ÉLECTIONS PARTIELLES : UN DROITE REVIENT ?
Introduction
ISSN 2608-984X
Philippe Meyer :
La droite est ressortie le week-end dernier avec trois bons résultats à des élections partielles. Aux municipales de Villeneuve-Saint-Georges dans le Val-de-Marne, Kristell Niasme la candidate Les Républicains, l’a emporté avec 49% des voix contre 38,75 % pour l’insoumis Louis Boyard et 12,25 % pour le maire sortant Philippe Gaudin. Un succès auquel s’est ajouté le même jour, celui de la législative partielle à Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine, où la candidate LR Elisabeth de Maistre est arrivée largement en tête au premier tour, éliminant la macroniste Laurianne Rossi de Renaissance, soutenue par Gabriel Attal ; sans oublier l'élection de la LR Claire Pouzin comme maire à Francheville dans le Rhône. Des résultats, qui s’additionnent aux deux élections partielles qui se sont tenues dans les Ardennes en décembre et en Isère en janvier, permettent d'observer un léger rebond du parti Les Républicains qui lui permet de retrouver le goût de la victoire, après des années de déboires électoraux et le départ de son ancien président Éric Ciotti, désormais allié du Rassemblement national.
Ils sont nombreux à droite à expliquer ce regain de forme électorale des Républicains par leur retour au premier plan et au gouvernement après la dissolution. « Les LR ont retrouvé de l'oxygène » grâce à leur retour aux responsabilités, confiait récemment l'éphémère Premier ministre Michel Barnier, en privé, louant la « crédibilité » des ministres issus de LR. Laurent Wauquiez, lui, estime que « la refondation de la droite avance », et fait tout pour rappeler que la droite n'est « pas soluble » dans le macronisme, vis-à-vis duquel il demeure très offensif, malgré le partage du gouvernement. Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau va plus loin : « la droite est vraiment de retour », se félicite-t-il sur X. Il assure que les premiers mois au gouvernement l'ont « convaincu qu'il y avait un espace » pour la droite, observant que sa cote de popularité mordait tant sur l'électorat macroniste que lepéniste.
Toutefois, les ressorts du vote d'une élection nationale sont rarement transposables à un scrutin local, martèlent les politologues. Il est délicat de se baser sur deux municipales pour invoquer un regain de forme électorale national, font-ils valoir, et la droite dirigeait déjà les exécutifs sortants. « Il n'y a pas de décalque mécanique des élections nationales vers les élections locales, et d'autant plus vers les élections municipales », souligne Bruno Cautrès, chercheur à Sciences Po et au CNRS.
Kontildondit ?
Nicole Gnesotto :
Il y a 40 ans, le Parti socialiste avait osé, lors d’une campagne législative, afficher un slogan choc : « au secours, la droite revient ! ». Aujourd’hui, on pourrait presque inverser le message et écrire : « enfin, la droite revient ! », tant le paysage politique semble prisonnier d’une polarisation entre les deux extrêmes que sont La France Insoumise et le Rassemblement National.
On se retrouve donc dans une situation assez ubuesque où deux petites élections partielles prennent une ampleur démesurée et sont perçues comme le signe d’un renouveau politique spectaculaire. Mais peut-on réellement dire que la droite revient ? À mon avis, elle se réveille surtout d’un long cauchemar. Depuis plus de dix ans, elle a enchaîné les désastres électoraux. François Fillon atteignait encore 20 % au premier tour de la présidentielle de 2017, mais Valérie Pécresse, cinq ans plus tard, tombait à 4,78 %, et François-Xavier Bellamy plafonnait à 7,25 % aux dernières européennes. Après ces véritables hémorragies électorales, ce n’est que par un improbable bricolage politique que la droite a commencé à refaire surface, il y a trois ou quatre mois, avec la nomination de Michel Barnier comme Premier ministre, et l’entrée de dix ministres LR dans le gouvernement. Un retour inespéré, au regard des 66 sièges que compte le parti à l’Assemblée …
Il s’agit à présent de savoir si cette remontée, largement due aux subtilités du système électoral et aux arrangements institutionnels, pourra se concrétiser auprès des électeurs. C’est tout l’enjeu des deux récentes élections partielles. D’abord, la victoire d’une candidate LR face à Louis Boyard aux municipales de Villeneuve-Saint-Georges est un résultat notable, puisque M. Boyard était député de la région et jouissait donc d’une certaine visibilité. Ce succès témoigne aussi d’une forme de pragmatisme retrouvé chez une partie du Nouveau Front populaire, notamment les socialistes. Ensuite, dans la législative partielle, on assiste à un duel entre un candidat LR et un candidat « Horizons » macroniste, donc dans tous les cas, le vainqueur reste dans la zone modérée de l’échiquier politique.
