#20 - Migrants & Iran

Étranges étrangers

Introduction

Jeudi 11 janvier, le Premier ministre, Édouard Philippe, a présenté aux associations engagées dans l’accueil des migrants et réfugiés le projet de loi sur l’asile et l’immigration. Ce texte devrait être présenté en Conseil des ministres à la fin du mois prochain et à l’Assemblée nationale au printemps.
Selon les statistiques rendues publiques le 16 janvier par le ministère de l’Intérieur, la France a accueilli l’an passé 262 000 étrangers. Ce total recoupe cependant des catégories bien distinctes : immigration professionnelle, familiale, étudiante, ou encore protection au titre de l’asile. L’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a indiqué avoir reçu en 2017 plus de 100 000 demandes d’asile, en hausse de 17% par rapport à l’an dernier. Les trois principaux pays d’origine des demandeurs d’asile sont l’Albanie, l’Afghanistan et Haïti. Sur ces 100 000 demandeurs, 43 000 personnes ont obtenu le statut de réfugié ou une protection subsidiaire au titre de l’asile (+21%). Ce chiffre recoupe des taux d’acceptation variables selon les pays d’origine : il est de 95% pour les ressortissants syriens et de 2,8% pour les personnes originaires d’Haïti. L’Ofpra met en avant les efforts accomplis pour réduire les délais d’instruction des demandes d’asile. Le délai moyen d’attente est en effet tombé sous la barre des 4 mois, contre plus de 7 en janvier 2015.
Devant ce constat statistique, le président de la République et le gouvernement ont indiqué vouloir agir avec fermeté et humanité. La politique migratoire du gouvernement reposerait donc sur les deux axes suivants : mieux accueillir les personnes qui ont droit à l’asile, et mieux renvoyer celles qui n’y ont pas droit. Dans cette optique, la circulaire adressée aux préfets le 12 décembre dernier par le ministre de l’Intérieur a suscité une vive polémique. Ce texte enjoignait aux forces de l’ordre de se rendre dans les centres d’hébergement d’urgence afin de recenser les situations des étrangers qui s’y trouvent. De nombreuses associations ont dénoncé une atteinte à la dignité des personnes et ont saisi le Conseil d’Etat d’une procédure en référé.
Le projet de loi sur l’asile et l’immigration est également critiqué. Dans sa version actuelle, le texte prévoit notamment de porter de 16 à 24h la durée maximale de retenue administrative pour vérification du droit au séjour, d’assigner les personnes à résidence avant leur expulsion et de renforcer le régime d’interdiction de retour. En revanche, le texte prévoit des mesures favorables aux réfugiés, dont le statut sera automatiquement valable 4 ans, contre 1 an aujourd’hui. Louis Gallois, aujourd’hui président de la Fédération des acteurs de la solidarité, a cependant fait part de sa déception face à un texte jugé déséquilibré. D’autres associations ont été plus loin dans leurs critiques, accusant Emmanuel Macron d’aller plus loin que Nicolas Sarkozy sur ces sujets.
En visite à Calais mardi 16 janvier, le président de la République a apporté son soutien aux forces de l’ordre tout en annonçant que l’Etat allait désormais assurer la distribution de nourriture aux étrangers présents sur place.

Quel chemin pour l’Iran ?

