi Jinping veut anticiper et suscite des réactions hostiles. Les Etats-Unis se disent sans doute que c’est la dernière opportunité de bloquer la Chine. Il y a désormais deux systèmes d’alliance et de coalition : USA - Japon - Australie - Nouvelle-Zélande - Taïwan (et peut-être Inde) d’un côté, et Chine - Russie - Iran - Pakistan - Afghanistan des talibans de l’autre. Dans le rôle des Balkans, on a Taïwan.
Le problème est énorme pour les Européens. Cette concentration de forces dans le Pacifique laisse l’Europe à découvert, face à la Russie ou au djihadisme. L’OTAN est de plus en plus insignifiante, et il existe chez les Européens une division profonde sur la manière de réagir à cette évolution du comportement américain.

Marc-Olivier Padis :
Quelques remarques complémentaires après ces analyses assez détaillées. Sur l’amateurisme d’abord. Sur le plan des continuités entre Trump et Biden, on pourrait citer la polarisation extrême de la vie politique américaine. Elle se traduit notamment par une paralysie des nominations dans l’administration, notamment au Sénat. Il y a actuellement 800 nominations en attente, parce que les Républicains les bloquent. Les équipes ne sont donc pas en place, par exemple au Département d’Etat, la Secrétaire d’Etat aux affaires européennes n’est toujours pas nommée. Cela n’excuse ni n’explique évidemment pas tout, mais on comprend que cela ne facilite rien.
Biden a pour le moment exprimé deux lignes stratégiques , même si leur ajustement est problématique. Il y a d’abord la confrontation avec les régimes autoritaires, qui devrait impliquer une solidarité des démocraties face à la Russie ou à la Chine. Or ce n’est pas le cas. Le Secrétaire d’Etat Antony Blinken avait prononcé il y a quelques mois un discours dans lequel il avait parlé de « politique étrangère pour les classes moyennes ». Qu’est-ce que cela signifie ? Tout simplement la défense des intérêts économiques des Etats-Unis : il s’agit de faire en sorte que la mondialisation ne pénalise pas les classes moyennes. Cela dit, la relation commerciale avec la Chine reste centrale d’un point de vue économique : les USA importent beaucoup, les Chinois engrangent des dollars américains et disposent de réserves de change absolument colossales. Ce qui rend la rivalité entre les deux pays si particulière, c’est cette interdépendance économique, qui n’existait pas au temps de la guerre froide.
Autre différence importante : le rapport aux alliés. Pour Trump il n’y avait pas d’alliés. America First signifiait qu’il faisait ce que bon lui semblait, au coup par coup. Pour Biden, il y a des alliés, mais tous n’ont pas la même importance. La sphère anglophone prend clairement le dessus. Mais quand on entend Biden dire que l’Australie est le meilleur allié que les Etats-Unis aient jamais eu, on tombe un peu des nues …
Que doivent faire les Européens dans un tel contexte ? Les Français ont une vision et une proposition. Elle n’est cependant pas partagée par le reste des Européens. Cela ne signifie pas nécessairement que la France a tort, simplement qu’elle est isolée, et qu’elle va avoir du mal à convaincre ses partenaires qu’une autonomie stratégique européenne est le bon choix. Dans son discours sur l’état de l’Union du 15 septembre, Ursula von der Leyen a cependant repris plusieurs expressions très françaises, comme la « souveraineté technologique de l’Europe », donnant ainsi des signaux en ce sens. Il n’en reste pas moins que la plupart des Européens sont sur une position à l’allemande : c’est l’OTAN qui compte. En outre l’Allemagne, à cause de la période électorale qui commence, est à peu près hors-jeu du point de vue européen jusqu’à décembre. La France prend la présidence de l’Union en mars-avril, mais les élections présidentielles la mettront ensuite hors-jeu à son tour. Grosso modo jusqu’à l’été, l’Europe sera muette.

Richard Werly :
Comparer Biden à Trump est tout de même extrêmement sévère pour Joe Biden. Cela voudrait dire qu’il n’est que la nouvelle incarnation d’un président essentiellement préoccupé de commerce, prêt à renverser les institutions s’il le faut, etc. Pour ma part, je ne crois pas du tout Que Biden ressemble à Trump, tant au niveau national qu’international. Ceci étant dit, il hérite de l’Amérique de Trump, c’est un fait. Il a compris qu’un certain nombre de choses dites et faites par Trump convenait à une grande partie de l’opinion américaine. Mais il faut admettre qu’il est un peu ligoté par cet héritage ; Trump a imposé ce rapport de forces avec la Chine comme premier élément de la politique extérieure américaine.
Je relève deux caractéristiques notables dans l’action de Joe Biden. Tout d’abord, il veut aller vite. Le président américain estime sans doute que c’est maintenant qu’il peut poser sa marque sur son mandat. Ce sera sans doute plus compliqué après les élections de mid-term, qui pourraient s’avérer difficiles pour son camp. Il faut toujours avoir à l’esprit le calendrier de la politique intérieure américaine quand on examine la politique étrangère.
Ensuite, Trump faisait du commerce, Biden fait de la politique. Quand vous faites du commerce, les alliés sont toujours de circonstance : l’essentiel est qu’on achète vos marchandises. Quand vous faites de la politique, vous vous inscrivez davantage dans la durée, et au fond, Joe Biden ne fait qu’appliquer à la lettre la loi du plus fort : imposer aux alliés un calendrier et des priorités, que cela leur plaise ou non.
Enfin, concernant l’affaire des sous-marins, je comprends évidemment la colère et la déception de la France et de son complexe militaro-industriel, mais franchement, que l’Australie achète des sous-marins américains et confie aux Etats-Unis sa sécurité maritime n’a rien d’étonnant. C’est même logique, dans la mesure où si quelque chose de violent devait se produire entre la Chine et l’Australie, l’allié naturel de Canberra serait évidemment les Etats-Unis. Du point de vue de la pure Realpolitik, l’Australie est donc tout à fait cohérente en revenant dans les clous. La France n’a été qu’une tentation, compréhensible puisqu’elle est advenue pendant l’ère Trump, mais qui a fait long feu.
Je crois que Biden est un pragmatique, qui regarde le monde tel qu’il est, et tape du poing sur la table quand il estime que c’est nécessaire. Il ne changera pas, car il sait que c’est son autorité qui est en jeu.

