Biden en Europe : changement et continuité / La France au Sahel : partir revenir / n°198 / 20 juin 2021

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BIDEN EN EUROPE : CHANGEMENT ET CONTINUITÉ

Introduction

Philippe Meyer :
« L’Amérique est de retour à la table », a déclaré le président américain le 13 juin, à l'issue du G7 organisé au Royaume-Uni. Le premier voyage à l’étranger de Joe Biden l’a conduit d’abord au sommet des pays industrialisés du G7 du 11 au 13 juin, en Cornouailles, puis à Bruxelles pour un sommet de l'OTAN, avant de rencontrer les dirigeants de l'Union européenne. Enfin, il a eu un tête à tête avec Vladimir Poutine à Genève, le 16 juin. Dans une tribune publiée le 6 juin par le Washington Post, le président Biden a expliqué qu'il venait en Europe pour « rassembler les démocraties du monde autour de l'Amérique. » Toutefois, signe de l'intérêt tout relatif porté par l'administration Biden à l'Europe, les ambassadeurs américains auprès de l'Union européenne et de l'Otan, en France, au Royaume-Uni ou en Allemagne n'ont toujours pas été nommés.
Les trois priorités affichées de Biden sont le climat, la Covid, et la Chine. Il a insisté sur la nécessité pour les États-Unis de travailler dans ces domaines avec des pays qui « partagent nos valeurs et notre vision de l'avenir - d'autres démocraties ». Critiqué pour son approche de la vaccination America first et pour son refus, pendant des mois, d'exporter le moindre flacon, Biden a annoncé en Cornouailles le don par les Etats-Unis de 500 millions de doses aux pays pauvres.
A Bruxelles, le président américain a pris le contre-pied de Trump, en qualifiant l'Otan d'« Alliance la plus réussie de l'histoire du monde », et a affirmé « l'engagement inébranlable des États-Unis à l'égard de l'article 5 », cette disposition qui garantit que les alliés viendront en aide aux États membres en cas d'agression. Biden veut aussi étendre la vigilance de l'Otan à des menaces plus modernes, comme les cyberattaques contre les infrastructures, qui se multiplient ces dernières années. Washington a décidé de faire de l'attribution des cyberattaques un des piliers de sa politique d'endiguement envers la Russie et la Chine. Ce choix se traduit par la désignation de plus en plus directe des auteurs présumés des attaques contre les intérêts des Etats-Unis, comme dans le cas de l'affaire SolarWinds, révélée fin 2020, que le président Biden a officiellement attribuée, mi-avril, à la Russie. Le communiqué final du sommet proclame que « les ambitions déclarées de la Chine et son comportement affirmé représentent des défis systémiques pour l'ordre international fondé sur des règles et dans des domaines revêtant de l'importance pour la sécurité de l'Alliance ». Après l'élection de Joe Biden, son administration avait fait passer au quartier général de l'OTAN un message selon lequel l'Alliance devrait mettre sur le même pied les menaces chinoise et russe.
Avant de rencontrer Vladimir Poutine à Genève, Joe Biden a répété : « Nous ne cherchons pas le conflit avec la Russie. Nous voulons une relation stable et prévisible ». Les présidents américain et russe sont convenus de lancer des consultations sur la cybersécurité et la limitation des armements nucléaires, ainsi que du retour de leurs ambassadeurs respectifs à Moscou et à Washington.

Kontildondit ?

Richard Werly :
Quelques remarques sur les postures, tout d’abord, puisqu’il se trouve que j’étais à Bruxelles pour suivre le sommet de l’OTAN et le sommet entre les Etats-Unis et l’Union Européenne. Ce dernier était en réalité un sommet à trois (Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, Charles Michel, président du Conseil européen, et Joe Biden) plutôt qu’à vingt-sept.
Tout d’abord, et même si c’est bien connu, l’attitude de Biden est diamétralement opposée à celle de son prédécesseur Donald Trump. C’est ce que j’appelle la stratégie du silence. Le président américain a fait très peu de conférences de presse, et quand il en a faites, c’était devant des journalistes américains. Il n’a absolument pas dérogé du planning prévu, là où Donald Trump pouvait improviser à tout moment. La chorégraphie diplomatique est donc très précise, elle correspond à ce personnage élu sans réelle campagne électorale (puisque l’épidémie l’a contraint à mener celle-ci derrière des écrans, depuis son sous-sol).
J’ai retenu quatre verbes, pour résumer ce qu’on peut retenir de cette visite Bruxelloise. Le premier est apaiser. On le sait, Biden entend rassurer ses alliés, contrairement à la surenchère permanente de Trump, qui visait à décrocher des commandes d’armes. Au contraire, Joe Biden a réaffirmé son attachement à l’OTAN et à sa charte, dont Trump avait laissé entendre que l’article 5, obligeant à l’entraide en cas d’agression, pourrait être reconsidéré.
Deuxièmement, il veut cibler. Le rival désigné est clairement la Chine. C’est la première fois qu’elle apparaît dans un communiqué final de l’OTAN, et le terme de « défi systémique » est très important de la part d’une alliance qui n’est pas censée être globale, puisqu’elle ne concerne théoriquement que l’Atlantique Nord. C’est d’ailleurs ce qu’a fait remarquer Emmanuel Macron, qui a déclaré qu’il n’était pas question de délocaliser l’OTAN vers l’Asie.
Troisièmement : restaurer la solidarité du monde libre. Biden l’avait déjà dit au Washington Post, il l’a répété à Bruxelles : nous (les démocraties) faisons face ensemble à des adversaires qu’il faut absolument contenir.
Enfin, et c’est probablement le verbe qui fut le plus oublié selon moi : durer. Durer, parce que Joe Biden s’efforce de mettre en place une prévisibilité nouvelle. Avec Trump rien n’était stable, tout n’était que chaos. C’est d’ailleurs ce que Vladimir Poutine a fait remarquer à Genève ; ce que veut la Russie, c’est un environnement prévisible. C’est ce que Biden apporte : il fixe une ligne à ses alliés comme à ses adversaires, à propos de laquelle il est possible de se positionner. Cette notion de durée semble essentielle, au point qu’on se demande s’il ne reconsidère pas sa promesse d’effectuer un mandat unique …

