Le conclave sur les retraites / La guerre USA-Iran / n°409 / 29 juin 2025

LE CONCLAVE SUR LES RETRAITES

Introduction

ISSN 2608-984X

Philippe Meyer :
Le « conclave » sur les retraites, voulu par le Premier ministre pour désamorcer les tensions autour de la réforme de 2023, s'est soldé par un « échec » a annoncé lundi la CFDT, marquant la fin de quatre mois de discussions infructueuses entre partenaires sociaux. Les discussions au sein de ce conclave, qui réunissait le Medef, la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises), la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC, visaient à adoucir l'impopularité de la réforme Borne de 2023, qui a relevé l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Au-delà des considérations sociales, l'objectif était également d'assurer la pérennité financière d'un système qui anticipe un déficit de 6,6 milliards d'euros en 2030. Pour les organisations patronales, toute concession sur la pénibilité devait s'inscrire dans un cadre garantissant cet équilibre, tandis que les syndicats insistaient sur la nécessité de compenser les carrières hachées et les impacts physiques des métiers les plus exigeants. Sur la question de l'âge, sujet sensible de la réforme Borne, l'hypothèse d'un retour de l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans avait pourtant été enterrée par les syndicats. Dans le texte rédigé par l'animateur des débats, les représentants de salariés avaient obtenu le recul de l'âge de la décote (celui à partir duquel les assurés ont droit à une pension à taux plein, même s'ils n'ont pas le nombre de trimestres requis pour y être éligibles) à 66 ans et demi (contre 67 ans aujourd'hui).
Selon l'étude Elabe réalisée pour l'Association française de la gestion financière (AFG) dévoilée mardi, les ménages semblent prêts à une vraie évolution du système : 47 % des Français se déclarent en faveur de la généralisation de plans d'épargne retraite par capitalisation en complément du système de retraite par répartition. Les « cadres » sont favorables à cette idée à 65 %, tout comme les ménages avec « une forte capacité d'épargne » à 64 % et les « investisseurs » à 56 %. Seules 18 % des personnes interrogées se montrent réfractaires à l'idée.  L'enjeu financier des retraites est considérable : les pensions représentent près de 14% du PIB, 40% de la dépense sociale et un quart de la dépense publique. Le Conseil d'orientation des retraites indique, dans son rapport de juin, que l'évolution des dépenses de retraites « explique à elle seule une grande partie de la progression des dépenses publiques depuis 2002 ». Si le pays peine à financer ses services publics, c'est parce qu’il a préféré ses retraites alors que les évolutions démographiques ont bouleversé l'équilibre : il n'y a plus que 1,7 actif pour 1 retraité, tandis que le ratio était de 4 pour 1 en 1950. Le COR en tire la conclusion qu'il faudra reculer encore l'âge de la retraite.
Mercredi, François Bayrou a affirmé que le conclave n’était « pas un échec » et présenté jeudi le résultat des discussions après avoir « tranché » sur« les désaccords ».