Mais ces victoires suffisent-elles à signer le retour d’une droite républicaine structurée ? Au vu des désastres précédents, on est tenté de le croire. Toutefois, le problème majeur demeure : il y a pléthore de droites. Et c’est là l’obstacle principal à la reconstitution d’une opposition forte ou d’une droite de gouvernement : une profusion de chefs. Vous en avez cité plusieurs : Laurent Wauquiez, Bruno Retailleau, Xavier Bertrand, David Lisnard… sans oublier Édouard Philippe pour Horizons, ou Michel Barnier qui, malgré sa discrétion, pourrait nourrir des ambitions présidentielles, et même Dominique de Villepin, qui, bien que sur une ligne différente, revendique sa place dans le débat national. Et comme tout cela fait tout de même beaucoup d’hommes, il faudra bien qu’une femme émerge à un moment donné.
On pourrait bien sûr établir des nuances : Bertrand se veut plus social, Retailleau plus conservateur sur les valeurs et plus ferme sur l’immigration, Wauquiez plus libéral sur le plan économique, etc. Mais ce qui me frappe surtout, c’est l’absence, à une seule exception près, d’un discours sur le monde et la place que devrait y occuper la France. Aujourd’hui, nous faisons face à des bouleversements géopolitiques majeurs – des tempêtes économiques, des crises sécuritaires – qui menacent des piliers comme la Sécurité sociale, l’État-providence, le modèle pacifié de l’Europe. Or, que fait la droite ? Au lieu de se saisir de ces enjeux fondamentaux, elle se cantonne à des débats dérisoires sur l’âge de la retraite ou les jours de carence … Ce n’est pas seulement navrant, c’est aussi une irresponsabilité flagrante. Comment peut-on espérer reconstruire une alternative crédible sans proposer une vision d’ensemble ? Le seul qui tente d’articuler une réflexion globale sur ces sujets, c’est Dominique de Villepin. Mais paradoxalement, c’est aussi celui qui a le moins de chances d’incarner la droite républicaine dans les prochaines élections.
Il y a bien un frémissement à droite, mais il reste timide, presque anecdotique. Ce n’est pas encore le retour d’une droite structurée, dotée d’une hauteur de vue à la mesure des défis actuels.
Akram Belkaïd :
Cette guerre des chefs représente effectivement un poids pour la droite. On le voit bien : chacun surveille l’autre de près. Certes, quelques figures se détachent, dont Dominique de Villepin. Mais son principal handicap, c’est l’absence d’un parti ou d’une structure qui pourrait le soutenir. Est-il lui-même intéressé par cette bataille ? Rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, en revanche, c’est que son regard sur le débat national, sa vision des relations internationales – qu’il s’agisse du conflit à Gaza ou des liens à établir entre l’Europe et l’Amérique de Trump – est unique, et fait cruellement défaut aux autres. Le reste de la droite se résume, sur les questions internationales, aux relations avec l’Algérie. Et il est vrai que cette étroitesse de vue est sidérante.
« Un retour de la droite » : oui, mais quelle droite ? La droite républicaine, qui conservait par certains aspects un héritage gaulliste ? À part Dominique de Villepin, il semble qu’elle ait complètement disparu. Comme ces grenouilles plongées dans une eau qui chauffe progressivement, et meurent sans même prendre conscience d’un problème, la droite française s’est transformée sans s’en apercevoir. Elle a glissé vers les positions du Rassemblement National, au point qu’il devient de plus en plus difficile de l’en distinguer dans le discours et les comportements. Il suffit d’écouter Bruno Retailleau : tout ce qu’il dit aujourd’hui semble calibré pour séduire l’électorat du RN, et cette évolution n’est pas sans conséquences.
Certes, on peut dire que la droite revient, mais elle revient profondément transformée, et même dénaturée. Elle a abandonné certaines lignes rouges qui faisaient son identité, notamment ce périmètre de sécurité que des figures comme Jacques Chirac avaient rigoureusement maintenu vis-à-vis du Front national. Aujourd’hui, ce cordon sanitaire semble avoir disparu. Certes , il s’agit d’une stratégie électorale, mais où va-t-elle mener ? En tous cas, elle suscite une inquiétude au sein même du Rassemblement National : cette extrémisation pourrait bien capter une partie de l’électorat du RN, on le voit avec ces scrutins récents : certains électeurs RN semblent revenir vers la droite traditionnelle.
Cette droite qui « revient » a changé, elle a profondément redéfini son corpus idéologique, notamment à propos de l’immigration et de ses relations avec les pays du Sud.
Béatrice Giblin :
Je voudrais apporter une précision sur ces élections partielles, notamment celle de Villeneuve-Saint-Georges. Cette ville compte 35.000 habitants, ce qui explique pourquoi LFI voulait en faire un symbole : cela s’inscrit dans sa stratégie d’implantation pour les municipales de 2026, en vue des présidentielles de 2027. Sur ces 35.000 habitants, on ne compte que 13.000 électeurs, ce qui donne une idée de sa composition démographique. C’est l’une des villes les plus jeunes (et les plus pauvres) de France. Cela signifie qu’une part importante de la population ne vote pas – soit parce qu’elle est trop jeune, soit parce qu’elle n’a pas la nationalité française. On se retrouve donc avec seulement 13.000 électeurs potentiels. Avec une abstention autour de 50 %, on arrive à environ 5.300 votants. La candidate LR a été élue avec un peu plus de 2 500 voix. On a donc une élue qui représente, en nombre de suffrages, une toute petite fraction des 35.000 habitants de sa commune. Louis Boyard fait certes une dizaine de points de moins, mais en nombre de voix, l’écart est très faible.