Béatrice Giblin :
Après une sorte de « Bidenmania », on commence à voir que les Américains restent les Américains. Ils font passer leur intérêt d’abord. Si le chaos de l’ère Trump est terminé, l’arrogance classique et le sentiment de supériorité demeurent. Il a bien fallu dans le communiqué final faire une référence à la Chine, alors que, comme l’a rappelé Richard, la Chine n’a pas grand chose à voir avec l’Atlantique Nord … Mais les Etats-Unis ont le poids nécessaire pour imposer cette reconfiguration.
Le fameux article 5 est un autre point décisif sur lequel s’est exprimé Joe Biden. Le président américain a réaffirmé « vous pourrez compter sur nous en cas de besoin », précisant que le besoin en question comprenait la cyberattaque. C’est à mon avis préoccupant, car il est par nature très difficile de savoir qui a mené une cyberattaque. D’autre part, quand bien même saurait-on précisément qui cibler, quelle est la réponse appropriée à une cyberattaque ? Une autre cyberattaque, ou des moyens armés classiques ? Quel est le niveau de riposte approprié ? Ce point qui se voulait rassurant est en réalité très nébuleux et assez problématique. Les Etats-Unis sont la cible de nombreuses cyberattaques, eux-mêmes en mènent chez bon nombre de leurs ennemis, cela demande des compétences très pointues, et je crains que l’Europe n’ait pas le niveau technologique pour ce nouveau champ de bataille.

Nicolas Baverez :
Cette séquence diplomatique était très importante. Après avoir reçu les dirigeants asiatiques, cela a lancé la présidence Biden du côté de l’Europe et de la Russie. Après une crise de la Covid qui a laissé l’Occident en très mauvaise posture, et une présidence Trump qui fut un cauchemar pour l’ensemble du monde démocratique.
J’ai trouvé cette séquence plutôt réussie. Pour ma part, je n’ai pas trouvé du tout que Joe Biden s’est montré arrogant. Les résultats sont certes limités, mais les signaux politiques sont passés.
Quels sont-ils ? Premièrement, les démocraties et l’Occident ne sont pas finis, contrairement aux déclarations d’un certain nombre de dirigeants autoritaires. Et deuxièmement, les Etats-Unis et l’Europe sont désormais réalignés. Il est vrai que derrière cela, il y a le grand projet américain d’une alliance des démocraties (qu’ils dirigeraient, évidemment), comprenant un pilier européen et un pilier asiatique. Vis-à-vis de Poutine, l’objectif était très clair : la désescalade. Après des relations qui n’avaient pas été aussi mauvaises depuis le cœur de la guerre froide, nous avons eu ce message de dialogue et de stabilité. Une réelle ouverture s’est produite. J’insiste sur le fait que les Américains ont donné par ailleurs des signaux positifs à l’Europe, préoccupée par le climat et la Covid. Les 500 millions de doses de vaccins à destination des pays pauvres ne sont tout de même pas un geste négligeable, ni les déclarations commerciales, avec le règlement du contentieux Boeing - Airbus. Côté Poutine, il y a eu deux choses importantes, la prolongation du traité New Start, et la levée des sanctions sur le gazoduc Nord Stream 2. Tout cela avant le début des sommets. Comme le disait Richard, on assiste à un retour du professionnalisme et de la maîtrise de la diplomatie américaine qu’on n’avait pas connus depuis longtemps.
Ceci étant dit, la question « l’Amérique est-elle de retour ? » en contient trois. « Quelle Amérique ? », « Où est-elle de retour ? » et « pour combien de temps ? »
Quelle Amérique ? Certainement pas celle de 1945. On voit qu’elle reste extrêmement fracturée, et que Biden lui-même a le plus grand mal à faire passer ses plans au Congrès. Où est-elle de retour ? Il est évident que la priorité n°1 en matière de politique étrangère des USA, c’est la Chine. Pour la contenir, il faut arriver à refaire l’Amérique. Il s’agit donc de gagner du temps, consolider le reste, c’est à dire les alliés, et cesser l’escalade avec la Russie. Mais il est clair que la priorité n’est ni l’Afrique, ni l’Europe, ni le Moyen-Orient. Pour combien de temps ? C’est la grande question, celle qui explique pourquoi Biden va si vite sur les plans économique et stratégique. Du côté des Républicains, c’est Trump qui a repris la main, le Grand Old Party est en train d’essayer, de manière totalement anti-démocratique, de retirer le droit de vote à toute une partie des minorités, le problème intérieur est donc gigantesque et va se reposer très bientôt.
L’Europe, c’est surtout le problème des Européens, et pas tellement celui de l‘Amérique. L’Europe n’a pas été capable de proposer un agenda transatlantique à l’équipe Biden, il y a certes un concept d’autonomie stratégique, mais personne ne s’accorde dessus : les Allemands refusent d’y inclure la sécurité, au Nord et à l’Est, tout le monde compte sur l’OTAN face à la Russie, la désorganisation est très grande. Enfin, pour les Russes comme pour les Chinois, l’Europe, c’est l’Allemagne. C’est d’ailleurs Mme Merkel qui a été invitée à Washington.