LA GUERRE USA -IRAN

Introduction

Philippe Meyer :
L'attaque américaine, menée dans la nuit de samedi à dimanche derniers sur l'Iran, a été « intentionnellement limitée » à des cibles nucléaires et ne visait pas un changement de régime, a déclaré dimanche le Pentagone. Avec l'opération Midnight Hammer (Marteau de minuit), Donald Trump a exploité une fenêtre d'opportunité après qu'Israël a presque réduit à néant les alliés régionaux de l'Iran (Hamas, Hezbollah) puis les défenses iraniennes. S'il proclame toujours vouloir la paix, Donald Trump n'hésite pas dégainer. Il l'avait fait à trois reprises au cours de son premier mandat : contre la Syrie, après des attaques chimiques, en avril 2017 puis en avril 2018, enfin en ordonnant un assassinat ciblé à Bagdad contre le général iranien Soleimani, chef des forces spéciales des Gardiens de la Révolution, en janvier 2020. Toutefois, jusqu'à dimanche, il s'agissait d'opérations limitées.
Dimanche, le président américain a annoncé que les trois sites de Natanz, Fordo et Ispahan avaient été « totalement anéantis ». Une affirmation difficile à confirmer, les cibles étant souterraines. Le général Dan Caine, chef d'état-major des armées américaines s'est montré plus prudent, comme le vice-président JD Vance. Selon les « premières évaluations du champ de bataille », a dit le soldat, les sites visés ont subi « de sévères dommages et destructions ».  Un document classé confidentiel du renseignement américain, relayé par CNN et le  New York Times, suggère que  les frappes américaines sur l'Iran  auraient retardé son programme nucléaire de seulement quelques mois, sans le détruire complètement. Jeudi, l’ayatollah Khamenei a affirmé que Donald Trump a « exagéré » l’impact des frappes américaines sur le territoire iranien.
En représailles, lundi, l’Iran a attaqué la base aérienne américaine d’Al-Udeid, au Qatar. Treize missiles ont été interceptés sans difficulté selon l’armée, tandis qu’un autre s’écrasait sans dégâts. La base, qui en temps normal accueille près de 10 000 soldats, était très largement dépeuplée. Pour Téhéran, « la priorité était de retrouver les voies de la négociation afin de sauver le régime », estime le chercheur Bernard Hourcade, spécialiste de la République islamique. Selon lui, « les dirigeants iraniens ne voulaient pas couper les ponts avec Donald Trump, car ils savent que c'est lui qui peut arrêter la guerre avec Israël ». Via le Qatar et probablement Oman, Téhéran avait averti les États-Unis de ses tirs de missiles contre la base aérienne américaine, afin qu'il n'y ait pas de victimes. Ce fut le cas. Mardi, Israël et l’Iran ont déclaré accepter l’initiative américaine de cessez-le-feu. Tandis que les membres de l’administration Trump revendiquent une réussite totale, les questions s’accumulent sur le sort des quelque 400 kg d’uranium hautement enrichi dont disposait l’Iran. Cette question sera au centre des négociations qui devraient s'ouvrir prochainement entre l'Iran et les Occidentaux, via l'Agence internationale à l'énergie atomique (l’AIEA), dans l'espoir de tourner durablement la page de la guerre.

Les brèves

Alain Aspect élu à l’Académie française

Philippe Meyer

"Je me réjouis de l’élection jeudi à l’Académie française de notre ami Alain Aspect. D’abord parce qu’il est un ami de notre peau de caste depuis le début. On peut d’ailleurs réécouter l’émission que nous avions enregistrée avec lui sur sur la physique quantique et l’obtention de son prix Nobel, il y a deux ans. Je m’en réjouis aussi parce que c’est un homme qui a une passion de la découverte, qui est très impressionnante. Et je m’en réjouis enfin parce que cela devrait l’aider dans sa défense du Palais de la Découverte, du Planétarium, dont la réouverture dans le Grand Palais est repoussée, si repoussée qu’on finit par croire qu’elle n’aura jamais lieu, et pour laquelle la ministre de la Culture semble n’avoir absolument aucune idée de la manière dont le Planétarium, le Palais de la Découverte, ont pu aider à éveiller l’intérêt pour les sciences dans les jeunes classes."

L’opération anti-sans papiers du ministre de l’Intérieur

Lucile Schmid

"J’avais prévu de vous parler de ma vie culturelle mais finalement, je vais plutôt lancer un cri d’indignation. À propos de l’opération massive anti-immigrants clandestins dans les gares, organisée par Bruno Retailleau, et qui mobilisé 4.000 policiers. Il se trouve que je mène une mission chez Emmaüs depuis bientôt deux ans, et que je côtoie beaucoup de personnes migrantes, dont certaines sont sans papiers. Cette façon dont la lepénisation, dont l’extrême-droite pénètre au cœur même du gouvernement, qui dit pourtant vouloir pratiquer la « démocratie sociale », est quelque chose qui en fait affaiblit l’ensemble de nos institutions. Un sans-papiers ou un migrant n’est pas un criminel en puissance. Ne l’oublions pas. Un certain nombre d’associations vont d’ailleurs défendre l’État de droit et montrer que certaines choses ne relevaient pas de ce qui est permis par le droit en termes de discrimination. Défendre l’État de droit, défendre la démocratie et défendre le droit des personnes qui ont des difficultés à accéder à leurs droits, ça fait partie aussi de la façon dont la France peut être une démocratie."