Il faut aussi rappeler qu’en 2022, il avait été élu avec 61 % des voix aux législatives, mais que c’était dans le cadre du Nouveau Front Républicain. Autrement dit, un grand nombre d’électeurs avaient voté pour lui non pas par adhésion au programme de LFI – contrairement à ce que ce parti aime à répéter – mais pour empêcher le Rassemblement National de l’emporter. Ce n’est pas du tout la même dynamique.
Le succès de LR doit donc être relativisé : il repose en partie sur le rejet de LFI. À Villeneuve-Saint-Georges, les tractations ont été particulièrement révélatrices. Le PS avait demandé le retrait d’un membre de la liste qui prônait la résistance du Hamas, mais en réalité, avant même ces discussions, M. Boyard avait déjà constitué une liste sans socialistes. Cela illustre bien la stratégie agressive de LFI, qui fait cavalier seul.
Le frémissement de LR doit être analysé en prenant en compte le rejet du macronisme, qui est très fort, et la fracture grandissante à gauche, qui semble désormais irréversible. Clamer un retour solide de la droite républicaine serait exagéré. Par ailleurs, je rejoins totalement Akram : la droite reprend largement les thématiques du RN, notamment sur l’immigration. On l’a encore vu lors du débat sur l’amendement LR remettant en question le droit du sol à Mayotte. Rappelons au passage que le droit du sol n’est pas automatique sur le territoire français, il n’a rien de comparable à celui des États-Unis, auquel Trump s’attaque en ce moment. À Mayotte, le journaliste Patrick Cohen rappelait d’ailleurs que le nombre de personnes concerné est absolument dérisoire. Et pourtant, le ministre de la Justice a laissé entendre que Mayotte pourrait être un premier pas vers une révision plus large de ce principe sur l’ensemble du territoire français. On est donc bien face à une stratégie où l’immigration et la sécurité sont mises en avant de manière obsessionnelle. C’est sans doute payant électoralement, mais insupportable pour qui tente d’avoir une réflexion raisonnée, cedont les Français semblent incapables à propos de l’immigration. Et pour reprendre l’image évoquée par Nicole sur l’affiche du PS, je dirais que c’est comme le Canada Dry : les électeurs préfèreront toujours l’original à la copie. À ce jeu-là, LR risque davantage de renforcer le RN que de se renflouer lui-même avant la présidentielle.
Lionel Zinsou :
Plutôt que : « est-ce que la droite revient ? », la vraie question n’est-elle pas : « est-ce que la gauche s’en va ? ». Interrogation bien plus inquiétante. On souligne que le macronisme traverse une mauvaise passe, mais dans l’élection législative partielle de Grenoble, c’est pourtant un candidat macroniste qui l’a emporté. Pourtant de nombreux éditoriaux, sur la base de quelques centaines de voix à Villeneuve-Saint-Georges, clament la disparition totale de l’héritage électoral du macronisme. Cela me paraît un peu hâtif. Ce qui me semble bien plus significatif en revanche, c’est le rejet de LFI partout en France. Le problème fondamental, c’est qu’à Villeneuve-Saint-Georges, la droite l’a emporté malgré une majorité de la population à gauche. Car lorsqu’on additionne les voix du Nouveau Front populaire, il apparaît clairement que cette ville était imperdable pour la gauche. Or elle a été perdue. Si cette dynamique préfigure les municipales de 2026 et, par extension, le rapport de forces pour 2027, alors le vrai frémissement, ce n’est pas tant le retour de la droite que l’implosion de la gauche.
On observe le même phénomène à Grenoble et ailleurs : la gauche a des positions arithmétiquement solides, mais la division interne et l’affaiblissement de LFI l’amènent à la défaite. Ce qui est frappant dans l’exemple de Villeneuve-Saint-Georges, c’est qu’un compromis entre les différentes forces aurait été relativement simple à trouver : une fusion de listes était possible. Mais cela supposait que LFI accepte de ne pas adopter une posture intransigeante sur les sujets liés au communautarisme ou au soutien au Hamas. Or, cette ligne semble intouchable chez eux, faisant de leur stratégie électorale une impasse. Ils ont donc préféré perdre plutôt que de chercher un accord. Il faut aussi rappeler que LFI a annoncé vouloir généraliser cette logique de confrontation dans toutes les grandes municipalités conquises par les écologistes et les socialistes. Cela concerne des villes comme Lyon, Bordeaux, Rennes ou Montpellier. Si cette ligne est maintenue, cela signifie que, même dans des bastions sociologiquement favorables à la gauche, les divisions internes risquent de faire perdre un terrain considérable aux municipales, mais aussi en vue de 2027.
Un autre élément frappant, c’est l’absence totale de discipline électorale. À Villeneuve-Saint-Georges, il aurait suffi d’un léger sursaut entre les deux tours pour dépasser les 40 % de participation et inverser le résultat. Or, rien de tel ne s’est produit. LFI ne semble tirer aucune leçon de ses échecs et refuse toute logique de compromis. C’est bien là le frémissement le plus inquiétant : la gauche prépare son propre échec pour 2027.
