G.B. = Good Bye / n°119

G.B. = Good Bye

Introduction

Les conservateurs britanniques conduits par Boris Johnson ont remporté jeudi la majorité absolue des sièges au Parlement. Des 650 sièges aux Communes, ils en obtiennent au moins 362 contre 317 lors du précédent scrutin en 2017, tandis que les travaillistes de Jeremy Corbyn se sont effondrés à 203 sièges (contre 262 en 2017). Celui-ci s’est déclaré vendredi « très déçu » du résultat des élections législatives, ajoutant qu’il ne « conduira pas le parti aux prochaines élections » Le Premier ministre Boris Johnson avait convoqué ce scrutin après avoir perdu sa majorité au Parlement, à la suite de désaccords avec son petit allié nord-irlandais du Parti unioniste démocrate et au sein de son propre Parti conservateur sur la forme que doit prendre le Brexit, voté en juin 2016 par 52% des britanniques. Pour l’hebdomadaire britannique The Economist, ces élections ont représenté un cauchemar, à cause de la radicalisation des deux principaux partis du gouvernement. Deux visions opposées, portées par deux leaders impopulaires, se sont affrontées durant la campagne électorale : le conservateur Boris Johnson a garanti la sortie de l’Union européenne, avec pour slogan « Get Brexit done » (Réalisons le Brexit), tandis que le travailliste Jeremy Corbyn envisageait la sortie partielle de l’économie de marché. Ce que l’hebdomadaire Courrier international a résumé en un titre : « les Britanniques choisissent entre ‘’un marxiste’’ et un ‘’fanatique du Brexit’’ ». Ils ont donc choisi le « fanatique du Brexit » au terme d’une campagne électorale marquée selon The Times « par l’amertume, les exagérations et les mensonges à un degré inhabituel ». Elu pour un mandat de cinq ans, Boris Johnson s’est félicité d’avoir obtenu « un nouveau mandat fort, pour “faire le Brexit” qu’il peut mettre en œuvre au 31 janvier 2020. Toutefois, si, en vertu de l’accord de divorce, Londres a jusqu’au 31 décembre 2020 pour négocier la future relation avec le club européen, ce délai semble d’ores et déjà quasi impossible à tenir, et les experts parient déjà sur une prolongation de la transition. Dès mardi 17 décembre, les nouveaux députés feront leur entrée à Westminster et pourraient avoir à se prononcer sur le « Withdrawall bill », l’acte législatif de retrait de l’Union européenne avant Noël.

Kontildondit ?

