La Macronie expliquée aux électeurs ; Le rapport Mueller #82

La Macronie expliquée aux électeurs :

Introduction

Lundi 25 mars, le conseiller spécial d’Emmanuel Macron, Ismaël Emelien, a quitté l’Elysée. Depuis plusieurs semaines, de plus en plus de membres du cabinet quittent le palais présidentiel. Barbara Frugier, la conseillère presse internationale, Sylvain Fort, le directeur de la communication, Stéphane Séjourné, le conseiller politique, David Amiel, le bras droit du secrétaire général Alexis Kohler, Fabrice Aubert, le conseiller institutions et action publique, ou encore Ahlem Gharbi, la conseillère Afrique du Nord et Moyen‐Orient. L'entourage direct du président sembleNfragilisé par l'affaire Benalla puis par la crise des « gilets jaunes ». Faisant face aux critiques jugeant l’entourage du président souvent trop jeune et monocolore, Emmanuel Macron a commencé à repeupler son cabinet de figures plus expérimentées telles que Philippe Grangeon, arrivé le 4 février.            Optant pour des stratégies variées et face à un entourage mouvant, après presque deux ans au pouvoir, le macronisme demeure encore flou. C’est justement ce que tentent de définir Ismaël Emelien et David Amiel, ex-bras droits respectifs d'Emmanuel Macron et du secrétaire général, Alexis Kohler, dans leur livre « Le progrès ne tombe pas du ciel », paru cette semaine. L'exercice est inédit : jamais un président en fonction n'avait eu à définir sa doctrine. Refusant l’idée que le macronisme est un pragmatisme, les deux auteurs soulignent l’idéologie de ce mouvement parmi laquelle on distingue son progressisme et son combat contre le populisme. A moins de deux mois des élections européennes, ces deux anciens conseillers y défendent à la fois leur vision du progrès, et le bilan du gouvernement.

Kontildondit ?

Marc-Olivier Padis (MOP) était dans de bonnes dispositions quand il a vu le titre du livre : « le progrès ne tombe pas du ciel », qui semblait signifier que le macronisme n’était pas un jupitérisme. Le livre ne tient cependant pas entièrement les promesses de son titre.
Tout d’abord, il semblerait que pour les auteurs, expliciter la doctrine suffirait à provoquer un changement social. On repère ici un appel à l’engagement, mais aussi un message qui relève tout de même un peu de la pensée magique : on est en droit de douter sérieusement qu’une explication suffira à provoquer le changement escompté. Le premier chapitre notamment, une espèce de survol de l’histoire politique française, voire occidentale, s’appuie sur une idée de l’autonomie individuelle qui parait schématique et un peu maigre. Marcel Gauchet est l’un des seuls auteurs cités, mais pas très fidèlement. Car si pour Marcel Gauchet, l’histoire occidentale est en effet celle de l’autonomisation progressive des individus, elle est aussi un phénomène très ambivalent : elle n’a pu se développer qu’au sein de structures collectives, elle ne résulte pas seulement de choix individuels. Il faut des institutions pour aider cela, ce qui explique le développement de l’état en France. Cette dimension collective de l’histoire de l’émancipation ne semble pas prise en compte par les auteurs. Plus d’autonomie individuelle implique plus d’interdépendance entre les individus.
Pour les auteurs, la société se résume à des alternatives entre promesses et blocages, ou entre des opportunités et des rentes (et il s’agit évidemment de favoriser les premières et limiter les seconds). La société est pour eux malléable, une pâte à modeler transformable à loisir depuis l’extérieur. Cette vision semble contredite par les évènements actuels. Il y a une dynamique à la société, elle se transforme toute seule. La vision qui en est donnée dans ce livre est très schématique, notamment à propos des corps intermédiaires. C’est là le grand problème du macronisme : il n’y a pas de vrais interlocuteurs dans la société. Dans le livre, les syndicats, les partis, les forces locales, tout ce qui fait la vie civile est critiqué ou déconsidéré. La société est décrite dans ce livre d’une façon trop schématique pour comprendre la politique qu’ils veulent mener.