Lionel Zinsou :
Je décentrerais volontiers l’analyse en prenant un point de vue africain ou moyen-oriental. C’est bien légitimement que l’Europe a été flattée que le président Biden n’ait pas commencé par le Canada (comme l’avait fait Obama) ou par le Mexique (comme l’avait fait Bush), ou par l’Arabie Saoudite (comme l’avait fait Trump). Mais ce qui intéresse le reste du monde, en dehors de cette relation passionnelle « je t’aime moi non plus » avec l’UE, c’est le retour du multilatéralisme, incroyablement rapide et efficace.
Les USA sont revenus dans l’OMS, ils ont débloqué l’OMC (qui était incapable de nommer des juges pour les contentieux, ou même d’avoir une directrice générale), ont donné leur feu vert à la distribution de 650 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux, qui étaient une idée de l‘Union africaine, coproduite avec l’UE (et largement à l’initiative des présidents Macron et Ramaphosa, qui avaient chacun convaincu leurs homologues dans chaque contient), et bloquée par l’administration Trump. Pour l’Afrique, cela apportera entre 2% et 4% du PIB, de quoi éponger les pertes de la récession de 2020. Il s’agit d’éléments tout à fait fondamentaux. Il y a déjà des éléments concrets comme sur le contentieux Airbus - Boeing, mais il y en aura d’autres. A l’évidence, il y en aura sur l’acier et l’ensemble des produits qui ont opposé l’UE et les Etats-Unis. Ce retour du multilatéralisme est donc absolument fondamental.
Quand vous parlez avec les gens de l’administration Biden, vous retrouvez une disposition favorable vis-à-vis de l’aide publique au développement, avec une doctrine très forte. Les nouveaux dirigeants du DFC (Development Challenge Corporation), du Millenium challenge, les moyens budgétaires considérables, tout cela est un changement radical par rapport à l’administration Trump, mais bien au-delà également de l‘administration Obama. Ce sera également très important pour le budget des Nations-Unies, qui étaient paralysées par l’administration Trump.
Je suis également frappé par le fait qu’au-delà de l’Amérique, c’est l’Occident qui est de retour. Le narratif a changé. J’avais autrefois recommandé à nos auditeurs un petit livre de Kishore Mahbubani (diplomate Singapourien) intitulé « L’Occident (s’)est-il perdu ? ». Le livre répondait : « évidemment oui ». Or il semble que Biden ne soit pas de cet avis, et que pour lui tout n’est pas joué.
Il y a évidemment un sujet systémique à propos de la Chine. Je vous entends dire qu’il ne faut pas délocaliser l’OTAN, et que celui-ci a vocation à s’occuper de l‘Atlantique Nord. Mais la Chine est extraordinairement présente autour de l‘Atlantique ; le Portugal, la Grèce, à certains égards l’Italie, la Hongrie, l‘Europe de l’Est, en termes d’investissement et de commerce sont de plus en plus sous des influences chinoises. Il y a donc indubitablement un sujet systémique, qui dépasse la scène asiatique.
D’autre part, la position sur l’Occident est cohérente avec ce qui est fait aux Etats-Unis, en termes de programmes d’innovation bipartisane. Les Républicains n’ont pas réussi à bloquer le plan de relance, qui va d’ailleurs apporter au reste du monde un point de croissance. Mais ce n’est pas tout, il y a également le nouveau plan d’infrastructures, auquel il faut ajouter un plan d’innovation technologique massif. C’est une déclaration d’intention : « nous allons remporter la bataille de la technologie et de l’innovation ». Le nouveau narratif peut se résumer ainsi : les jeux ne sont pas faits, l’Occident n’a pas dit son dernier mot.
Dans des continents comme l’Afrique et une bonne partie de l’Asie, les USA avaient la réputation de soutenir les régimes les plus ignobles, parce qu’il y avait la guerre froide et qu’il fallait choisir son camp. Désormais, il y a là aussi un défi systémique, et probablement un risque de nouvelle guerre froide, mais on a mis des conditionalités démocratiques qui sont tout de même profondément nouvelles. L’écho de cela dans les pays d’Asie est très grand. Les démocraties asiatiques ont grand besoin d’être soutenues et là, clairement, le reste du monde a entendu.