Nicole Gnesotto (NG) :
« Ouf ! » est le premier mot qui me vient. Non que je me félicite du résultat du vote, mais on est enfin sorti de l’amibiguïté et de la confusion de ce que certains appelaient la « Brexeternity ».
Il faut insister sur ce que cette élection avait de hors-normes, et sur ce que la victoire de Boris Johnson a de spectaculaire. C’était une élection anormale puisque c’était la troisième en cinq ans (alors qu’il n’y en a normalement qu’une tous les cinq ans), elle était polarisée, non sur des programmes politiques, mais sur des personnalités, et en l’occurrence, deux bad guys, et dont la seule thématique était le Brexit.
La victoire de Boris Johnson est écrasante, et a clarifié la situation : si grand que puisse être le déni face au Brexit, on est désormais forcé d’admettre qu’il adviendra bel et bien. Signalons au passage que c’est la troisième fois que les Britanniques expriment dans les urnes leur intention de quitter l’UE : en juin 2016 lors du referendum, en mai 2019 lors des européennes, où les Brexiters ont obtenu une très forte majorité, et vendredi dernier, où le parti conservateur l’a emporté.
Un mot sur Boris Johnson lui-même. Il n’inspire pas franchement la bienveillance ou la sympathie, pas de ma part en tous cas, mais il faut tout de même lui reconnaître une qualité d’homme politique exceptionnelle. Il a réussi à faire remonter le parti conservateur à plus de 40% d’abord, il a ensuite obtenu de Westminster exactement ce qu’il voulait : de nouvelles élections après avoir négocié un accord de fond avec Bruxelles, pour lequel il a réussi à renégocier cette question du backstop, dont on nous répétait depuis trois ans qu’elle était immuable. Enfin, il a remporté cette élection. Qu’on l’aime ou non, c’est en tous cas un homme politique impressionnant.
On va désormais peut-être enfin sortir du marasme, et des deux côtés : celui de l’UE, et celui du du Royaume-Uni (R-U). Côté Europe, cela fait plus de trois ans qu’on est embourbé (puisque les négociations avaient commencé en 2015), et sous l’emprise du Brexit. Nous sommes accaparés par cette affaire, et traînons cette incertitude comme un boulet ; cela a d’ailleurs eu un impact très négatif sur le nouvel agenda européen. Mais pour les Britanniques aussi, cette clarification sera bénéfique. En effet, Westminster n’était plus une institution démocratique mais un assemblage de clowns changeant d’avis tous les quinze jours. A tel point que l’on se demandait si la démocratie britannique y survivrait.
Rappelons le surréalisme politique dans lequel nous avons baigné ces trois dernières années. Du côté de l’Europe, nous avons fait voter les Britanniques aux élections européennes en mai dernier : ils ont envoyé au parlement européen 73 députés sachant qu’ils allaient partir. Quand les Britanniques n’ont pas voulu nommer de commissaire européen en novembre dernier (une mesure de bon sens), la commission européenne a lancé contre eux une procédure juridique pour infraction. Côté britannique, ce n’est guère mieux, puisqu’en octobre, les parlementaire britanniques ont, le même jour, voté l’accord que Boris Johnson venait d’obtenir, puis voté le refus de le mettre en oeuvre. Le premier ministre lui-même a envoyé deux lettres à Bruxelles, la première demandant un report du Brexit, la seconde demandant de ne pas tenir compte de la première. On n’a donc pas cessé de marcher sur la tête, et il était grand temps d’en sortir.
Et maintenant ?
La fin du Brexit n’est pas la fin des incertitudes. Un nouveau cycle s’annonce, mais au moins la finalité est claire : la sortie la plus raisonnable possible du Royaume-Uni, et une nouvelle relation à inventer.
Nous sommes dans une phase de transition qui doit en théorie durer un an, mais une prolongation d’une année supplémentaire est possible, et c’est à mon avis ce qui se passera. Sur ce point, l’UE ne peut pas grand chose, sinon veiller à ce que le R-U ne « picore » pas trop dans le menu européen, mais la balle est dans le camp des Britanniques, c’est à eux de faire leurs choix. La deuxième incertitude pour l’UE concerne ses autres membres. Ce succès du Brexit va-t-il déclencher d’autres demandes de sortie ? Va-t-elle récupérer les 40 milliards que doit le R-U ? Ce n’est pas un détail dans la difficile négociation du budget qui s’annonce. Et bien sûr, l’affaire écossaise. Le R-U pourrait très bien se désunir suite au Brexit. L’Irlande semble à peu près stable pour le moment, ce n’est pas le cas de l’Ecosse, dont les habitants veulent rester dans l’UE. Et là, contrairement à la négociation évoquée précédemment, les Européens ont la main. Si l’Ecosse acquiert son indépendance et souhaite intégrer l’Union, il sera difficile pour les Européens d’avoir un autre discours que celui que nous avons tenu à la Catalogne. >br>
Marc-Olivier Padis (MOP) :
J’ai une pensée pour les Remainers, ces Britanniques opposés au Brexit qui espéraient rester dans l’UE. Ils ne sont jamais parvenu à trouver la stratégie leur permettant d’organiser un nouveau referendum. Il est vrai que le mode de scrutin britannique (à un seul tour) supposait une adaptation stratégique forte des différents partis, il aurait fallu une alliance entre les libéraux démocrates (LibDem) et les travaillistes, voire une partie des conservateurs. Cela n’a pas été possible, notamment en raison de l’équation personnelle de Jeremy Corbyn, qui est un farouche idéologue, lui-même assez anti-européen.
Les LibDem ont reculé, et c’est difficile à comprendre, car on a vu de très grandes manifestations pro-européennes récemment. Qu’elles ne trouvent pas de débouché politique est donc une énigme, même si NG a eu raison de rappeler que vote après vote, le résultat du referendum de 2016 a par deux fois été confirmé.
La responsabilité personnelle du leader travailliste est grande dans cet échec. Il a essayé de ménager différentes positions, car une partie de son électorat était séduite par le discours anti-européen. Cela n’a pas empêché de perdre des bastions travaillistes du nord de l’Angleterre, cette stratégie de ménagement des anti-européens a donc échoué.
A l’inverse, Boris Johnson, que tous prenaient pour un clown, a révélé des capacités inattendues. Rappelons que lorsqu’il est arrivé au pouvoir, il a failli faire exploser le parti conservateur en en expulsant plusieurs membres éminents. Il est désormais renforcé et a le parti derrière lui.
Un nouveau cycle d’incertitudes s’annonce en effet. Et la question cruciale s’est déplacée de l’Irlande à l’Ecosse. Theresa May était dépendante des élus Nord-Irlandais du Democratic Unionist Party (DUP), extrêmement radicaux. Eux-mêmes ont été affaiblis, un accord est donc possible sur la frontière irlandaise. C’est à présent la question écossaise qui se pose de la manière la plus aiguë. Le Scots Naitional Pairtie (SNP), le parti indépendantiste écossais, a conquis pratiquement tous les sièges, et sa dirigeante Nicola Sturgeon a clairement exprimé son désir d’un nouveau referendum sur l’indépendance. Or celui-ci doit être accordé par Westminster, et il y a fort à parier que Boris Johnson refuse, ce qui sera considéré comme un déni de démocratie par les Écossais. Le prochain cycle de débats parlementaires s’annonce complexe ...