Introduction

A la fin décembre et au début du mois de janvier, l’Iran a été le théâtre d’importantes manifestations. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé dans différentes villes de la République Islamique, en s’opposant parfois violemment aux forces de l’ordre. Les manifestants exprimaient leur colère face à une situation économique maussade, une hausse du coût de la vie et un chômage chronique. Pour le moment, le bilan de ces heurts se monte à vingt-cinq morts.
La classe politique iranienne a unanimement condamné les violences tout en soulignant la nécessité de trouver une solution aux problèmes économiques du pays. Depuis la signature de l’accord de Vienne sur le nucléaire en juillet 2015, la levée des sanctions économiques se révèle très lente. L’Iran souffre du manque de capitaux, tandis que le chômage des jeunes atteint 30 %.
Le 12 janvier dernier, après plusieurs semaines d’incertitudes, le Président des Etats-Unis, Donald Trump a confirmé la levée de certaines sanctions américaines contre l’Iran. Le locataire de la Maison Blanche a cependant prévenu qu’il s’agit « de la dernière suspension qu’il va signer ». M. Trump a par ailleurs exhorté les Européens à revenir sur les termes de l’accord de Vienne, qu’il ne cesse de dénoncer. Il a fait savoir que s’il ne parvenait pas à obtenir un renforcement des sanctions dans un délai de 120 jours, les Etats-Unis se retireraient de l’accord de Vienne, ce qui entrainerait le plein rétablissement des sanctions économiques américaines. Face à cette menace, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a dénoncé « des tentatives désespérées de saboter un accord multilatéral solide ».
La population exprime donc sa lassitude face à une situation économique qui peine à s’améliorer, malgré les réformes entreprises par le président modéré Hassan Rohani. Son élection en 2013 et sa réélection en mai dernier avaient suscité beaucoup d’espoirs, qui menacent aujourd’hui d’être déçus. Une partie importante de la population exprime en outre son rejet de la corruption, de la censure et du conservatisme du régime des Mollahs. Le guide suprême du régime, Ali Khamenei, a notamment été la cible de nombreuses critiques.
Depuis l’essoufflement des manifestations, une importante lutte s’est engagée entre les différents acteurs politiques, qui tentent tous de sortir renforcés de cette crise. Le président Rohani notamment, tout en se montrant ferme à l’égard des manifestants, a paru accueillir avec bienveillance leur soif de liberté politique. Il pourrait tenter d’en tirer profit pour lancer une réforme de l’Etat et renforcer les prérogatives du président face au pouvoir religieux.

Les brèves

La puissance chinoise en 100 questions

Nicole Gnesotto

"Moi je vais passer à l’autre extrême géographique. Je vais parler du livre de Valérie Niquet sur la puissance chinoise en 100 questions sous-titré « un géant fragile » qui est paru chez Tallandier à la fin de l’année dernière dans cette collection dont on a déjà parlé ici en 100 questions. Alors évidemment explorer la puissance chinoise avec toutes ses contradictions, son opacité en 100 courtes questions relativement brèves ça peut paraître une gageure mais je trouve que Valérie Niquet le fait très très bien, elle dirige les études sur l’Asie à la fondation de la recherche stratégique et surtout elle donne au lecteur un aperçu assez exhaustif de l’étendue des défis, des enjeux que les autorités chinoises doivent relever d’ici les deux prochaines décennies et c’est tout à fait intéressant"

L'infini va bientôt finir

Philippe Meyer

"Je recommanderai le livre les poèmes que Jean Pérol a rassemblés sous le titre L’Infini va bientôt finir (Editions La Rumeur libre). De la poésie de Pérol, Alain Jouffroy a écrit « elle atteinte plein fouet la cible ratée par tant de narcissiques du langage-pour-le-langage ».
Je vous en propose « Autres amours » :
ça mâchait du micron-ondake
le soir devant la télé
et pensait dur micro-pensable
sur le canapé des coeurs affalés
tapotait du micro-tweetable
pour des tweets sur des écrans bleus
ça broyait du micro-vivable
dans le lit sans pouvoir dormir
ça baisait du micro-baisable
En suivant les cours du comment jouir "