Richard Werly :
Un défi systémique est posé par la Chine à l’OTAN, mais je nuancerai un peu le propos de Lionel, car Joe Biden a posé un autre défi systémique, à l’Union Européenne cette fois. Le défi chinois n’est pas un défi militaire, en tous cas pas seulement. Il l’est en partie, parce que la Chine déploie ses troupes, s’équipe, etc. Mais c’est aussi un défi économique et technologique. Et à partir du moment où on déclare qu’il faut affronter la Chine sur tous ces terrains, cela pose une grande difficulté à l’Europe car elle est dépendante des Etats-Unis dans beaucoup de ces domaines, et il y a un risque que cette dépendance européenne s’accroisse.
D’autre part, à partir du moment où l’on parle de modèle démocratique et de conditionalité démocratique, il n’y a pas de raison que cela ne s’applique qu’à l’Asie lointaine, cela vaut aussi au sein de l’Europe. Je suis curieux de savoir quelle sera à l’avenir l’attitude de l’administration Biden par rapport aux pays de l’Est européens.

Béatrice Giblin :
C’est peut-être aller un peu vite que de dire que la menace chinoise n’est pas de nature militaire. La Chine mène des opérations d’entraînement et de coopération militaire avec la Russie, et cette entente devrait nous concerner au premier chef. La Chine ne cesse de clamer qu’elle n’a que des intentions pacifiques, mais il y a quelques points du globe, comme en Mer de Chine du Sud, où il est permis d’en douter …
On ne peut douter de la conviction d’un certain nombre de Chinois que leur pays va redevenir l’Empire du milieu, quels que soient les obstacles qui leur barrent la route. Cependant, Le Monde faisait état d’un mouvement chez les jeunes Chinois, qui demandent le droit à la paresse et décident de ne plus se lever. La vie où il faut travailler douze heures par jour pour un salaire de misère ne leur fait pas très envie. Les problèmes seront donc peut-être internes, il ne faut pas désespérer de tout.
On dit que la Chine exerce une séduction très forte dans le monde, jusqu’en Europe. En Hongrie par exemple, elle réalise un immense campus, destiné à des étudiants chinois, mais dont les coûts de réalisation et d’entretien incomberont surtout aux Hongrois. Je ne suis pas sûre qu’un modèle pareil séduise très longtemps. Les Grecs par exemple, sont désormais revenus des « nouvelles routes de la soie ».

LA FRANCE AU SAHEL : PARTIR REVENIR

Introduction

Philippe Meyer :
Plus de huit ans après l'intervention militaire française au Mali qui avait permis en 2012 de sauver sa capitale Bamako des groupes armés djihadistes et deux semaines après la survenue d'un nouveau coup d'État dans ce pays, le président Macron a annoncé, le 10 juin, « la fin de l'opération Barkhane en tant qu'opération extérieure » et la transformation profonde de la présence française au Sahel. Sans s'engager sur un calendrier ou une réduction chiffrée des effectifs, le chef de l’État a décidé d'un retrait progressif des forces françaises. « Le rôle de la France n'est pas de se substituer à perpétuité aux États », du Sahel, a-t-il expliqué en refusant de voir l'armée française « sécuriser des zones » auparavant contrôlées par les terroristes sans réengagement des États, essentiellement du Mali. Toutefois, Emmanuel Macron n'a pas annoncé un départ définitif et complet du Sahel. Le plan de sortie se veut progressif. Aujourd’hui, Paris déploie quelque 5 100 soldats sur onze bases militaires dont six au Mali - les autres étant au Tchad, au Niger et au Burkina Faso en soutien aux armées des États du Sahel qui peinent à combattre seules les djihadistes du groupe État islamique et Al-Qaïda. Après le second coup d'État au Mali en mai, la France a gelé cette mission d'accompagnement et veut désormais se concentrer sur la lutte ciblée contre les djihadistes. La future présence française au Mali devrait s'organiser autour de deux axes. Un premier pilier poursuivra la coopération avec les partenaires locaux. La mission de formation de l'Union européenne au Mali en sera l'axe central. L'autre pilier se concentrera sur la lutte antiterroriste. Elle sera structurée autour de la force Takuba. Lancée en juillet 2020, elle compte 600 militaires des forces spéciales, dont 300 Français et 300 Européens. Ses missions consistent à former et accompagner au combat les armées locales. L'armée française demeurera « la colonne vertébrale » de Takuba, a assuré Emmanuel Macron en évoquant « plusieurs centaines de soldats ». Barkhane est l'opération française la plus longue et la plus coûteuse - environ 800 millions d'euros par an - depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le 13 juin, rejetant tout lien avec la décision de clore l’opération Barkhane, le chef d'état-major des armées depuis juillet 2017, le général François Lecointre a annoncé qu'il quitterait ses fonctions le 21 juillet. « Il n'est pas bon qu'un chef d'état-major des armées puisse être exactement aligné sur un mandat présidentiel, a-t-il insisté. Il faut à tout prix préserver les armées d'un risque de soupçon sur leur absolue neutralité politique. » Une décision qu’il dit avoir pris fin 2020, avant les tribunes de militaires dans Valeurs Actuelles et l’annonce de la fin de Barkhane. Le successeur de François Lecointre sera l'actuel chef d'état-major de l'armée de terre, le général d'armée Thierry Burkhard. À court terme, le nouveau chef d’état-major des armées va devoir gérer la fin de l’opération Barkhane et la transformation de l’intervention militaire française au Sahel.

