#19 - Le nouveau traitement du chômage & les tribulations de Macron en Chine

Emploi, formation et chômage

Introduction

Selon les derniers chiffres fournis par l’agence Eurostat, le taux de chômage dans la zone euro est à son plus bas niveau depuis près de 10 ans. À 8,7% de la population active, cet indicateur retrouve son niveau de janvier 2009, après avoir culminé à plus de 12% au printemps 2013, au plus fort de la crise. Ces bons résultats témoignent de la bonne santé économique de la zone euro. Ils masquent cependant d’importantes inégalités. Ainsi l’Allemagne affiche-t-elle un taux de chômage de 3,6%, quand celui de la Grèce dépasse les 20%. Le taux de chômage des moins de 25 ans reste également élevé, à 18,2%.
La France semble bénéficier de cette tendance favorable. Selon l’INSEE, le taux de chômage au sens du BIT est en baisse de 0,5 points sur l’année passée et s’établit désormais à 9,5% de la population active. Ces résultats donnent cependant lieu à des batailles de chiffres, alors que Pôle Emploi fait périodiquement état de la hausse du nombre de demandeurs d’emploi inscrits sur ses listes. Contrairement à ses prédécesseurs, la ministre du travail, Muriel Pénicaut, ne commente plus les chiffres publiés chaque mois par Pôle Emploi. Emmanuel Macron n’a pas non plus fait de l’inversion de la courbe du chômage le principal instrument de mesure de son action. Il a cependant affiché l’objectif d’atteindre un taux de chômage de 7% avant la fin de son quinquennat.
Pour ce faire, le gouvernement multiplie les réformes sur le terrain de l’emploi. Les ordonnances modifiant le code du travail adoptées à l’automne commencent à donner leurs premiers effets. Les entreprises disposent depuis janvier d’un nouvel outil pour piloter leur masse salariale : les ruptures conventionnelles collectives. Ce dispositif facilite le recours à des plans de départs volontaires, en accord avec les syndicats et sous le contrôle des services du ministère du travail. Plusieurs entreprises ont déjà fait part de leur intérêt pour ce nouvel instrument. Certains craignent cependant que les employeurs multiplient ainsi les plans sociaux déguisés, au désavantage des salariés.
La ministre du travail a également lancé la concertation avec les partenaires sociaux sur les grands chantiers de l’année 2018 : réformes de l’assurance chômage, de l’apprentissage et de la formation professionnelle. Si la priorité donnée par le gouvernement à la formation semble faire consensus, les projets de contrôle plus étroit des demandeurs d’emploi font polémique. Le gouvernement envisage par exemple de réduire significativement les prestations à celles et ceux qui refusent plus de deux offres d’emploi « raisonnables ».
Ces différentes nouvelles s’inscrivent dans un contexte plus général de questionnement autour de la place du travail dans nos sociétés à l’heure du numérique. Très récemment, le syndicat allemand IG Metall a lancé un vif débat outre-Rhin en demandant l’instauration d’une semaine de 28 heures dans plusieurs secteurs industriels. Cette réduction du temps de travail est présentée comme un moyen de moderniser le travail, alors que les manières de produire sont en profonde évolution.