Béatrice Giblin (BG) :
Le refus de Boris Johnson d’accorder un autre referendum aux Écossais ne fait pas de doute pour moi. Lors du referendum écossais précédent, la position de David Cameron était bien moins confortable politiquement que celle de Boris Johnson ne l’est aujourd’hui. Les Écossais seront sans doute fâchés, mais c’est ainsi : seul le parlement peut autoriser un autre referendum.
En revanche, les Écossais pourront peser sur les négociations qui s’annoncent, car il est vrai que ce deuxième acte qui s’ouvre s’annonce très compliqué. Comme l’a dit NG, la balle est désormais dans le camp des Britanniques, c’est à eux de proposer la relation qu’ils souhaitent avec l’UE. L’Europe imposera certaines lignes rouges, car le contexte n’est pas le même que celui du referendum de 2016. La Commission vient de changer, son nouveau leader prend des orientations différentes, bref le rapport de forces n’est plus le même. La question du dumping social que les Britanniques pourraient mettre en place (« Singapour sur la Tamise ») est par exemple problématique. Une grande partie de l’économie britannique est très étroitement liée aux autres pays de l’UE, ne l’oublions pas. Pour le moment, l’heure est au soulagement, puisque ces élections vont permettre de sortir du bourbier, mais les difficultés qui s’annoncent sont grandes et nombreuses, et les députés écossais auront des cartes à jouer lors de ces négociations.
On blâme Jeremy Corbyn. Pour moi, la faute revient aux militants du parti travailliste qui l’ont choisi. Si les frères Miliband ne s’étaient pas torpillés entre eux, l’un d’eux aurait peut-être dirigé le parti, et l’Histoire aurait été tout autre. Ce sont les militants qui ont choisi Corbyn, et ils l’ont fait sur un discours très à gauche, sur lequel Corbyn pouvait difficilement transiger. D’autre part, le leader travailliste n’a pas réussi à se défaire d’une très mauvaise image (les accusations d’antisémitisme), enfin le nord de l’Angleterre s’est senti totalement abandonné par la politique, qu’elle soit conservatrice ou travailliste. La peur que l’immigration soit la cause des difficultés économiques a conduit à des votes massifs en faveur du Brexit (66% dans certaines circonscriptions). Si on regarde en France, l’électorat anti-Europe (celui du Rassemblement National aux dernières élections européennes) existe bel et bien aussi.
Enfin, la question de l’Irlande me préoccupe davantage que celle de l’Ecosse. N’oublions pas que l’Irlande du Nord a majoritairement voté pour rester dans l’UE, et que c’est seulement la nécessité d’une majorité qui a donné un tel poids aux 10 électeurs du DUP. Les petits partis locaux ont monté en Irlande du Nord, ce qui montre que l’enthousiasme pour rester dans le R-U n’est pas nettement établi. La question de la frontière n’est pas non plus à négliger : puisque la frontière est désormais entre l’Irlande et la Grande-Bretagne, cela peut donner à certains l’idée que l’île forme un tout, et à mon avis cette question est loin d’être réglée.