Revue America

François Bujon de L’Estang

"Moi je voulais saluer la sortie du quatrième numéro en décembre de la revue America. Cette singulière revue éditée par François Busnel et le 1 qui est sous-titrée « l’Amérique comme vous ne l’avez jamais lue» et qui, comme vous le savez, a quatre numéros par an et se propose de paraître pendant les quatre ans de la présidence Trump. En réalité, cette revue continue d’être extrêmement intéressante et favorise d’ailleurs un regard qui est davantage littéraire et sociologique que proprement politique sur l’Amérique d’aujourd’hui. Le numéro 4 donc celui qui vient de sortir est particulièrement intéressant on y trouve une remarquable interview de Paul Auster qui est longue et fournie et qui donne tout à fait envie, ce que je vais faire incessamment, de lire son dernier roman qui s’appelle 4, 3, 2, 1 mais il y a aussi un article de Stephen King sur la violence en Amérique, sur le problème des armes à feu etc. Il y a aussi un très intéressant article et une interview de Tom Wolf. Nous trouvons là véritablement une revue de qualité sur l’Amérique d’aujourd’hui peut-être pas « comme vous l’avez jamais lue » mais comme il est agréable de la lire"

Le marxisme introuvable

Marc-Olivier Padis

" Je voudrais saluer la mémoire d’un historien récemment disparu Daniel Lindenberg, qui a travaillé longtemps à la revue Esprits. Il a été célèbre pour la querelle des nouveaux réactionnaires il y a quelques années. Une querelle dans laquelle il tenait un rôle à contre-emploi, non pas sur le fond, non pas qu’il ait défendu des idées qui n’étaient pas les siennes mais en raison du rôle qu’il a été amené à tenir. Notamment dans le cadre d’une querelle très médiatisée parce qu’il n’avait pas du tout l’humeur d’un polémiste même si il aimait les controverses intellectuelles, il n’y avait jamais aucune méchanceté dans ses propos et ses écrits et plutôt que de reparler de ce livre, je voudrais juste citer deux livres dans sa production qui sont pour moi les deux livres les plus importants et qui restent très intéressants à lire aujourd’hui, c’est : Le marxisme introuvable. Un livre qui rappelait toute la richesse de la gauche non-marxiste. Et puis un livre plus personnel qui s’intitule Figures d’Israël et qui est une description des courants idéologiques du franco-judaïsme et dans lequel il défendait l’idée dans le fond, de la créativité culturelle de la diaspora juive. Daniel Lindenberg était quelqu’un qui n’était pas sioniste justement il croyait plutôt à la créativité de la diaspora et ce livre en est une belle illustration."

Evremond De Bérard

Philippe Meyer

"François Sureau : Un élément nécrologique puis une recommandation. L’élément nécrologique c’est que le plus grand écrivain français depuis une quarantaine d’année est mort hier dans l’indifférence générale : Guy Dupré. Qui est l’auteur de Les fiancées sont froides, du Grand Coucher et des manœuvres d’Automne. Disparition qui a d’ailleurs été remarquablement saluée par le président de la République, ça fait plaisir de temps à autre quand on voit les platitudes auxquelles les discours officiels nous ont habitué sur le départ des grands écrivains, c’est assez frappant. Et Guy Dupré, j’engage tous nos auditeurs à trouver ses livres, c’est un personnage tout à fait étonnant, moitié japonais, moitié français, dont l’œuvre se situe aux confluents de Maurice Barrès et d’André Breton ce qui est quand même une gageure. Dans une phrase absolument magnifique avec une part énorme de l’incertitude et de la douleur française au travers des deux guerres mondiales, Guy Dupré était un auteur absolument exceptionnel.
Deuxième chose, il faut voyager et moi j’aime beaucoup les peintres voyageurs, vous savez comme les peintres de marine, et on publie ces jours-ci les œuvres complètes, l’œuvre picturale, c’est un petit livre d’art qui coûte pas cher, d’Evremond de Bérard qui a exploré un très grand nombre de pays. Il est né en 1822, il est mort en 1880 et l’essentiel de sa production c’est 1850-1860. Il y a des aquarelles et des gouaches de ses voyages en Perse, en Egypte en particulier qui sont d’une intelligence ethnologique et sensible absolument remarquable."