À ma place

Michaela Wiegel

"Inspirée par l’enthousiasme de Nicole Gnesotto, j’ai lu à mon tour le livre de Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale. Habituellement, les personnalités politiques ont des scribes, et leurs livres sont assommants. Là, il semble que Mme Braun-Pivet a vraiment écrit elle-même, et on apprend des choses assez hallucinantes pour les femmes. Par exemple, cet appel de Stéphane Séjourné, quand elle a été élue contre toute attente à la tête de la commission des lois, qui lui dit : « Mais non, tu as cinq enfants, tu ne pourras pas exercer ce poste. » Les rumeurs avaient été lancées en disant : « Elle a demandé son mercredi libre pour s’occuper de ses enfants », et elle était un peu ridiculisée. L’autrice parle sans fard de la façon dont, au sein même du parti présidentiel, qui s’appelait encore En Marche à l’époque, on a essayé de ne pas la laisser exercer, tout simplement parce qu’elle était une jeune femme. Et il y a un autre aspect que je trouve très intéressant : c’est tout son passé familial. Sa grand-mère qui a dû fuir la persécution des Juifs à Munich. Et donc, cette perspective qu’elle avait sur l’Allemagne qui s’est changée. Je vous recommande vivement cette lecture édifiante. "

Dans la forge du monde : comment le choc des puissances façonne l'Europe

Antoine Foucher

"Je recommande très chaudement ce livre de Pierre Haroche, un chercheur universitaire qui travaille entre Paris et Londres. Il s’agit d’une histoire de la dialectique entre l’Europe et le reste du monde depuis la Renaissance. Ce recul de cinq siècles redonne de l’espoir : il est possible que la dynamique du monde nous pousse hors de la « lamentabilité » dans laquelle nous sommes aujourd’hui. L’auteur montre très bien qu’il y a trois phases. La première, qu’il appelle l’Europe impériale, où il montre — dans la lignée de Kundera — que le maximum de diversité dans le minimum d’espace, c’est l’Europe. Cela pousse les nations européennes à se confronter entre elles, jamais tranquilles derrière leurs frontières, contrairement à l’Empire chinois, par exemple. C’est ce qui les a conduites à optimiser les techniques de guerre, et à acquérir la supériorité technologique qui a ensuite permis de conquérir le monde. Puis on arrive au XXème siècle, avec les deux « suicides collectifs » des deux guerres mondiales, qui placent l’Europe dans une situation subordonnée ; elle est cependant encore un enjeu pour le reste du monde : on ne peut pas être puissant si on n’est pas en Europe. Et enfin aujourd’hui, où la situation de l’Europe laisse le monde indifférent : l’Europe provinciale. Les États-Unis s’occupent davantage de Taïwan que de l’Ukraine. D’après l’auteur cette provincialisation va nous conduire à nous rassembler, parce que c’est notre seule option pour ne pas disparaître et devenir une colonie des autres puissances du monde."

« Diriger un pays comme une entreprise »

Jean-Louis Bourlanges

"Je voudrais faire faire état d’un agacement que j’ai ressenti à plusieurs reprises (et notamment vendredi matin) quand j’entends des chefs d’entreprise — en l’occurrence le président d’une entreprise tout à fait remarquable, Saint-Gobain — dire que les hommes politiques ne sont pas sérieux, qu’ils ne savent pas diriger le pays, qu’il faut prendre modèle sur les chefs d’entreprise. J’en ai par-dessus la tête de ce discours. Je ne dis pas que les dirigeants publics français soient bons, loin de là. Ils sont impuissants, ils sont incapables d’orienter le mouvement, mais ce n’est pas pour rien. Si vous mettez un chef d’entreprise à la place des dirigeants actuels, ça donnera le même résultat. Parce que c’est quelqu’un qui est responsable devant des actionnaires, qui attendent principalement une chose — ce n’est pas le critère unique, mais c’est le critère principal — c’est le profit. Donc le choix est relativement simple en termes normatifs. Les hommes politiques, eux, dépendent d’électeurs qui sont divisés. Et quand on dit que l’homme politique devrait faire preuve de courage, en général, ça veut dire une chose : s’affranchir de ceux qui l’ont élu. C’est quand même un peu paradoxal d’élire des gens et de dire « Ah, je vous élis, et vous n’êtes même pas capables de vous éloigner de moi ». Donc, le problème politique est fondamental, mais n’assimilons pas les fonctions très éminentes et très nécessaires de chef d’entreprise avec celles de dirigeant d’une communauté humaine profondément divisée sur ses valeurs et divisée sur ses orientations."