Philippe Meyer (PM) :
Juste un mot pour dire ma tristesse. Je pense que l’Europe et la France avaient besoin du R-U, que les Français ont besoin des Britanniques,. C’est un pays avec lequel la circulation va se compliquer, et les échanges moindres entre les deux populations sont regrettables. Les commentateurs politiques français font penser à cette chanson d’Alain Souchon, « Poulailler’s song » : on regarde Boris Johnson comme on a regardé Donald Trump, non pour examiner la politique mais pour faire preuve de sa propre distinction.

Béatrice Giblin :
Le R-U a tout autant besoin de la France, de l’Allemagne et de l’Europe que nous avons besoin de lui.

Jean-Louis Bourlanges (JLB) :
Je crois moi aussi que c’est une perte énorme. J’ai toujours pensé que le chef-d’œuvre absolu de la civilisation, c’est un Britannique pro-européen. Il y en eut, et il y en a encore, car le « remain » reste le premier parti du R-U.
Sur la victoire de Johnson, elle est aussi brillante qu’indiscutable. En revanche, je ne la trouve pas très surprenante. Ce qui me frappe c’est qu’en France, en cas de raz-de-marée électoral, comme ce fut le cas avec LREM-Modem, ou en 1993 avec la majorité Balladur, le visage du parlement change radicalement. Dans le système britannique, peu de sièges sont véritablement en jeu. La percée conservatrice est indéniable, mais cela se joue à une cinquantaine de sièges. Rien à voir avec les effondrements totaux qu’on a pu connaître en France, où le Parti Socialiste est quasiment réduit à néant. Au R-U, les travaillistes ont essuyé une sévère défaite mais restent très importants.
Les raisons de cette déroute sont multiples. La première est celle de l’échec d’une stratégie : celle de la conjonction des centres. Cela s’explique par les très grandes maladresses des LibDem (qui ont notamment proposé un referendum alors que les gens n’en pouvaient plus), au verrouillage des blairistes par la direction du parti travailliste, et à l’indétermination des opposants de Johnson.
La deuxième est profondément implantée dans la culture britannique : l’importance du système à deux partis. Les Britanniques ont inventé la démocratie, ils l’identifient au Parlement, et au « two parties system ». Ils ont donc rétabli cette prééminence des deux partis habituels, en tous cas en Angleterre, même s’ils ont échoué en Ecosse.
Troisième raison : la stratégie de Corbyn. Elle tient évidemment une grande part dans cet échec. Deux partis s’affrontent, mais l’un des deux est absolument imprésentable. On a évoqué l’antisémitisme, rappelons aussi que Corbyn, quand on est venu le chercher pour diriger le parti, avait installé son bureau dans un centre d’aide aux victimes, non du terrorisme, mais de la lutte contre le terrorisme. C’est difficile à vendre à un peuple qui, comme le nôtre est traumatisé par des attentats ... Corbyn avait deux faiblesses : la première était sa radicalité, toute mélenchonienne, la deuxième est son incertitude, qui rappelle notre Glucksmann. L’échec du radicalisme à l’échelle nationale est intéressant, car il avait formidablement fonctionné au sein du parti : le nombre d’adhérents a été multiplié par deux en quelques mois, les liens avec les syndicats ont été rétablis, c’était impressionnant. Mais la façon dont cela a buté lors du scrutin national devrait faire réfléchir la gauche française. Quant à l’indétermination, elle est fondamentale. J’ai évoqué Glucksmann, mais j’aurais tout aussi bien pu parler de Bellamy. Dans les trois cas, ce sont des gens qui ont été incapables de se positionner clairement sur l’enjeu européen, alors que le besoin de clarté était grand.
Tout le monde voulait sortir de cette situation, aussi lamentable qu’interminable. Chez les adversaires du Brexit, il y eut « le complexe de Damoclès » (la menace de l’épée est si insupportable qu’on se jette dessus pour y mettre fin), c’est pourquoi certains opposants au Brexit ont voté Johnson. Le premier à avoir intellectuellement voté pour Johnson, c’est d’ailleurs le Conseil Européen à Bruxelles, qui n’en pouvait plus.
La quatrième et dernière raison, est qu’à mon avis, il y a en ce qui concerne le Brexit trois partis, et non deux. Si l’on utilise la métaphore familiale, cela donne : les gens favorables au divorce (les Brexiters durs), les gens favorables à la continuation du mariage (les Remainers), et enfin des gens favorables à l’union libre, c’est à dire ceux qui voulaient continuer à fricoter avec l’UE sans tous les embarras juridiques, les Brexiters mous. « Le beurre et l’argent du beurre » certes, mais l’attitude n’est pas du tout la même. Voilà des gens qui étaient d’accord avec nous sur l’Iran, sur le climat, sur la coopération économique ... La faiblesse de Mme May est de n’avoir pas su unir deux de ces forces, ce qu’a fait Johnson : il a fédéré les partisans du divorce et ceux de l’union libre.
Du coup, l’incertitude est totale sur l’option finale que Johnson souhaite donner à sa politique. Cela pourrait très bien aboutir dans un an à un « no deal » L’Ecosse est une autre incertitude, même si l’éventualité d’un autre referendum ne me paraît pas crédible à moi non plus. L’Irlande a fait un pas vers l’autonomie avec cet accord bizarre, ce qui ne fait que renforcer les appétits des indépendantistes écossais. De fortes tensions sont donc à prévoir.