Béatrice Giblin :
Personnellement, j’aurais tendance à me réjouir que LFI persiste dans une stratégie qui la mène droit dans le mur. Personne n’est propriétaire des voix de ses électeurs, et cette élection prouve une fois encore que la sociologie d’un électorat ne suffit pas à prédire un résultat. Si c’était le cas, la gauche aurait dominé le paysage politique bien plus longtemps, et bien plus tôt, notamment dans les années 1950-1960. Or, ce n’a pas été le cas. De même, affirmer que les ouvriers votent systématiquement à gauche est une absurdité : il existe de nombreuses régions où ils votent à droite, voire à l’extrême droite.
LFI applique cette logique erronée en cherchant à capter un vote communautaire musulman, en essentialisant cet électorat comme s’il lui était naturellement acquis. C’est peut-être vrai pour une fraction d’entre eux, mais cette manière de les considérer est d’une condescendance insupportable et d’une inefficacité patente.
Je ne suis pas d’accord avec vous sur l’explication du succès de la droite à Villeneuve-Saint-Georges ; il ne faut pas négliger l’impact du travail de terrain. La nouvelle maire LR, qui a repris une ville historiquement ancrée à gauche – une ancienne cité cheminote – a investi dans une implantation locale sérieuse. Elle a bâti une relation avec les habitants, elle est allée régulièrement et inlassablement à leur rencontre. Or à l’échelle municipale, LFI ne travaille pas. Les gens n’attendent pas des discours idéologiques, ils veulent des solutions concrètes à leurs problèmes quotidiens. Louis Boyard, à 24 ans, n’incarne pas cette figure de terrain, s’impliquant sur le long terme pour résoudre des problématiques locales.
On peut s’attendre à des surprises dans les grandes villes conquises par les écologistes en 2020 : Bordeaux, Strasbourg, Poitiers, Lyon … L’implantation locale reste un facteur déterminant, or ni LFI ni les macronistes ne disposent de réseaux solides au niveau municipal. C’est un point de faiblesse majeur, qui risque de leur coûter cher.
Nicole Gnesotto :
Je trouve moi aussi que si la division de la gauche se fait au détriment de LFI, c’est plutôt une bonne nouvelle. Cela permettra à une gauche républicaine, aujourd’hui incarnée par le PS et peut-être les Écologistes, de redevenir une alternative crédible en matière de responsabilité politique. On a d’ailleurs l’impression que le PS et LR suivent des trajectoires inverses : LR risque de se brûler à la flamme du RN, tandis que le PS pourrait se renforcer en prenant ses distances avec LFI. C’est une dynamique intéressante, d’autant que les municipales de l’année prochaine constituent un terrain naturellement favorable au PS, bien ancré localement. Les socialistes pourraient avoir moins besoin de LFI pour 2026 qu’aux législatives de 2022.
Akram Belkaïd :
Je pense que dans quelques années, les historiens qui se pencheront sur notre époque constateront à quel point la guerre qui ensanglante le Proche-Orient depuis 18 mois a façonné et miné la politique intérieure française. Je ne partage pas l’idée que le PS serait plus raisonnable que LFI. Au contraire, sur la question de Gaza, LFI a adopté les positions qui s’imposaient, et c’est précisément ce qui pose problème au PS. Quant au supposé communautarisme, parlons-en. Qui, pendant des années, a pratiqué une politique de séduction ouverte envers les habitants des banlieues ? Qui a construit son discours sur l’antiracisme institutionnel avec SOS Racisme ? Qui a mis en avant des figures issues de la diversité comme faire-valoir, en proclamant : « Regardez, nous avons Rachida Dati, Azouz Begag » ?
Cette accusation de communautarisme des Insoumis mérite d’être examinée, mais ne prétendons pas que c’est LFI qui l’a inventée ... Toute la classe politique française a, à un moment ou à un autre, adopté une approche spécifique vis-à-vis des électeurs issus de l’immigration. Prenons la droite : quand Bruno Retailleau reçoit des imams et des représentants de l’islam en France, n’est-ce pas aussi une forme de communautarisation ? C’est en tous cas une manière de façonner une certaine vision de la religion musulmane et de l’intégrer dans un cadre politique …
Je ne suis pas un spécialiste des stratégies électorales, mais je vois bien que 2026 pourrait être un moment clé, un big bang électoral dans plusieurs grandes villes intermédiaires. Et sur le terrain, en tant que journaliste, ce que j’observe, c’est que dans certains quartiers – que ce soit les quartiers nord de Marseille ou certaines zones de Grenoble – les militants de LFI sont bien plus présents que ceux du PS ou de LR. Il y a des endroits où certains partis ne se rendent même plus, estimant qu’ils n’ont aucune chance de gagner. Or, cette attitude aussi est une forme de communautarisme : c’est acter que ces électeurs ne comptent pas ; c’est les abandonner. Ce qui se jouera en 2026 pourrait remodeler le paysage politique bien au-delà des municipales.
RWANDA / RDC : DE QUOI S’AGIT-IL ?