Philippe Meyer (PM) :
Les trois principes du macronisme qu’annoncent les auteurs sont les suivants :
maximiser les possibles des individus présents et futurs.
il y a davantage de possibles quand on agit ensemble.
il faut commencer par le bas.

Michaela Wiegel (MW) :
La lecture de ce livre a rappelé à MW ce qu’Emmanuel Macron avait dit avoir compris grâce à son travail avec Paul Ricœur : nous sommes tous des nains juchés sur des épaules de géants. Cet enseignement semble avoir été compris à l’envers par ses conseillers ... Macron, suite à son travail avec Ricœur, avait été tenté un moment de se consacrer à la philosophie politique, et y a renoncé après avoir réalisé que le meilleur de l’œuvre de Ricœur avait été écrit dans la deuxième moitié de sa vie. Autre enseignement qui ne semble pas avoir inspiré les auteurs de ce livre.
MW trouvait bonne l’idée de départ du projet : regrouper dans un livre le corpus intellectuel qui fonde le macronisme. Le besoin s’en fait sentir, en Allemagne par exemple, on est gêné pour débattre car les fondements intellectuels de cette politique ne sont pas clairs. On a du mal à situer Macron dans le spectre politique. S’il est un livre qu’Emmanuel Macron semble avoir beaucoup lu, c’est celui d’Anthony Giddens : Beyond left and right : the future of radical politics. Il y a puisé l’idée d’un mouvement qu’on ne puisse classer à droite ou à gauche. Beaucoup des idées élaborées dans Le progrès ne tombe pas du ciel peuvent être retrouvées dans Giddens. Par exemple cette redéfinition de l’égalité (présentée comme nécessaire) : passer à une égalité réelle des chances, avec tout ce que ça implique en termes de responsabilisation des individus. Cette idée se perçoit très clairement dans la pensée de Macron, beaucoup moins clairement dans le livre, hélas. Maintenant qu’ils ont quitté l’Elysée et ont davantage de temps, les auteurs feraient bien d’expliquer plus clairement et rigoureusement les fondements philosophiques de la pensée d’Emmanuel Macron, car on ne peut pas dire que ce livre y suffise.

Nicole Gnesotto (NG) :
Ce livre parle beaucoup de la société, de ses frustrations et ses déceptions. Ce sont les sentiments qu’éprouve NG à la lecture du livre, censée nous révéler la pensée profonde du président, qui paraît davantage desservi par ce livre qu’aidé.
On constate deux décalages. Le premier est entre la réalité des réformes telles qu’elles ont été menées depuis deux ans, et la conceptualisation qu’en font les deux auteurs. Deux au moins des principes qu’a rappelés PM (commencer par le bas et agir ensemble) sont très exactement à l’opposé de ce qu’a fait Macron depuis qu’il gouverne. Il n’a agi que d’en haut, ce qui lui a valu le surnom de Jupiter, et il a marginalisé les corps intermédiaires ; en termes « d’agir ensemble », on a vu mieux. On se demande où étaient les deux auteurs du livre ces deux dernières années pour que ce décalage leur échappe à ce point. Le second décalage est entre le diagnostic et la solution. NG trouve le diagnostic que font les auteurs sur la société française très juste : une société de frustrations, de l’immobilisme social, économique et géographique. L’explication en revanche est totalement nulle : il n’y a aucune référence au monde tel qu’il est : on a l’impression en lisant que la France est une bulle flottant dans le vide, et que les seuls responsables de tous les problèmes sont la gauche et la droite. Le mot mondialisation n’apparaît même pas. Aucune explication sur la cause, et donc aucune solution. Ce livre est pour le moins décevant, il ne permet pas en tous cas de comprendre la façon dont le président de la République incarne son programme.
Quand on observe la politique menée depuis deux ans, il est évident qu’il y a un macronisme d’avant les Gilets Jaunes, et un d’après. Aussi bien sur le fond que sur la forme. Sur le fond, il est toujours répété que le cap va être gardé. NG en doute, en particulier à propos des deux grandes réformes qui restent : celle des retraites et celle de la fonction publique. Étant donné le climat social extrêmement tendu, on peut sérieusement se demander si elles pourront être menées à bien. Sur la forme, le macronisme post-Gilets Jaunes a effectivement déjà changé : on est passé du petit cercle de proches au grand débat, de la méthode technocratique jupitérienne à l’attention au terrain et aux corps intermédiaires. On est passé de la rapidité des réformes (une tous les deux mois) au temps long de l’écoute. Du personnel au collectif, de l’économique et financier au social. NG appelle de ses vœux un libéralisme qui soit social.