Nicole Gnesotto :
Il y a cependant quelques raisons de se réjouir. D’abord circonstancielles, puisque c’est la fin d’un chaos de trois ans qui a maintenu l’Europe dans une paralysie politique considérable. Désormais, les difficultés de l’UE ne pourront plus être imputées aux Britanniques. Ensuite parce qu’il ne faut pas oublier que depuis leur entrée dans l’union, les Britanniques ont mis tous les bâtons possibles dans toutes les roues possibles.
Cela n’empêche pas que je me désole tout autant que vous sur les plans historiques et culturels. Plus largement, je pense que le Brexit est exemplaire des ravages de la mondialisation dans nos pays occidentaux.
Je comprends votre tristesse, mais autant le Brexit a commencé de façon quasiment accidentelle, autant il est aujourd’hui devenu une volonté politique forte et pleinement assumée du peuple britannique. Dès lors, les européens doivent arrêter le déni pour commencer le deuil, au moins pour la génération qui vient.

Béatrice Giblin :
Pour ma part, je ne pense pas que le Brexit déclenchera des « vocations » dans d’autres pays d’Europe. Du moins pas tant qu’on n’en connaîtra pas les effets pour le Royaume-Uni. Si le pays s’en sort bien, c’est possible, mais pour le moment tout le monde l’ignore.
D’autre part, je n’ai pas connaissance d’autres discours en Europe visant à quitter l’UE (à part certains aux Pays-Bas). En tous cas aucun ayant eu un vrai écho, rien de comparable à ce qui a agité le Royaume-Uni.

Jean-Louis Bourlanges :
Je suis un peu gêné par l’analyse de NG, selon laquelle la partie est terminée et les Britanniques sont acquis à la cause du départ. Je ne le crois pas. Je maintiens que le « Remain » reste le parti le plus important, et que seule la coalition du Brexit mou et du Brexit dur a permis de l’emporter, mais certains facteurs compliquent le problème, comme le vote des jeunes (dont nous n’avons pas encore les chiffres au moment où nous enregistrons). Jusqu’à présent, les jeunes Britanniques ont toujours soutenu massivement le maintien dans l’UE. La génération qui arrive n’a donc pas fait le deuil de son appartenance à l’Europe.

Philippe Meyer :
Il y a une autre raison de s’attrister. JLB a rappelé que Jeremy Corbyn a réussi à augmenter considérablement le nombre de militants de son parti. Mais sur quelle base l’a-t-il fait ? Sur celle d’un discours de matamore, qui est tout sauf un discours de programme, qui est passéiste, où les références à l’époque où le parti travailliste était tenu par les syndicats sont omniprésentes. C’est le discours revanchard d’un fanfaron. En dehors du caractère fort peu sympathique du personnage, l’inanité de sa politique est désolante.

Béatrice Giblin :
Il a tout de même été choisi par ses militants, il y a donc au R-U une base très radicalisée, et il faut s’intéresser à cela de plus près, même si je suis d’accord qu’il a fait grand tort à son parti.
Quand JLB dit que les jeunes Britanniques étaient très mobilisés pour l’Europe, ce n’est qu’en partie vrai, parce que ceux du nord de l’Angleterre, très peu formés, et en situation de chômage et de grandes difficultés ne sont absolument pas pro-européens.