Kontildondit ?

Nicolas Baverez :
L’armée est connue pour être la « grande muette », mais il se trouve qu’elle est confrontée à plusieurs événements simultanés, qui forcent à réfléchir à ces questions, d’ordinaire réservées aux spécialistes. Il y a le départ volontaire du général Lecointre, quatre ans après le départ forcé et très controversé du général de Villiers. Il y eut ensuite les tribunes de Valeurs actuelles, et enfin l’annonce de la fin de l’opération Barkhane. Du côté de l’OTAN, deux mouvements importants et paradoxaux : d’abord le retrait d’Afghanistan après 20 ans, au moment où l’on veut faire de l’Indo-Pacifique, et le « retour » de l’Amérique, compromettant les efforts d’autonomie stratégique déployés pendant l’administration Trump.
La situation est donc la suivante : succession de mouvements importants, indéniable malaise des armées, et changement très rapide des situations stratégiques. Nos armées doivent répondre à un éventail très vaste de menaces : terrorisme sur le territoire national et au Sahel, mouvements de régimes autoritaires comme la Turquie en Méditerranée orientale, en Syrie ou en Libye, et enfin les nouveaux continents : les pôles, où la Chine s’installe, l’espace, et le cyberespace. Dans ce dernier, trois menaces : sur les infrastructures publiques, les rançons demandées aux entreprises, et la désinformation.
Les armées françaises restent un pôle d’excellence, mais elles souffrent de ce grand écart entre leurs missions et leurs moyens. Au Sahel, on s’interroge sur cette intervention à 1 milliard par an, où sont engagés un peu plus de 5 000 soldats français, dont les résultats laissent de plus en plus perplexes, et dont l’environnement se dégrade.
Les questions qui se poseront au prochain président de la République seront très importantes. On peut reconnaître que le timing de ce qui vient de se passer est désastreux. Comment peut-on annoncer le départ du chef d’état-major des armées en même temps que l’arrêt de Barkhane ? Et le tout, la veille d’un sommet majeur de l’OTAN … C’est franchement incompréhensible, et révèle un défaut de maîtrise. Que fera-t-on en Afrique ? Une présence française uniquement constituée de forces spéciales et d’avions ne permettra pas de répondre à l’extension du djihadisme dans toute l’Afrique de l’Ouest. D’autre part, le renouvellement de la dissuasion va coûter 6 milliards par an, et personne ne sait comment financer cela en même temps que les nouveaux investissements dans le cyber. Est-on seulement capables de définir un régime des opérations extérieures ? Car avant le Sahel, on ne peut pas dire que la Libye ait été un succès stratégique. Comment répond-on aux combats de haute intensité, comme avec la Turquie en Méditerranée ? Et quelle place pour l’Europe dans tout cela, puisqu’aucun de nos partenaires ne partage notre conviction, selon laquelle l’autonomie stratégique doit aussi être une autonomie militaire ?

Béatrice Giblin :
Il est certain que le calendrier des annonces a été pour le moins maladroit. Ceci étant dit, cela faisait un moment que l’on essayait de sortir de la situation au Sahel. On était bien conscient que la situation ne s’arrangeait pas ,même si certains succès avaient été obtenus dans l’élimination de certains leaders ennemis. Le second coup d’Etat au Mali a été l’opportunité de se retirer, puisqu’on ne pouvait cautionner ce genre de choses. C’était évidement un prétexte, accéléré aussi avec la mort d’Idriss Déby au Tchad. Il s’agissait de sauter sur une occasion, même si celle-ci s’est présentée à un mauvais moment.
L’opération Barkhane était mal partie depuis longtemps. 5 000 hommes pour un territoire aussi immense et désertique, face à des adversaires connaissant parfaitement le terrain, c’était parfaitement intenable, en dépit de l’équipement de pointe. Le coût est très élevé, mais surtout, quelle finalité à cette opération puisque le djihadisme s’est étendu au Niger, au Burkina Faso, avec par exemple des massacres récents dans un village burkinabé situé dans une région ordinairement très calme, où l’on n’avait pas connu l’histoire de l’esclavage, contrairement au Mali, où l’Histoire peut expliquer certaines exactions.
Sur le plan militaire, on peut dire que l’armée française aura beaucoup appris sur ce théâtre d’opérations. Mais on n’a pas parlé de la perception des Maliens de la présence française. Elle était de plus en plus négative pour les jeunes de Bamako, par exemple. Je ne suis pas sûre qu’il en soit de même sur les terrains d’intervention du Nord du pays, mais dans la capitale, l’opposition à la présence française ne cessait de croître.
Le soutien apporté à des régimes corrompus, au nom d’accords passés, et au-delà sans doute du raisonnable, nous ont entraînés dans des situations contestables. Un certain nombre de voix en France se sont d’ailleurs élevées contre cela (je pense par exemple à l’ambassadeur Jean-Christophe Rufin) et elles l’ont vite payé en étant marginalisées. Peut-être est-il temps de régler tout ça.