Bien que député de la majorité, Jean-Louis Bourlanges (JLB) ne connaît pas les deux auteurs du livre. Il les a seulement écoutés parler sur France Inter et a lu leur livre. Cette écoute et cette lecture lui ont permis de comprendre le malaise qu’il éprouve depuis deux ans en tant que parlementaire de la majorité. Il y a maldonne entre ces ex-conseillers et lui (« lui » en tant que député de base de l’ancien monde, pas en tant que personne). Il a cependant un petit espoir : il semble qu’il y ait aussi un malentendu entre les auteurs et Macron lui-même.
Ce livre a paru à JLB prétentieux, étriqué, erroné sur ses priorités, assez profondément malveillant, et carrément mensonger.
Prétentieux d’abord. On est en face d’un texte ne contenant pas une idée, ni une analyse intéressante. Simplement l’affirmation qu’ils ont tout compris. Ce qui conduit à des bizarreries : pour donner de l’originalité à leur maximisation des possibles, ils disent que ça n’a rien à voir avec l’égalité des chances (ce qu’ils peuvent se permettre de faire en donnant à l’égalité des chances une interprétation totalement restrictive). Il y a certes une différence, mais elle n’est pas à l’avantage de la maximisation des possibles. Maximiser les possibles, c’est se situer dans une perspective « jeune cadre dynamique concurrentiel » de la liberté. Ce qui mène à des déviations : le modèle philosophique de la vie réussie devient celui de l’enrichissement financier. La liberté d’une personne ne consiste pas forcément en la maximisation de ses possibles, on peut aussi faire le choix d’une vie plus calme ...
C’est aussi un livre étriqué. Il y a une méconnaissance totale de tous les enjeux collectifs. L’Europe et le monde sont en effet absents. Même la France n’y est pas, c’est là que se situe la différence avec Macron, qui lui au moins fait le chemin mémoriel. Ici, aucun enjeu. La société selon les deux auteurs de ce livre est une RPJ : une Résidence pour Personnes Jeunes. La société est ici un réservoir d’outils, plus ou moins informatisés, qu’on fournit aux gens. Or ce n’est pas cela, une société. C’est un ensemble de solidarités, c’est un destin collectif. Si un bulletin de vote peut avoir un poids, c’est parce qu’il est inscrit dans un parti, un mouvement, quelque chose qui dépasse la seule capacité individuelle. La dimension intermédiaire de l’engagement collectif est fondamentale.
Ensuite, c’est un livre erroné sur les priorités. On pense tout de suite aux livres de Jérôme Fourquet, pour qui le problème français est celui d’une fragmentation du corps social, et le but du président de la République, c’est d’abord d’établir des liens entre ces fragments. C’est cela l’enjeu fondamental, et il est totalement ignoré.
Il y a en outre une grande malveillance. Macron a été élu sur le thème de la bienveillance, du rassemblement, de l’écoute. Ici, on n’a que l’exaltation d’une idéologie « bobo », qui consiste à faire honte aux gens qui ne se comportent pas comme ils le devraient (en matière d’écologie par exemple).
Enfin, c’est mensonger, sur deux points essentiels. La solidarité d’abord, puisque ce livre est un hymne à l’individualisme, qui est la plus grande menace pour la société française. L’autre mensonge est celui du mouvement de bas en haut. Ce qui mène là aussi à des acrobaties stylistiques, car expliquer que le jupitérisme vient d’en bas est une gageure. Par exemple « il faut que le haut fonctionnaire soit au service des agents de terrain ». D’accord, mais qu’est-ce que ça veut dire ? C’est du baratin. Typiquement ce qu’on appelait en mai 68 « de l’idéologie ». Le progrès ne tombe pas du ciel, mais il ne tombe pas de ce livre non plus.