Nicole Gnesotto :
Quand je dis qu’il faut faire le deuil du R-U, je parlais de l’Union Européenne. Le déni face au Brexit me paraît inquiétant de la part des dirigeants européens : ils l’ont eu dès le départ et l’ont encore aujourd’hui, et il risque d’hypothéquer les futures négociations. La pire des choses serait que dans l’accord que l’on fera avec le R-U, on essaie insidieusement de nier a réalité du Brexit. C’est dangereux, et il faut que les responsables européens acceptent l’idée que les Britanniques sont sortis, au moins pour la prochaine mandature.
Il y a une urgence politique à ce que le Conseil Européen définisse le socle des sujets sur lesquels on veut garder les Britanniques proches de nous. Cela peut concerner la lutte antiterroriste, la défense, la gestion des réfugiés, les domaines technologiques, la recherche, etc. Et il faut le faire très vite.

Les brèves

Les Misérables

Béatrice Giblin

"Je voudrais revenir sur le film « les Misérables ». On a beaucoup dit sur ce film, mais ce sont les échos que j’entends ici ou là qui m’inquiètent. Ainsi, notamment en province, on s’imagine que c’est ça la banlieue, et que nous aurons demain des situations abominables. Il faut redire que c’est une fiction et non un documentaire. C’est très habilement fait, et il ne s’agit pas de nier des difficultés ou des discriminations, mais gardons à l’esprit que le réel est plus complexe, contradictoire et paradoxal que le film. "

Devenir Matisse

Philippe Meyer

"Au musée Matisse du Cateau-Cambrésis, ville d’origine du peintre, se tient en ce moment une très belle exposition, charmante, gaie, intelligemment faite, intitulée « devenir Matisse ». Si vous vous rendez en voiture dans cette ville, ce qui est probable vu l’état de la circulation ferroviaire en ce moment, vous avez aussi la possibilité de passer par l’abbaye de Longpont, de visiter Soissons, ou la cathédrale -et même la ville- de Laon, qui est intéressante à plus d’un titre, puisqu’elle donne à comprendre comment le pouvoir central en a fini avec des villes qui étaient d’une grande importance géographique ou militaire. Mentionnons aussi le château de Blérancourt, où un musée franco-américain est aussi naïf que touchant."

L’institut Jacques Delors

Nicole Gnesotto

"Je voudrais aussi insister, en matière de questions européennes, sur l’importance des publications de l’Institut Jacques Delors. L’institut a, comme son nom l’indique, été fondé par Jacques Delors quand il quitta la Commission européenne en 1996, et ce n’est pas un institut français, même s’il est basé à Paris, mais réellement européen par ses chercheurs, son financement, et son programme. Il y a depuis les élections européennes une série de publications extrêmement pertinentes, ainsi qu’un observatoire sur ces élections et ce nouveau Parlement européen. Sur le Brexit, une série de blogs très intéressants, et enfin un compendium appelé « new beginnings », réalisé en partenariat avec la branche berlinoise de l’institut, qui présente des propositions très précises sur l’agenda qu’a présenté Mme von der Leyen. "

Errances

Marc-Olivier Padis

"Pour les gens qui aiment les récits de voyage, je recommanderai ce livre d’Olivier Remaud. C’est en réalité une biographie de Vitus Béring, l’explorateur qui a donné son nom à la mer, à l’île, à la ville et au détroit séparant la Sibérie de l’Alaska. Au début du XVIIIème siècle, ce Danois a été chargé par le tsar d’explorer les confins d la Sibérie et de dessiner les limites de la côte. On ne savait pas à cette époque si le continent touchait l’Amérique ou non. Il part donc sans vraie carte et découvre des peuples sibériens mal connus. C’est un récit qui est aussi historique, puisqu’il présente les outils de navigation, les moyens de se repérer, d’une certaine manière la naissance de la géographie."

Amis Américains

Jean-Louis Bourlanges

"Je voudrais signaler ce magnifique -et énorme- volume, qui vient d’être réédité pour la deuxième fois, de notre ami Bertrand Tavernier sur les amis américains. L’auteur est indiscutablement un de nos plus grands réalisateurs, c’est aussi l’homme de France qui connaît le mieux à la fois le cinéma américain et l’Amérique elle-même, son Histoire, ses guerres, etc. Il s’agit ici d’un énorme volume, admirablement iconographié, c’est une série d’entretiens avec tous les Américains du cinéma que nous aimons. Au moment où l’Amérique offre, au moins sur le plan politique, un visage assez déplaisant, il est excellent de se remonter le moral à travers ce livre, pour voir à la fois ce qu’apporte l’Amérique au cinéma, et ce qu’un regard aussi perçant, aigü et généreux que celui de Bertrand Tavernier peut en tirer. "