Tribulations d’un Macron en Chine

Introduction

Le Président de la République s’est rendu en Chine du 8 au 10 janvier pour une visite d’État et le premier voyage en Asie de son quinquennat. Il s’agissait également de la première visite d’un chef d’Etat européen en Chine depuis le mois d’octobre et le renouvellement du mandat de Xi Jinping lors du 19ème congrès du parti communiste. Accompagné à cette occasion d’une cinquantaine de chefs d’entreprises, Emmanuel Macron a mis l’accent sur le rééquilibrage des relations économiques franco-chinoises.
Les relations commerciales entre les deux pays sont en effet asymétriques. Le déficit de la balance commerciale française à l’égard de Pékin s’élève à plus de 30 Mds d’euros. Ce profond déséquilibre a poussé le gouvernement à faire de la réciprocité le maître mot de la nouvelle relation économique entre les deux pays. De fait, de très nombreuses barrières protectionnistes ferment encore le marché chinois aux entreprises étrangères. Intérêts économiques français et chinois ne vont cependant pas sans certaines divergences, comme à propos des « Nouvelles routes de la soie ». Ce vaste projet de développement économique chinois à l’étranger passe par des travaux d’infrastructure permettant l’acheminement de biens chinois en Asie, en Afrique et en Europe. Or cette expansion chinoise menace les intérêts européens et français à l’étranger. Emmanuel Macron a tenu à affirmer que ces nouvelles routes de la soie ne pouvaient constituer un nouvel instrument de domination.
Si la question des droits de l’Homme n’a pas été évoquée en public, comme le regrettent associations et ONG, le thème de l’environnement était en revanche placé au centre des discussions. Xi Jinping, pourtant à la tête du premier pollueur mondial, se veut exemplaire sur le sujet et appelle à l’avènement d’une « civilisation écologique ». D’autres sujets ont été évoqués comme le renforcement de la coopération franco-chinoise sur le dossier nord-coréen, la lutte contre le terrorisme ou le G5 Sahel.
Après des décennies de présence discrète, marquées par ses nombreuses abstentions au Conseil de sécurité des Nations Unies, 2018 pourrait bien être la grande année du retour de la Chine sur le devant de la scène mondiale. Son ministre des affaires étrangères Wang Yi est allé dans ce sens en annonçant, dans une formule poétique, qu’avec la marée montante et les vents favorables, il était temps de faire voguer le navire et d’affronter les vagues. La Chine pourrait envisager de prendre la place de leader mondial laissée vacante par la diplomatie américaine sous Donald Trump. Alors que le président Macron a promis de revenir en Chine au moins une fois par an, le duo franco-chinois esquissé par le président est présenté comme un axe possible pour la réorganisation d’un monde post-américain.

Les brèves

La Communauté

Michaela Wiegel

"Je voulais recommander le livre qu’ont publié deux journalistes du Monde, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, qui est intitulé La Communauté, et j’espère que cela va vite être traduit en allemand parce que c’est un récit qui montre comment une ville, Trappes, a pu devenir la plus grande pépinière de djihadistes d’Europe. C’est surtout un récit qui montre le déni de tous les acteurs, de tous ceux qui pouvaient voir, mais qui ne voulaient pas voir, et c’est sans jugement moral en permanence, c’est vraiment très descriptif, et je trouve que cela mérite aussi d’être lu aussi ailleurs, nous sommes dans une autre étape de l’immigration, parce que cela montre ce qu’il ne faut pas faire pour ne pas arriver à une situation comme à Trappes."

MÉMOIRES, Édition intégrale

Philippe Meyer

"J’ouvre cette séquence des brèves en vous signalant avec une joie toute particulière, la reparution des mémoires de Jean-François Revel, dans la collection de poche Bouquins, aux éditions Robert Laffont. Ce sont les mémoires de Jean-François telles qu’ils avaient été publiés sous le titre, « Le Voleur dans la maison vide », augmentés d’un certain nombre de textes, dont le « bada » qu’il préparait, le bada étant comme le savent tous les Marseillais le petit supplément que le marchand de glace ajoute sur les glaces que vous avez commandées. Ce bada est tout aussi étonnant, traduit une vie tout aussi extraordinaire que celle de Jean-François Revel. Je pense que les gens qui disent que personne n’est irremplaçable n’ont jamais connu Jean-François Revel. C’était un personnage tout à fait extraordinaire, qui était polyglotte, qui lisait les journaux dans six langues, ce qui explique la qualité de ces éditoriaux toujours fondés sur des informations Il avait un goût qui allait de la cuisine à la peinture, à la musique, et je ne parle même pas de la littérature et de la philosophie (son Histoire de la philosophie est, de tous ses ouvrages, celui qui a la vie la plus longue dans les librairies). C’était un homme d’une exigence absolument constante, c’est lui qui m’a attiré vers le journalisme, qui m’a fait quitter mon métier. Travailler avec lui était exceptionnel : quand vous lui envoyiez un article, il vous le renvoyait non pas pour essayer de vous faire changer d’avis mais pour le corriger en vous disant « Mais non, là je comprends ce que tu veux dire, avec quoi je ne suis pas d’accord, mais tu ne le dis pas bien, il manque quelque chose, il y a une cheville qui manque, il y a un paragraphe, une explication, ce n’est pas clair. » Sans compter le temps qu’on pouvait passer avec lui à disputer des mérites respectifs de l’œuf mayonnaise et du hareng pommes à l’huile, sa capacité à connaître les endroits les plus étonnants pour y partager des repas. Je n’ai de ma vie rencontré quelqu’un qui ait une pareille largeur d’humanité, et une pareille largeur d’intelligence mais c’est aussi un écrivain. C’est un écrivain qui manie l’humour, l’ironie et quelque fois la férocité, avec une efficacité redoutable, Je pense à son portrait en six lignes d’Alain Minc. Si on faisait mon portrait dans cette tonalité là, j’irais directement chez l’armurier pour acheter comme dirait l’autre, une corde pour me pendre."