Pour Philippe Meyer, il est difficile d’épargner Macron en séparant clairement sa pensée des choses lues dans ce livre, car ce livre émane de son entourage très proche. On avait par exemple longtemps reproché à Michel Rocard de s’être fourvoyé dans une campagne pour les européennes (où son score avait été si faible qu’il avait dû abandonner toute espèce d’autre ambition par la suite). Il s’était présenté sur le (mauvais) conseil de son directeur de cabinet Jean-Paul Huchon. Si bien que des années plus tard, quand on lui disait « vous aviez été mal conseillé dans cette affaire », il répondait « oui. J’ai été mal conseillé par des gens que j’ai choisi ». Il n’a jamais accepté que la responsabilité incombe au mauvais conseil.
PM ne peut pas ne pas se remémorer cela à la lecture de ce livre.

Marc-Olivier Padis :
Rocard avait cette sagesse de ne pas vouloir définir un « rocardisme ». Alain Bergounioux avait cosigné un livre sur le rocardisme, analysé à partir des lois proposées par Rocard. Le rocardisme pouvait être défini, mais Rocard était simplement mal placé pour le faire. Il en va de même ici.

Michaela Wiegel :
Le départ de l’Elysée des deux auteurs est encore assez obscur. Ils ont dit que c’était pour se consacrer à la présentation du livre, ce qui est déjà un peu curieux. N’auraient-ils pas dû se libérer plus tôt, pour son écriture ? MW voit dans ce départ un signe d’émancipation de Macron. On ne sait pas très bien comment le président s’entoure désormais. Cette crise des Gilets Jaunes a tout de même engendré une remise en cause très profonde de la première phase du mandat, et ce départ peut être vu sous cet angle.

Pour Philippe Meyer, c’est effectivement une interprétation possible. Il en aperçoit une autre : jusqu’ici c’était le président et sa bande (les fidèles avec lesquels il a conquis les pouvoir), désormais c’est le président tout seul.

Rapport Mueller

Introduction

Dimanche 24 mars, le ministre de la Justice, William P. Barr, a révélé les résultats de l’enquête du procureur spécial Robert Mueller. Après 675 jours de travail, ce dernier n’a pas trouvé de preuve d’une collusion de Donald Trump ou de son équipe avec les Russes en vue d'influencer le résultat de l'élection présidentielle de 2016,       Cette conclusion a été rapidement célébrée sur Twitter comme une victoire par le président américain tandis que les leaders démocrates au Congrès exigent la publication du rapport « complet », estimant que le ministre de la justice n’est « pas un observateur neutre ».              La menace d’une procédure de destitution du président disparaît néanmoins en ce qui concerne les accusations découlant de l’enquête russe. Le procureur spécial Robert Mueller a, en effet, également cherché à savoir si Trump s'était rendu coupable d'entrave à la justice, en raison du harcèlement et de l'intimidation qu'il aurait exercés sur le ministère de la Justice. À ce sujet, le diagnostic de Mueller ne livre pas de conclusion définitive.          Donal Trump n’est donc pas entièrement blanchi. Les commissions de la Chambre vont poursuivre leurs investigations sur une possible entrave à la justice, sans compter d’éventuels abus de pouvoir, malversations ou conflits d’intérêts. Par ailleurs, pléthore d’enquêtes concernant le président américain sont toujours en cours : l’enquête menée par les procureurs fédéraux du district sud de New York concernant le possible achat du silence de deux femmes ayant eu une liaison avec Donald Trump se poursuit tout comme celle sur les soupçons de corruption via les fonds du comité d'investiture de Trump ou les fonds de la Donald J. Trump Foundation.

Kontildondit ?