Introduction
Philippe Meyer :
Depuis qu’en novembre 2021 la rébellion du Mouvement du 23 mars, dit « M23 », soutenue par le Rwanda, a relancé les affrontements contre la République démocratique du Congo (RDC) dans l’est de ce pays, près d’1,5 million de personnes se sont réfugiées aux abords de Goma, où vivent déjà un million d’habitants. Le M23 est un mouvement armé composé initialement de miliciens de la communauté Banyamulenge (Tutsis Congolais) intégrés dans l’armée congolaise par l’accord du 23 mars 2009. Ils se sont mutinés en 2012 et ont créé ce mouvement rebelle avec le nom de la date de leur incorporation dans l’armée. La prise de Goma, le 27 janvier, fait courir le risque d’un désastre humanitaire d’une immense ampleur dans une zone marquée par des décennies de conflits.
Ce n’est pas la première fois que la capitale de la province du Nord-Kivu tombe aux mains du groupe armé hostile au gouvernement de la RDC, tandis que le Rwanda reprend son soutien à la rébellion. Son armée « a continué d'apporter un soutien systématique au M23 et de contrôler de facto ses opérations », dénonce un sixième rapport des Nations-Unies publié début janvier 2025. Il lui fournit des armes sophistiquées - missiles sol-air, drones, véhicules blindés, tandis que 4.000 soldats rwandais sont actuellement présents dans le Kivu.
Paris et Washington ont « condamné » l'offensive du M23 tandis que Londres s'est dit « fortement préoccupé » et a appelé à la « désescalade ». Quant au Conseil de sécurité de l'ONU, s'il a dénoncé le « mépris éhonté » de la souveraineté de la RDC, il s'est contenté de réclamer le retrait « des forces extérieures », sans les nommer explicitement. Car aux yeux des Occidentaux, le Rwanda, le Pays des mille collines, est l'incarnation d'une success-story, la vitrine d'une aide au développement qui fonctionne. En face, la République Démocratique du Congo, grevée par des conflits depuis plusieurs décennies, gangrenée par la corruption et dotée d'une armée indisciplinée et prédatrice, fait figure de repoussoir pour certains. Quant aux États-Unis, l'Afrique n'est pas actuellement une priorité de l'administration Trump. Le conflit a pour toile de fond le génocide des Tutsis de 1994 que les Occidentaux n'ont à l’époque pas su empêcher et la manne minière de la région. Grande comme quatre fois la France, la RDC abrite 60 à 80 % des réserves mondiales de coltan, un minerai indispensable à la fabrication des smartphones.
Le 29 janvier, le président de la RDC Félix Tshisekedi a promis « une riposte vigoureuse et coordonnée contre ces terroristes et leurs parrains », affirmant vouloir « reconquérir chaque parcelle du territoire ». Pendant que Kinshasa exige, comme préalable, le retrait du M23 de toutes les positions qu'il occupe, Kigali réclame l'ouverture de négociations directes avec les rebelles. Or, pour le président Tshisekedi, discuter avec des « terroristes », ainsi les considère-t-il, est la « ligne rouge » à ne pas franchir. À l'allure où vont les choses, une régionalisation du conflit est à craindre.
Kontildondit ?
Lionel Zinsou :
Merci de donner une place dans notre discussion à une tragédie séculaire, et en plein développement. Car pendant que nous parlons, une ville est tombée – Goma – et une autre tombera sans doute très bientôt – Bukavu. Et ce sont de très grandes villes. Où sommes-nous ? Dans la région des Grands Lacs, à la frontière orientale du plus grand pays d’Afrique, la République Démocratique du Congo, où trois provinces du nord-est sont directement impliquées dans le conflit.
Il y a d’abord le Nord-Kivu, qui borde le lac Kivu et dont la capitale, Goma, vient de passer sous le contrôle du M23 et des troupes rwandaises. Plus au nord, l’Ituri, elle, est déstabilisée par des groupes armés anti-Ougandais, à quelques kilomètres seulement de la frontière avec l’Ouganda et du lac Albert. Enfin, le Sud-Kivu, frontalier du Rwanda et du Burundi, où se trouve Bukavu, une ville encore plus grande que Goma et qui pourrait être la prochaine à tomber.
Cette région est l’une des plus riches au monde en ressources minières critiques. Tout l’est du Congo est un véritable coffre-fort minéral. Plus au sud, en longeant le lac Tanganyika, on arrive au Katanga, où se trouvent d’immenses réserves de cuivre. Mais dans toute cette zone, on trouve aussi du coltan, de l’or, des diamants, notamment en Ituri. Cette richesse en minerais ne fait qu’aggraver une tragédie qui est d’abord humaine et ethnique, mais qui prend rapidement une dimension économique majeure.