Richard Werly :
Il n’y a rien de pire pour une armée que de gagner une guerre qu’elle sait condamnée à être perdue. On l’a vu en Afghanistan, et je pense que c’est une situation comparable au Sahel. Je ne suis cependant pas tout à fait d’accord avec Béatrice, si l’on compare la situation d’aujourd’hui avec le point de départ de 2013, cette guerre du Sahel si difficile a tout de même été gagnée. L’objectif militaire a été rempli, mais la difficulté est que la situation n’est pas tenable, et les militaires français le savent très bien. C’est intenable pour deux raisons. La première a déjà été évoquée : la superficie et la nature du terrain, la réalité socio-économique, la perception de la population … La seconde a à voir avec le récent coup d’Etat : quand vous formez des troupes d’élite, elles se retournent contre le gouvernement en place. C’est d’ailleurs ce que redoutait Idriss Déby : la formation de centurions ambitieux qui, sitôt qu’ils en auraient la compétence et les moyens, se retourneraient contre le gouvernement qui les a mandatés.
Il me semble que la décision d’Emmanuel Macron vise à quitter un bourbier au bon moment, c’est à dire avant qu’il ne soit trop tard, comme pour les Américains en Afghanistan. Petite incise économique : l’opération américaine en Afghanistan ne s’appuyait que sur de l’équipement américain. Même si son coût était faramineux, elle permettait au moins à l’industrie de la défense de prospérer. Pour Barkhane, il n’en va pas de même.
Quant au départ du chef d’état-major, j’ai récemment écrit un article assez sévère sur cette annonce, et je me suis pris une volée de commentaires courroucés sur les réseaux sociaux, de la part de militaires ou de gens proches de l’armée, me disant : « vous ne comprenez rien à l’armée française, cette démission montre au contraire que tout va très bien ». J’avoue qu’il va falloir m’expliquer pourquoi cette décision serait le signe d’un état de santé parfait …
Nous entrons dans une zone floue, évidemment liée à l’élection présidentielle. Un tel flottement stratégique sur Barkhane, une incapacité à impliquer les partenaires européens dans la sécurité, et un départ du chef d’état-major dans une période de présidentielle, rien de tout cel n’est bon, et cela prouve que depuis le début de son quinquennat, Emmanuel Macron n’a pas réussi à trouver ses marques vis-à-vis de l’armée.

Philippe Meyer :
Je ne suis pas sûr que la force Takuba soit au centre des débats pour l’élection présidentielle, mais elle le devrait.

Lionel Zinsou :
L’opération Barkhane, tout comme l’opération Serval qui l’avait précédée et avait sauvé Bamako en 2013, est réussie. Il me paraît important de le dire, car cela ne transparaît pas dans beaucoup de commentaires. Entre les forces de sécurité des pays du Sahel et les terroristes, le rapport de forces ne laissait aucune chance aux États. Il y a eu une forme de résilience, car ils existent encore. Économiquement, ces huit dernières années, le Niger, le Burkina Faso et le Mali ont eu une croissance économique moyenne de 5% par an. On insiste toujours sur l’Etat failli, la misère, mais il faut reconnaître que sous une pression sécuritaire extrême, il y a eu des éléments de résilience, grâce à l’opération Barkhane.
De même, on ne parle jamais d’une autre opération, beaucoup plus européenne celle-là, dans la corne de l’Afrique : celles des Marines de l’UE, qui ont éradiqué la piraterie au large de la Somalie, permis le fonctionnement normal des transports de marchandises. C’est une victoire éclatante, et pourtant complètement inconnue de l’opinion française ou européenne. C’est aussi une première affirmation d’identité d’une souveraineté stratégique européenne, qui est en train de se déployer à présent dans le Golfe de Guinée, puisqu’il y a aussi de la piraterie au large du Nigéria (bien qu’elle soit moins importante).
L’immensité du territoire a déjà été évoquée, mais je vais y insister, car 5 100 soldats français et 3 000 de la Minusma, ainsi que des régiments travaillant avec Barkhane, c’est très peu face à 5 millions de kilomètres carrés. J’ai fait l’addition : pour les cinq pays du Sahel, le total des forces de police, de gendarmerie et des forces militaires, accru des aides européennes, des renseignements américains, et des forces tchadiennes (pourtant assez lointaines du terrain malien) représente 150 000 personnes. A titre de comparaison, en France, il y en a 300 000, pour un territoire dix fois moindre. Les dirigeants de ces pays font parfois valoir que c’est la zone du monde où il y a le moins de médecins par habitant, mais aussi le moins de forces de sécurité. Il est donc tout à fait clair qu’il va falloir inventer un nouveau Barkhane, car il est absolument évident que le Mali ne peut rester livré à lui-même. Une réponse de l’Union africaine se prépare mais elle doit être financée. C’est une réponse de paix et de sécurité, un fonds a été créé pour avoir des « casques verts » efficaces. Il faut beaucoup plus de soldats, de policiers et de gendarmes, mais quand je dis « beaucoup », c’est dans des proportions tout à fait considérables. Dire que les États sont faillis est une chose, mais les ajustements structurels des années 1990 et 2000 ont consisté à démanteler les administrations réputées pléthoriques, à ne pas développer les forces de sécurité, et à réduire le service public. On a beau jeu ensuite de s’étonner que les États aient du mal …
Nous évoquons tous le milliard d’euros annuel que coûte Barkhane. D’abord, je pense que le coût réel est proche du double lorsqu’on fait la masse des forces prépositionnées, à Abidjan, à N’Djaména, à Libreville et même à Abou Dabi, utilisées pour la couverture aérienne du Sahel. Mais même 2 milliards, c’est très bon marché. J’ai posé la question au président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta. Le Qatar ayant cessé de financer ouvertement les djihadistes du Sahel, je lui ai demandé si leurs ressources financières (celles des terroristes) étaient au moins en baisse. Il m’a répondu qu’elles étaient au contraire en très forte augmentation. Il n’y a aucune comparaison entre les moyens des groupes terroristes et les coûts de Barkhane. Les recettes des terroristes dans cette région proviennent du trafic de cocaïne en provenance d’Amérique du Sud, il s’agit de la logistique assurée par la mafia nigériane, remontant le désert pour le marché européen. Et aujourd’hui, le trafic de cigarettes rapporte encore davantage que la cocaïne. Il y a en outre du trafic d’êtres humains, et des braquages. Les estimations de l’ONU sur ce que représente ce trafic de drogue donnent le vertige : cela se chiffre en milliards de dollars. Nous sommes devant des groupes terroristes très aguerris (puisqu’on les rapatrie de Syrie, d’Irak, de Libye) qui disposent d’un multiple de ce que les États ou l’UE dépensent. La seule Côte d’Ivoire, pour se prémunir de la descente des terroristes du Mali vers son littoral, a dépensé un milliard de dollars rien qu’en 2020.
Il va donc nous falloir inventer une opération nouvelle pour le Mali, un pays dont le nord est à 1h15 de vol du sud de l’Europe. Il est clair que les terroristes vont descendre jusqu’aux côtes, le Nigéria est déjà menacé et altéré, mais le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire le seront bientôt par effet domino. Personne ne peut se permettre que le Mali cède, il y aura donc une autre opération, mais elle ne peut pas se faire sans financement ou avec un nombre d’hommes qui paraît aujourd’hui squelettique par rapport à la menace.