Les Napoléons

Lionel Zinsou

"Je voudrais faire écho à une réunion qui a eu lieu à Val d’Isère ces deux derniers jours, et qui est celle des Napoléons. Napoléons c’est un réseau social réfléchissant sur l’innovation, qui fait interagir des artistes, des sportifs, des intellectuels, quelques patrons, quelques décideurs politiques, qui n’est pas du tout une organisation fermée et qui prend un thème, un thème d’hiver et un thème d’été. Ils se sont rendus un petit peu célèbre en invitant monsieur Barack Obama, début décembre, à être le premier orateur à Paris sur leur thème qui était celui des journées de Val d’Isère : la peur. La peur dans les décisions individuelles, la peur de l’entrepreneur, la peur de la disruption, la peur du changement du travail. Ils tiendront session à Arles à partir du 18 juillet sur un thème plus dangereux. : la vérité."

Résistances : la démocratie à l’épreuve

Jean-Louis Bourlanges

"Je voudrais recommander un bref livre de Laurent Cohen-Tanugi, Résistances : la démocratie à l’épreuve. Je crois que ce livre est intéressant. Il ne dit pas des choses totalement nouvelles, il situe pleinement la crise que nous vivons comme une crise grave, une crise de la démocratie avec ses traits classiques : le populisme, le complotisme, l’identitarisme, l’hyper individualisme, tout cela est analysé et dénoncé. Les causes sont mises en perspective, notamment la révolution numérique, la révolution géopolitique qui fait que l’occident est à la fois subverti dans ses intérêts, ses valeurs, ses principes, et se divise lui-même comme on l’a vu à travers des épisodes comme l’élection de Trump et le Brexit, donc tout cela est dit. Ce qui me paraît frappant, et qui m’a inquiété en lisant ce livre, cet excellent pro-européen qu’est Cohen-Tahugi, c’est un certain désenchantement. Cet homme qui a voté pour Emmanuel Macron, qui adhère au projet qui est actuellement celui du gouvernement, est en même temps profondément inquiet sur le devenir de tout cela. Son livre s’appelle Résistances et on a le sentiment qu’il y a quelque chose d’un peu nostalgique, il y a la nécessité de sauvegarder un héritage qui est très souvent méconnu - on parle de l’héritage de la Troisième République – mais l’héritage qui est souvent méconnu, c’est celui de l’humanisme occidental européen de la Quatrième République de l’époque de l’après-guerre, c’est cet héritage là que nous sommes en train de liquider, et Laurent Cohen-Tanugi regarde cette disparition, ce naufrage, avec un effroi qui je crois est justifié."

Lenine, L'invention du totalitarisme

Nicolas Baverez

"Le grand enjeu historique de XXIème siècle ce sera sans doute la lutte entre la démocratie et la démocrature, mais cela n’empêche qu’il reste très intéressant de comprendre le totalitarisme, car il y a quand même un lien entre certaines de ces démocratures et les totalitarismes du XXème siècle. Et cent ans après la révolution soviétique, c’est vrai que la biographie de Stéphane Courtois, la biographie de Lénine, est extrêmement impressionnante. D’abord parce qu’elle empreinte à de nouvelles sources, mais surtout parce qu’elle dissout le mythe selon lequel le bon Lénine aurait été trahi par le méchant Staline. En réalité la religion de la violence, la religion de la dictature, c’est chez Lénine, et c’est lui qui a conçu ce système. Et ce qui est intéressant aussi c’est que cela différencie la Révolution soviétique de la Révolution française, comme l’a montré François Furet, la Terreur c’est un accident après 1789, il n’y a pas d’accident dans l’Union Soviétique, elle a été construite d’emblée pour être un système totalitaire."