Nicole Gnesotto :
Le procureur Mueller devait être le fossoyeur de la présidence Trump, il en est aujourd’hui le sauveur spectaculaire. Certes, Trump est encore l’objet d’autres enquêtes, certes on n’a pas lu le rapport entier, mais le point crucial est que Donald Trump est blanchi de la pire des accusations qui pesait sur lui : collusion avec l’ennemi.
Le premier point à souligner dans cet épisode est que les institutions démocratiques ont fonctionné. Mueller a pu mener son enquête de façon totalement indépendante, ne subissant pas d’interférence de Trump (seulement des injures). Le Congrès va lui aussi faire son travail, puisque la majorité démocrate de la Chambre des Représentants demande désormais la publication du rapport complet. La conséquence institutionnelle de ce rapport est que l’élection présidentielle de 2016 est validée, l’échec de Mme Clinton n’est pas dû à une collusion de son adversaire avec la Russie.
Le deuxième point est que Trump sort renforcé par cette enquête. Certes, il y a de nombreuses ombres au tableau, plusieurs de ses collaborateurs ont été condamnés à des peines de prison, son groupe immobilier est accusé de fraude fiscale, sa fondation de détournements de fonds, mais tout cela est dérisoire par rapport à l’enjeu sur lequel Mueller enquêtait. Désormais l’impeachment n’est plus envisageable, et Trump est rééligible.
Le troisième point intéressant de ce rapport est qu’il révèle les interférences russes. Mueller ne jugeait pas la Russie, mais on sait désormais que les Russes ont travaillé avec acharnement pour désinformer sur les réseaux sociaux, pour pirater les ordinateurs du camp démocrate. On est en droit de se demander s’ils n’interfèrent pas ailleurs qu’aux USA, particulièrement à l’approche des élections européennes.
Le quatrième point est que Trump est désormais libre de mener la politique qu’il veut à l’égard de la Russie. On se souvient que durant sa campagne, il avait manifesté une fascination pour Poutine. Pendant l’enquête, ne voulant pas donner l’impression d’être aux mains des Russes, il avait dû la contenir. Désormais il a les coudées franches et il pourrait bien nous surprendre. L’Amérique a un ennemi stratégique pour le moment, c’est la Chine, l’évolution de la relation avec la Russie est à observer de près.
Un dernier point est l’anéantissement du parti Démocrate. Les Démocrates n’avaient pas de stratégie, ils avaient tout misé sur l’enquête de Mueller et l’impeachment, et se retrouvent aujourd’hui dans l’obligation de refonder une stratégie basée sur le fond et non sur la personnalité du président. Et sur le fond, la seule chose qu’ils doivent faire, mais qui sera difficile tant le parti est Washingtonien, blanc et riche, est de s’allier avec la gauche, avec Bernie Sanders.

Michaela Wiegel :
Le fonctionnement de la presse mérite notre attention. S’il est vrai que les institutions américaines ont fonctionné, et que la justice est indépendante, il n’en a pas été de même pour la presse. Un résumé des commentaires a été fait à chaque rebondissement de l’affaire, il montre une exaltation médiatique sans précédent, avec la fin de Trump annoncée régulièrement. Le Parti Démocrate y a cru, et a fondé sa stratégie là-dessus. Il ne semble pas qu’il y ait aujourd’hui la moindre remise en question de ce système médiatique (qui comprend aussi des travaux sérieux cependant).
D’autre part, il est à espérer que l’intégralité du rapport soit publiée, car il y a quelque chose de bizarre à se contenter d’une synthèse. Le point le plus choquant de ce rapport est que la Russie a activement travaillé à installer Trump au pouvoir, même s’ils n’ont pas effectivement collaboré. L’indépendance et l’intégrité du processus politique aux USA peuvent vraiment être remises en question. C’est un défi qui concerne également nos démocraties européennes, puisque pendant la campagne présidentielle française, des évènements similaires se sont déjà produits (cyberattaque sur les ordinateurs de LREM, multiplication des fausses informations sur les réseaux sociaux). Cette campagne européenne est l’occasion rêvée pour Poutine de montrer ou d’exacerber les divisions au sein de l’Europe. On peut se demander si cet organisme russe l’Internet Research Agency (IRA) évoqué dans le rapport Mueller, ne va pas aussi sévir en Europe. On sait déjà que plusieurs partis, comme le Rassemblement National français ou la Lega Nord italienne sont partiellement financés par des fonds russes.