Les brèves

Apocalypses

Nicolas Baverez

"Je vous recommande la lecture du livre de Niall Ferguson, un historien écossais. L’auteur retrace l’histoire de tous les grands chocs subis par l’humanité. Éruptions, tremblements de terre, épidémies, et guerres. Il montre qu’à chaque fois, la surprise et l’impréparation sont totales, le politique est incompétent, et qu’il n’existe pas de cycle permettant de prévoir ces événements. Les bouleversements sont donc à chaque fois considérables, sur les mentalités et sur le système géopolitique. On s’aperçoit ainsi qu’aucune leçon n’est tirée de l’Histoire, et même qu’à l’inverse, l’illusion technologique va de pair avec une explosion de l‘irrationalité. Force est de constater que cette période de sortie de pandémie ressemble à cela : au lieu de s’efforcer d’être prêts pour les prochains grands chocs, c’est l’irrationalité qui progresse."

Les puissances mondialisées - Repenser la sécurité internationale

Nicole Gnesotto

"Je reviens à la géopolitique pour vous recommander le dernier ouvrage de Bertrand Badie. J’ai déjà recommandé d’autres livres de ce grand professeur de science politique ici, notamment parce que sa pensée est assez iconoclaste, par rapport aux thèses prégnantes en France et plus généralement en Occident. Il est par exemple très mal vu au Quai d’Orsay, puisque l’une de ses thèses est de dire que la géopolitique est terminée, que dans la mondialisation, se fonder sur les territoires, les souverainetés nationales et les rapports de force pour penser la sécurité internationale, c’est se tromper de sujet. Les grands défis sont mondiaux ne se traitent pas avec des moyens militaires. Sa pensée peut très bien être contestée, je suis personnellement en désaccord sur plusieurs points, mais je reconnais que chaque fois que j’ai lu un livre de Bertrand Badie, il m’a fait réfléchir."

Une femme française

Richard Werly

"Ma brève sera méchante. Je m’étonne de la manie qu’ont les politiques français de faire des livres inutiles, le dernier en date étant celui d’Anne Hidalgo. J’ai acheté ce livre avec gourmandise, parce que je me disais qu’ « une femme française », arrivée en France à deux ans, devait être un récit intéressant, que j’allais apprendre quelque chose sur la France. Très franchement, cela ne mérite absolument pas d’être lu. C’est un programme politique pas très bien écrit, où ne figure rien d’original sur la personnalité d’Anne Hidalgo ni sur son itinéraire. Je lance donc un appel : mesdames et messieurs les candidats, si vous faites des livres en espérant que la presse en parle, je vous en supplie, rendez-les intéressants."

Wheels

Marc-Olivier Padis

"Comme nous avons la chance de pouvoir retourner aux concerts, je vais parler de musique, et comme notre ami François Bujon de l’Estang n’est pas là, je me permettrai de parler de jazz à sa place. Je vous recommande un disque qui vient de sortir, de deux pianistes, Ray Lema et Laurent de Wilde. Le disque s’intitule « Wheels », qu’on pourrait traduire par « roues », mais aussi « rouages », parce que l’ajustement des deux pianos est une mécanique de très haute précision. Les inspirations sont africaines, les rythmes sont transformés à leur manière, « jazzifiés ». Le travail d’écoute et d’entente entre les deux pianistes est absolument magnifique. Un bonheur."

Lorsque le dernier arbre

Philippe Meyer

"Il y a plusieurs façons de dire d'un roman « c'est un gros roman ». Il y a la façon résignée et il y a la façon gourmande. C'est la seconde qui convient pour parler de Lorsque le dernier arbre, premier roman publié par Albin Michel du jeune canadien Michael Christie, livre habilement construit en allers-retours entre 2038, époque où le contact avec la nature sera réservé aux possesseurs de grandes fortunes et 1908, période où peuvent commencer des fortunes fondées notamment sur l'exploitation forestière. Christie mélange un sens impressionnant du suspense et de la construction dramatique avec une connaissance intime des arbres et des forêts qui en font des personnages d’un roman qui est aussi un roman politique de l'urgence environnementale. Ajoutons que je recevrai la traductrice de ce livre ; Sarah Gurcel, dans un prochain bada de la série « Si c’est pour la Culture, on a déjà donné »…"