Richard Werly :
Mais la difficulté, ce n’est pas de savoir si 1 ou 2 milliards sont dérisoires face à ce dont dispose l’ennemi, mais si la France peut se les permettre. Ou plus exactement, est-ce politiquement défendable ? Si tout ce que vous venez de nous dire est juste, ce dont je ne doute pas, pourquoi diable Emmanuel Macron et les chefs de l’armée française ne le disent pas ? Pourquoi une telle omertà sur la nécessité pour l’avenir d’investir massivement dans une telle opération ? Pourquoi est-on plutôt sur le registre d’une réduction des coûts ?

Lionel Zinsou :
Je pense que c’est dans le début du discours qui a été fait par le président annonçant l’arrêt de Barkhane. Il y avait la frustration du coup d’Etat dans le coup d’Etat, ainsi que cette espèce de dégradation du sentiment qu’inspire la France au Mali. Parce qu’en plus de faire un effort considérable, et d’avoir à bien des égards sauvé ces pays, il se trouve que les réseaux sociaux, abondamment financés par la Russie, la Turquie et l’Iran, créent un sentiment anti-français, perçu comme majoritaire alors qu’il ne doit représenter que quelque chose comme 10% de la population malienne.

Béatrice Giblin :
Je voudrais juste mentionner un pays très concerné par le retrait de Barkhane, et dont nous n’avons pas parlé : l’Algérie. Elle a longtemps eu une position officielle : ne pas sortir de son territoire.

Lionel Zinsou :
Vous faites bien de préciser « officielle », car il est fort possible qu’en réalité l’Algérie soit sortie de ses frontières pour assurer la supply chain des terroristes, ni même qu’elle ait exporté ses propres terroristes …

Béatrice Giblin :
Exactement. Mais cette fois-ci, elle va devoir adopter une autre position. Certes, sa marge de manœuvre dépend du prix du baril, mais il y a là pour l’Algérie une possibilité de tenir une place régionale. On n’en a donc pas fini.
Peut-être suis-je une incorrigible optimiste, mais je ne pense pas que le Sahel va s’enflammer dans son entier, que les terroristes descendront au Sud, et que l’islamisme politique de répandra partout.