Marc-Olivier Padis est d’accord avec NG et MW. Il rappelle que Paul Manafort, le directeur de campagne de Trump, a été condamné pour conspiration contre l’état, une charge très grave. Si le rapport est rendu public, il sera intéressant d’étudier dans le détail l’ingérence russe pendant cette élection américaine. On a par exemple appris que la stratégie de cette IRA consiste à exacerber les divisions de la société, en finançant par exemple au Texas ou en Californie des organisations sécessionnistes. Dans une société américaine déjà très polarisée, cette stratégie a été payante.
Comment va se recomposer la stratégie du Parti Démocrate après ce rapport, puisque Trump ne pourra pas subir un impeachment et va vraisemblablement se représenter en 2020 ? MOP juge un peu sévère l’analyse de NG à l’écart des Démocrates. Tout d’abord, le débat sur l’impeachment est mené au sein du parti, pour savoir si c’était une bonne stratégie ou non. Dès avant les élections de mi-mandat, les Démocrates ont débattu si la demande d’impeachment devait être un argument de campagne. Et ils ont décidé que ce n’en serait pas un. Nancy Pelosi avait déclaré il y a plus d’un mois ne pas croire à cette stratégie de l’impeachment, car elle renforcerait l’image de victime que Trump a auprès de sa base, et dont il joue à merveille. Ensuite une procédure judiciaire a son propre fonctionnement, souvent éloigné du combat politique. Or le combat qu’il s’agit de gagner pour les Démocrates est bien politique.
L’enjeu des Américains à présent est d’être moins « trumpo-centré ». Que la vie politique tourne moins autour des tribulations de Trump. Les Démocrates doivent à présent dire au pays ce qu’ils veulent, et annoncer un projet. Plus d’une douzaine de candidats sont déjà annoncés pour les primaires, le débat aura lieu, et le parti Démocrate n’est pas anéanti. Et si on lui reproche d’être composé de riches Washingtonians blancs, que faudrait-il dire du Parti Républicain ?
On va entrer dans une nouvelle phase, de début de campagne présidentielle, dans laquelle le débat va probablement se recentrer sur les questions de fond que sur la personnalité de Trump.

Jean-Louis Bourlanges :
Il s’agissait de savoir si Trump était assez malhonnête pour s’être fait aider par une puissance étrangère qui désirait son élection. Ce qu’on peut dire après la publication de cette synthèse, c’est que Trump est sans doute malhonnête, puisqu’il reste 16 enquêtes le concernant, que la Russie voulait sans aucun doute son élection, et enfin qu’il n’a pas été possible de faire un lien entre les deux. Qui de NG ou de MOP a raison quant à l’implication des Démocrates contre Trump ne change au fond pas grand chose, car étant donné l’énorme attention médiatique sur cette affaire, le fait qu’elle s’arrête si brutalement ne peut que bénéficier à Trump. Il attaque donc la deuxième partie de son mandat en position de force.
Est-il vraiment sûr d’être réélu ? Le fait même de poser la question en ces termes montre combien la probabilité est forte. Il faut mesurer le chemin parcouru par Trump : avant son élection, on le considérait comme n’ayant aucune chance ; depuis qu’il est élu, on l’a quasiment considéré comme non rééligible, on en est désormais à se demander qui pourrait avoir une chance contre lui. Il y a une inconnue assez importante dans cette future élection : l’arrêt éventuel de la prospérité économique. Il y a des signes de ralentissement un peu partout, dont la FED tient compte.
Sur le plan international, il ne brille pas particulièrement. Il est mal considéré en Europe, ses tentatives coréennes n’aboutissent à rien, l’influence des USA dans le Pacifique décline, tout cela n’est pas brillant, mais n’est pas non plus perçu par l’électorat.
Sur le plan électoral, les élections partielles ont montré une stabilité. On est exactement dans la situation de son élection de 2016 : un avantage important pour les Démocrates en nombre de voix, compensé par les caractéristiques du système fédéral. Quand le système est : un homme = une voix, les Démocrates remportent la majorité à la Chambre des Représentants, quand le système est : deux élus par état, les petits états dament le pion aux grands, et les Républicains remportent le Sénat. Ce qui pose un vrai problème, car on est en train d’aller vers un système où les Démocrates se retrouvent avec un handicap de départ de deux à trois millions de voix.
Le Parti Démocrate fait face aux mêmes problèmes que toutes les gauches occidentales : l’afflux militant va vers une gauche radicale et un affaiblissement des forces de coalition. Si Trump se retrouve face à un(e) candidat(e) assez à gauche, ce sera relativement facile pour lui d’être réélu. Les Démocrates doivent faire émerger un candidat de la stature d’un Kennedy ou d’un (Bill) Clinton.