Nous sommes là dans l’une des régions les plus pauvres, les plus dévastées, les plus tragiques du monde. J’étais récemment en Ouganda, au bord du lac Albert, regardant l’Ituri sur l’autre rive. Je crois n’avoir jamais rien vu en Afrique d’aussi dur, d’aussi délaissé, d’aussi isolé. L’absence totale d’infrastructures est frappante. Et au-delà même du conflit, la situation humanitaire et sanitaire est dramatique. Vous avez mentionné Donald Trump. Il faut rappeler qu’il a gelé l’aide publique américaine, alors même que cette région est l’une des plus dépendantes de l’aide internationale. L’ONU y est omniprésente, non seulement à travers les Casques bleus, mais aussi via ses agences humanitaires et de réfugiés. Sans cette assistance, nous risquons d’avoir des centaines de milliers de victimes supplémentaires dans les années à venir. Par ailleurs, en quittant l’OMS et en coupant une partie de ses financements, les États-Unis ont aggravé une situation sanitaire déjà catastrophique. Cette région est un foyer épidémique majeur. C’est de là qu’est parti le VIH, ou que la variole a resurgi. Les épidémies de choléra y sont permanentes. Dans ce contexte, priver l’OMS de moyens est une décision criminelle.
Quant à la crise alimentaire, elle est dramatique : il y a des centaines de milliers de réfugiés … Trente ans de guerres successives ont transformé cette région en l’une des zones les plus meurtrières au monde : six millions de morts, probablement. Un chiffre qui ne semble pourtant ni ancré dans la mémoire collective, ni peser sur la conscience internationale.
Le conflit actuel ne peut pas être pensé en termes manichéens. Bien sûr, la RDC peut dire qu’elle est envahie par le Rwanda ; c’est vrai dans la mesure où le M23 est équipé, financé et soutenu par l’armée rwandaise – qui, il faut le rappeler, est sans doute la force militaire la plus efficace du continent. Ce n’est d’ailleurs pas un secret : la communauté internationale elle-même a salué l’intervention rwandaise pour pacifier le Mozambique, une mission financée publiquement par l’Union européenne. Il est en revanche moins connu que le Rwanda joue également un rôle clé en Centrafrique. Contrairement à ce que l’on entend souvent, ce ne sont pas les mercenaires de Wagner qui ont stabilisé la Centrafrique (leur efficacité militaire est largement un fantasme européen). C’est en réalité l’armée rwandaise qui a fait la différence.
Mais pourquoi le Rwanda intervient-il à l’est du Congo ? Ce n’est pas par simple volonté de violer la souveraineté de la RDC, ni même pour contrôler des ressources minières. Pour Kigali, la question est existentielle : après le génocide de 1994, des groupes génocidaires hutus se sont réfugiés en RDC, où ils ont été soutenus par les différents régimes congolais, y compris l’actuel. Le Rwanda considère donc que le génocide perpétré contre les Tutsis – au Rwanda comme en RDC – n’a jamais vraiment cessé, et perçoit son intervention comme une nécessité pour empêcher l’expansion du génocide.
Dès lors, la question devient vertigineuse : où se situe la légitimité ? D’un côté, il y a la souveraineté des États. De l’autre, il y a la défense de populations victimes d’un génocide qui n’a pas complètement disparu. Il n’y a pas de réponse simple, ni sur le plan moral, ni en droit international. Ce qui est certain, en revanche, c’est que si la communauté internationale ne réagit pas très vigoureusement, cette guerre continuera. Or, pour le moment, elle est effondrée.
Béatrice Giblin :
Il n’y a effectivement pas de lecture manichéenne possible de cette situation, qui dure depuis plus de trente ans et s’inscrit dans une histoire bien plus ancienne. J’aimerais ajouter quelques précisions à propos de cette région des Grands Lacs. Le Kivu, c’est 320.000 km² pour 20 millions d’habitants. Cela donne une idée des ordres de grandeur et de la pression démographique dans cette région, où la croissance démographique reste très forte, malgré un nombre effroyable de victimes, y compris parmi les femmes, les enfants, les vieillards ...
Les enjeux fonciers sont cruciaux. Cette région repose sur des hautes terres volcaniques, situées au-dessus de la zone infestée par la mouche tsé-tsé. Ces terres sont propices à l’élevage et l’altitude offre des conditions de vie bien plus favorables qu’en milieu équatorial « normal », où les contraintes environnementales sont bien plus lourdes.
Avec une densité de population d’environ 575 habitants au km² en milieu rural, le Rwanda constitue une exception radicale en Afrique. Le Kivu, bien que densément peuplé, a longtemps été un territoire moins saturé, ce qui a fait de lui un vase d’expansion naturel pour les populations rwandaises. Ce mouvement migratoire du Rwanda vers le Kivu est ancien, mais il s’est accentué à partir des années 1950.
Ces populations sont des Banyarwanda (NDLR : groupe culturel et linguistique qui regroupe à la fois des Hutus, des Tutsis et des Batwa). Dans un premier temps, cela s’est plutôt bien passé, mais avec l’accroissement des flux migratoires, les conflits fonciers ont émergé. Les chefs locaux, voyant leurs terres peu à peu occupées, ont réagi en instaurant des rapports de force, et de réelles tensions sont apparues. Puis est survenu le génocide de 1994. Un million de Hutus ont fui vers le Kivu après la victoire du FPR de Paul Kagame au Rwanda. Certains ont poursuivi leur route vers des zones plus profondes de la RDC, mais leur présence massive a bouleversé les équilibres locaux. Ce territoire est donc en quelque sorte devenu un espace de redistribution démographique pour le Rwanda – et il continue de l’être aujourd’hui, ce qui en fait un enjeu de premier ordre dans le conflit actuel.