Nicolas Baverez :
Je rappelle que les armées françaises sont un vrai actif pour l’Union européenne. Depuis le Brexit, c’est le dernier pays disposant d’une dissuasion nucléaire, d’un modèle complet d’armée, d’une capacité à entrer en premier sur des théâtres d’opération complexes, et surtout une expérience du combat pratiquement ininterrompue. Cela dit, on ne fait pas des opérations extérieures pour entraîner des troupes, cela n’a pas de sens.
Nous avons bien fait de rappeler les succès militaires des opérations françaises au Sahel, mais il ne faut cependant pas confondre tactique et stratégie. J’ai rappelé la Libye : réussite tactique parfaite, désastre stratégique complet. C’est un peu ce qui est en train de se produire au Sahel. Quant à la suite, elle est sans doute indispensable, mais s’annonce redoutablement compliquée. On explique qu’on se retire parce qu’on va davantage faire appel aux États de la région, précisément quand ceux-ci sont en train de s’effondrer. Quant aux Européens, on leur dit « venez nous aider, parce qu’on va se retirer ». Il faut reconnaître que ce n‘est pas très vendeur …
Derrière tout cela, on décèle deux politiques africaines chez le président de la République. Il déteste la première, héritée du passé (la Françafrique et les interventions militaires) ; la seconde a été amorcée dans son discours de Ouagadougou, menée au Rwanda et récemment en Afrique du Sud, consistant à parier sur une nouvelle Afrique du XXIème siècle, elle est beaucoup plus proche de ce qu’il connaît. Le paradoxe d’Emmanuel Macron est de finir son quinquennat comme il l’a commencé, par une crise existentielle avec l’armée. Il n’a jamais compris ni aimé le domaine du régalien, qui manque terriblement dans son bilan.

Les brèves

Le monde en 2040 vu par la CIA

Nicolas Baverez

"Il est de tradition qu’à chaque nouveau président, la CIA fasse un rapport sur la situation du monde et surtout sur les scénarios d’avenir. Il se trouve que ce rapport a été traduit, il est extrêmement sombre mais très intéressant, sur le monde post-Covid et ses incertitudes, les grandes dynamiques, les grandes divisions des sociétés, les fragilisations des États, la conflictualité du système international … Cela se termine par cinq scénarios : l’un est favorable et voit une renaissance des démocraties, d’autres sont très sombres , et le dernier est celui d’une grande catastrophe écologique qui force les États à prendre des mesures extrêmement autoritaires et des atteintes très fortes aux libertés. Pas très réconfortant mais passionnant."

Nomadland

Richard Werly

"J’ai eu un coup de cœur cinématographique pour ce film beaucoup commenté et récompensé. La réalisatrice Chloé Zhao raconte cette population américaine qui vit dans des camping-cars, dans une errance ponctuée de boulots journaliers. On récolte des betteraves un jour, on travaille chez Amazon un autre … L’arrière-plan est très triste mais elle en fait un film lumineux, comme le livre dont il s’inspire. Dans la lignée du Sur la route de Kerouac, avec Frances McDormand, oscarisée pour ce rôle. Un beau moment de cinéma."

Le nouvel âge progressiste de la mondialisation

Lionel Zinsou

"Je vous recommande cette semaine une lecture assez brève : les 27 pages d’une note de Pascal Canfin publiée par Terra Nova. Elle a été très bien relayée dans la presse, et propose un concept intéressant contre la démondialisation proposée par les populismes, à savoir une mondialisation progressiste sur des valeurs européennes, très centrée sur la transition énergétique, et toutes les capacités d’innovation, de création d’emploi, de rebond de la richesse. C’est intéressant, car c’est une théorie assez nouvelle, il s’agit de repositiver la mondialisation, avec des contenus assez différents, dans le monde d’après. Pascal Canfin est je crois une ressource de la vie politique française. Il anime la commission pour l’environnement et la santé publique du Parlement européen. Il y a ici un travail de fond important, et une création conceptuelle qui devrait être importante pour la campagne présidentielle."

Ce grand dérangement l’immigration en face

Béatrice Giblin

"Dans le débat d’aujourd’hui sur la sécurité, toujours lié à l’immigration grâce au savoir-faire du Rassemblement National, j’aimerais aussi renvoyer nos auditeurs à l’excellent petit ouvrage de Didier Leschi. L’auteur a été préfet de la Seine-Saint-Denis, il est aujourd’hui à la tête de l’organisation française pour l’immigration et l’intégration. C’est extrêmement clair, précis, et très éclairant. A lire et à discuter avec son entourage."

Une guerre perdue la France au Sahel

Béatrice Giblin

"Je vous recommande de nouveau ce livre dont j’avais déjà parlé ici, mais compte tenu du sujet que nous venons de traiter, sa lecture me paraît plus nécessaire que jamais. Il était sorti en décembre 2019, après en avoir publié un premier suite à l’intervention de 2013, qui interrogeait déjà fortement le bien-fondé de cette opération. D’autre part, l’auteur sera l’invité d’une de nos thématiques d’été consacrée au Nigéria."

Billy Wilder et moi

Philippe Meyer

"Je vous recommande un livre délicieux du romancier britannique Jonathan Coe. L’héroïne est une gréco-britannique de 20 ans qui, alors qu’elle est en voyage aux Etats-Unis, se retrouve à la table de Billy Wilder dans un restaurant. Commence alors une longue relation à la fois paternelle et de travail, puisqu’elle sera amenée à être l’interprète de Billy Wilder lors de son dernier tournage en Grèce, pour le film Fédora. Jonathan Coe a trouvé le moyen de déployer une infinie tendresse admirative pour Wilder par le biais de cette narratrice, qu’on ne peut que partager. On se réjouit qu’elle soit si bien exprimée. Un grand bol d’air."