Nicole Gnesotto :
Sur le chemin parcouru par Trump, il faut aussi rappeler à quel point le Parti Républicain lui-même s’acharnait sur Trump il y a encore deux ans et demi. Aujourd’hui il est le patron absolument incontesté. Le Nouvel Esprit Public avait consacré en janvier 2019 un sujet à la crise traversée par Trump, et aujourd’hui son horizon apparaît dégagé.
Ce qui frappe NG depuis la remise du rapport Mueller est la relative modération du président. Le connaissant, on aurait pu s’attendre à ce que cette victoire le rende complètement hystérique, or il fait montre d’une certaine modération.
Quant au parti Démocrate, il se voit désormais forcé de re-conceptualiser sa politique, comme toutes les gauches occidentales en effet.

Les brèves

Mazarin l’italien 

Jean-Louis Bourlanges

"Je voudrais recommander un livre paru en janvier 2018, « Mazarin l’italien », d’Olivier Poncet. C’est un livre très intéressant qui insiste beaucoup sur tout ce que Mazarin doit profondément à l’Italie, à son rapport avec le Saint-Siège. On voit que depuis Jacques Coeur, qui a compris dès le milieu du XVème siècle que c’est vers là qu’il fallait s’orienter, ce feu d’artifice de génie absolu en Mazarin qui se termine avec lui puisque qu’après ça sera la Cour d’Espagne. "

Les Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne - Philippe Brunet

Philippe Meyer

"Le CRAN qui est le groupe d’influence qui prétend parler au nom de la population noire a réussi à empêcher la représentation des Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne mis en scène par Philippe Brunet. Je souhaiterais donc vous lire son texte : « Le théâtre est le lieu de la métamorphose, pas le refuge des identités. Le grotesque n’a pas de couleur. Les conflits n’empêchent pas l’amour. On y accueille l’Autre, on devient l’Autre parfois le temps d’une représentation. Dans Antigone, je fais jouer les rôles des filles par des hommes, à l’Antique. Je chante Homère et ne suis pas aveugle. J’ai fait jouer les Perses à Niamey par des Nigériens. Ma dernière Reine perse était noire de peau et portait un masque blanc.» "

La Neustadt de Strasbourg : Un laboratoire urbain (1871-1930)

Michaela Wiegel

"A l’heure où la présidente de la CDU en Allemagne a encore remis en question le siège du parlement européen à Strasbourg, je voulais recommander un très beau livre «La Neustadt de Strasbourg : Un laboratoire urbain (1871-1930) ». Cela montre à quel point Strasbourg est une ville franco-allemande. C’est une redécouverte de l’héritage allemand et de l’esprit d’ouverture de la ville. Français comme allemands devraient lire ce livre. "

Chefs d’état en guerre

Nicole Gnesotto

"Je recommande le livre du général Henri Bentégeat « Chefs d’état en guerre » paru aux éditions Pérrin. Ça n’est pas vraiment un livre de géopolitique mais c’est un livre extraordinaire si on veut comprendre les plus hautes instances politiques et les dirigeants militaires. Le général Henri Bentégeat sait de quoi il parle puisqu’il a été pendant neuf ans chefs d’état major particulier du président Chirac puis chef d’état major des armées. Il fait le portrait de Napoléon, Clémenceau, Churchill, Staline, Johnson, Miterrand et Chirac… C’est très intéressant de voir comment des chefs d’état ont soit coopéré soit débattu avec la hiérarchie militaire. "