Le deuxième facteur, c’est évidemment la richesse minière. La région est sur le Grand Rift, une faille majeure qui explique l’abondance des ressources minières dans cette région. Cette richesse a évidemment suscité des convoitises externes depuis très longtemps. De grandes multinationales ont longtemps exploité ces gisements. Les Canadiens y étaient par exemple présents, mais ils ont fini par se retirer. Aujourd’hui, seule la Chine reste un acteur majeur, avec des investissements massifs dans l’exploitation minière du Congo.
Mais au-delà de ces grandes puissances, n’oublions pas que pour une population en grande précarité, ces mines représentent une opportunité, même dérisoire. Travailler comme creuseur – ces jeunes hommes qui s’enfoncent dans les filons miniers à mains nues – permet de gagner 1 ou 2 dollars par jour. Malgré des conditions de travail terrifiantes et une mortalité très élevée, c’est un revenu indispensable pour beaucoup.
Enfin, il y a l’enjeu international. Ces minerais et les terres rares sont aujourd’hui essentiels à l’économie numérique mondiale. Que ce soit pour les smartphones ou les batteries, le lithium et le coltan (mélange de colombo et de tantalite) sont devenus stratégiques. Et leur circuit d’exportation passe par le Rwanda : ces minerais y sont acheminés, souvent par de petits avions, avant d’être expédiés sur le marché mondial.
Ainsi, cette guerre s’inscrit dans un enchevêtrement d’intérêts, du plus local au plus global. La RDC, qui pourrait être une puissance économique avec de telles ressources, est aujourd’hui un État failli, incapable d’imposer son autorité sur son propre territoire. Et tant que cette situation durera, la région restera un foyer de violences, tiraillée entre dynamiques locales, guerres ethniques, appétits économiques et luttes d’influence internationales.
Akram Belkaïd :
À la fin des années 1990, certains médias avaient qualifié la situation en RDC de « guerre mondiale africaine », en raison de l’intervention de plusieurs puissances étrangères. À l’époque, l’armée zimbabwéenne était engagée, ainsi que les Sud-Africains, et l’on voyait déjà à quel point ce conflit dépassait largement les frontières congolaises. Cela révélait qu’au fond, la RDC n’avait jamais été un État pleinement constitué. Elle a connu une dictature qui ne s’est jamais souciée de bâtir des infrastructures, en dépit de l’immensité de ses richesses naturelles.
On parle aujourd’hui du M23, ce groupe financé et armé par le Rwanda (même si Kigali s’en défend régulièrement). Toutefois, le M23 n’est qu’un acteur parmi d’autres. Il existe en fait une vingtaine de groupes armés dans la région, chacun ayant ses propres objectifs, ses circuits de financement et ses réseaux d’influence. L’abondance des armes et la fragmentation des forces en présence rendent toute solution diplomatique particulièrement difficile : les parties prenantes sont trop nombreuses et leurs intérêts trop divergents.
Par ailleurs, si les grandes multinationales se sont retirées du secteur minier congolais, cela ne signifie pas que l’exploitation des ressources s’est arrêtée. Outre les entreprises chinoises, une myriade de petites sociétés minières, souvent domiciliées dans des paradis fiscaux, ont pris le relais. Beaucoup d’entre elles disposent de leurs propres milices ou font appel à des agences de sécurité privées. On est ainsi dans un entre-deux, à mi-chemin entre exploitation illégale et banditisme, où les principaux perdants restent les populations locales et l’État congolais, qui n’a pratiquement aucun contrôle sur ses propres ressources.
Un mot sur le Rwanda, qui reste un pays fascinant à bien des égards, en particulier par la manière dont il est gouverné. Paul Kagame est un homme qui a toujours fait la guerre. Très jeune, il a porté l’uniforme, d’abord en Ouganda, puis dans la lutte contre le régime hutu au Rwanda. Il a façonné l’armée rwandaise à son image : une force redoutablement efficace, disciplinée et déterminée. Mais ce qui est frappant, c’est l’ambiguïté de la communauté internationale à l’égard du Rwanda. D’un côté, il y a une culpabilité historique liée au génocide de 1994, de l’autre, il y a une tolérance étonnante envers certaines interventions de Kigali en RDC.
Nous vivons désormais dans un monde où le président américain peut déclarer qu’il prend le contrôle de tel ou tel territoire, à son gré. Dans ces conditions, pourquoi le Rwanda se gênerait-il ? L’absence de fermeté face à Kigali est évidente : Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations-Unies, est toujours extrêmement prudent lorsqu’il s’adresse au Rwanda, car l’ombre du génocide plane encore sur la manière dont le pays est perçu. Cette situation d’impunité diplomatique complique encore davantage la résolution du conflit. Tant que le Rwanda ne sera pas clairement rappelé à l’ordre, tant que les dynamiques de guerre resteront plus lucratives que la paix, cette crise continuera de s’enliser, avec les effroyables conséquences humanitaires que l’on sait.
Nicole Gnesotto :
Dans cette redoutable complexité, je pense qu’il est pourtant possible de dégager quelques idées simples.
La première, c’est que, quelles que soient ses raisons, il est clair que le Rwanda est l’agresseur. Même si Kigali dément, il y a 4.000 soldats rwandais qui soutiennent le M23. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois : c’est la troisième guerre entre le Rwanda et la RDC. Et les objectifs de M. Kagame sont assez lisibles. Le premier est d’empêcher le retour des Hutus soutenus par la RDC, mais après tant d’années, leur nombre et leur influence sont bien moindres qu’autrefois. Le deuxième est territorial : Kagame a récemment déclaré que les frontières héritées de la colonisation devaient être « revues », ce qui traduit une volonté d’expansion. Le troisième est économique : il s’agit de s’emparer des richesses minières situées au-delà de la frontière, alors que le Rwanda lui-même n’en dispose pas en abondance.
La deuxième idée simple, c’est que la communauté internationale porte une responsabilité majeure. L’indulgence dont bénéficie le Rwanda est évidente. Parce qu’il a été victime d’un génocide effroyable en 1994 – 800.000 morts – ce statut de victime semble conférer au pays une forme d’impunité. Toute critique de Kagame devient impossible, tant il est perçu comme un chef d’État à ménager. Il bénéficie d’un soutien occidental constant, et il sait parfaitement entretenir cette complaisance. Cela fait maintenant dix ans que la communauté internationale ferme les yeux sur ses opérations en RDC. Certes, on n’a pas spontanément envie de défendre la RDC, qui est loin d’être un modèle démocratique, mais l’inaction face aux agissements rwandais n’est pas due à une méconnaissance des faits. C’est un choix délibéré.
D’abord, parce que les puissances occidentales ont besoin du Rwanda. L’Union européenne a signé en juillet 2024 un partenariat sur l’exploitation minière avec Kigali, en contrepartie d’un financement de l’armée rwandaise. Deux versements de 40 millions d’euros ont déjà été faits. Ensuite, il y a la peur de voir la Chine tirer parti de la situation pour accroître son contrôle sur ces ressources stratégiques. Par ailleurs, le Rwanda affiche une réussite économique qui permet de nuancer l’image d’une Afrique « perdante de la mondialisation ». Enfin, M. Kagame est un homme précieux pour les Nations-Unies, notamment grâce à ses interventions militaires efficaces.
Mais au fond, le nœud du problème, c’est que tant que la communauté internationale ne désignera pas clairement le Rwanda, et en particulier Paul Kagame comme partie prenante du conflit, aucune solution ne sera possible.
Lionel Zinsou :
Malheureusement, je crains que ces idées simples ne suffisent pas à simplifier la situation. La communauté internationale ne se résume pas à l’Occident, ni à un affrontement entre l’Occident et la Chine. C’est aussi l’Afrique elle-même, qui, face à cette crise, est profondément divisée et incapable d’imposer une solution.
Il y a aujourd’hui trois grandes interventions africaines, qui reflètent cette fragmentation. D’abord, il y a l’Angola, qui adopte une position relativement neutre et tente de rassembler tout le monde autour de la table. C’est probablement l’approche la plus constructive : jusqu’en novembre dernier, on semblait s’approcher d’un accord, avec des cessez-le-feu en discussion. Mais l’Angola demande à la RDC de négocier avec le M23, ce que Kinshasa refuse catégoriquement. Ensuite, il y a les pays d’Afrique de l’Est, menés par le Kenya, qui sont des soutiens inconditionnels du Rwanda. Cela complique toute tentative de médiation. Enfin, il y a la SADC (« Southern African Development Community »), la communauté de développement de l'Afrique australe, autour de l’Afrique du Sud. Cette coalition, qui inclut le Botswana et le Zimbabwe, a envoyé plusieurs milliers de combattants à Goma, près de l’aéroport. Mais ces forces se retrouvent désormais piégées, aux côtés des Casques bleus de la MONUSCO, face à une armée rwandaise et aux combattants du M23 qui leur sont très largement supérieurs sur le plan militaire. L’Afrique du Sud a déjà subi de lourdes pertes dans la prise de Goma.
L’Union africaine elle-même est totalement paralysée par ces divisions, avec trois initiatives incompatibles entre elles. Et au niveau global, la communauté internationale ne parviendra jamais à s’accorder sur la désignation d’un agresseur. Lorsque vous avez un million de Hutus, dont 100.000 génocidaires qui ont traversé la frontière, effectivement le narratif du « Rwanda victime » s'impose … Il n'y a pas de simplification possible.
Enfin, sur la question de l’État failli, il faut bien comprendre que la RDC n’a jamais été un pays intégré. Son incapacité à assurer son propre fonctionnement interne est une réalité structurelle. Prenons l’exemple militaire : il est impossible d’acheminer des renforts vers Goma, tout simplement parce qu’il n’y a pas de routes. Du point de vue économique, c’est aussi la raison pour laquelle les minerais transitent par avion vers le Rwanda. C’est cette absence de cohésion territoriale qui fait de la RDC un État failli, ce n’est pas seulement une question de gouvernance ou d’instabilité politique.