Aix-la-Chapelle : mise à jour avant les élections européennes ; Trump empêtré (#73)

Aix-la-Chapelle : mise à jour avant les élections européennes

Introduction

Mardi 22 janvier dernier, le président français et la chancelière allemande ont signé le Traité d’Aix-la-Chapelle, 56 ans après la signature par le Général de Gaulle et le chancelier Adenauer du Traité de l’Élysée qui scella la réconciliation franco-allemande. Ce traité d’Aix-la-Chapelle avait été voulu par Emmanuel Macron dès le début de son quinquennat et annoncé, en septembre 2017, dans son discours de la Sorbonne qui plaçait l’Europe au cœur de son projet politique. Le texte signé cette semaine ne contient pas de bouleversements majeurs mais plutôt un renforcement du partenariat franco-allemand. Y sont notamment inscrits : une coopération accrue dans le domaine de la défense et de l’économie avec l’objectif de former, à terme, une zone économique franco-allemande ainsi qu’un rapprochement des régions transfrontalières, les eurodistricts, pour la réalisation de projets en commun. Ce texte prévoit également des avancées dans de nouveaux domaines et une coopération dans le secteur du numérique, de l’intelligence artificielle et de la cyber-sécurité. En France, le contenu de ce traité a été publié le 15 janvier soit seulement une semaine avant sa ratification. Les réseaux sociaux se sont d’autant plus facilement fait l’écho de nombreuses fausses nouvelles, dont certaines, pour énormes qu’elles puissent paraître, comme l’annonce de la vente de l’Alsace Lorraine à l’Allemagne, ont réussi à parasiter le débat politique. En Allemagne, les adversaires du traité ont été bien moins virulents. A quatre mois des élections européennes, Emmanuel Macron et Angela Merkel se sont montrés unis alors même que le jour de la ratification de ce traité, Matteo Salvini, ministre de l’intérieur italien, déclarait qu’il espérait que la France se débarrasse d’Emmanuel Macron : « un très mauvais président ».

Kontildondit ?

Michaela Wiegel (MW) :
On a certes entendu beaucoup de théories complotistes, mais on a eu aussi des critiques plus modérées, déplorant le « strict minimum » de ce traité, regrettant qu’il ne soit guère plus qu’un renouvellement du traité de l’Élysée. Pour MW, ces critiques ont sous-estimé la possibilité d’un échec : on l’a vu avec l’exemple du projet de traité franco-italien du Quirinal (qui aurait dû être l’équivalent du traité de l’Élysée franco-allemand). Les négociations d’Aix-la- Chapelle ont été très difficiles. Les insultes et les provocations de Matteo Salvini à l’égard du gouvernement Français montrent qu’une façon de régler les différents à l’amiable n’est pas inutile. Et il en reste entre la France et l’Allemagne.
L’une des questions qui méritent d’être traitées est celle de la transparence des négociations. En effet, le secret de celles-ci est l’un des reproches adressés à ce traité. MW a au contraire trouvé le processus assez ouvert : des groupes de travail impliquant des députés ont été annoncés par le Président Français lors du discours de la Sorbonne. C’est le travail de communication qui a clairement été défaillant, notamment en France : les acteurs de ces travaux, parlementaires ou autres, n’ont pas alimenté le débat public, la question de ce qu’on attendait de ce traité n’a pas été posée publiquement. C’est d’autant plus étonnant que le Président de la République avait lancé un débat sur l’avenir Européen, censé impliquer d’autres pays. La question du traité franco-allemand n’a pas figuré dans ce débat, dont on n’a d’ailleurs jamais su les conclusions.
Le traité ne va-t-il pas assez loin ? Certainement, si on le juge à l’aune des ambitions annoncées par Emmanuel Macron à la Sorbonne. En revanche, ce traité va apporter beaucoup au niveau de la vie quotidienne des citoyens. Au niveau des régions transfrontalières du Grand Est, des réponses pratiques vont être apportées : par exemple des bus vont pouvoir circuler dans les deux pays sans être obligés de changer de conducteur. L’apprentissage de la langue de « l’Autre » sera facilité, par exemple dans la Sarre (qui a établi en 2014 le projet que toute sa population soit bilingue d’ici 30 ans), le recrutement de professeurs Français sera facilité. Ces solutions pour renforcer le maillage franco-allemand ne sont pas bureaucratiques.
Les théories complotistes émises par Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan, qui parlaient grosse modo d’une vente à la découpe de ces régions, montrent à quel point il connaissent mal la réalité de ce territoire d’Alsace-Lorraine, dans laquelle par exemple le Concordat fait déjà fonctionner la Sécurité Sociale différemment. (Un fait que semblait ignorer aussi Jean-Luc Mélenchon, qui déplorait que la loi de la République s’applique différemment là-bas). Ce qu’ils ont dépeint comme des nouveautés cauchemardesque existe déjà depuis longtemps et ne semble pas fonctionner si mal.
Si, à l’échelle des deux pays, l’importance de ce traité paraît faible (pour ce qui est de la défense par exemple, l’obligation de défense mutuelle est symbolique, elle existait déjà dans les traités Européens ou ceux de l’OTAN), au niveau de la vie quotidienne, ce traité sera important.

Nicole Gnesotto (NG) :
Si NG en croit MW, ce traité est un bon traité régional. Sur le plan politique, en tant que refondation de la construction européenne, il est en revanche un non-évènement, ce qui est dommage, il s’agit d’une occasion ratée. Ce traité ne contient rien de neuf par rapport à celui de 1963, à part ce Parlement Franco-Allemand de 100 personnes,  mais comme celui-ci ne votera pas de budget, son importance sera très limitée.  
Mais pour examiner l’évolution de la relation franco-allemande depuis 1963, ce traité est un bon outil. Cette relation comprend trois étapes : 1963 : De Gaulle / Adenauer, 1983 : Mitterrand / Kohl, 2019 : Macron / Merkel. L’évolution de l’état des deux pays, et de l’état de l’Europe, est très significative. En 1963, l’Allemagne est le point faible de la construction européenne. En tant que telle, elle est prête à accepter tout ce qui peut renforcer sa crédibilité démocratique en Europe. La France est à l’époque le pays fort, à tel point que De Gaulle parvient à imposer à Adenauer des choses impensables : aucune référence à l’OTAN ni aux Communautés Européennes. Certes, ce traité se verra ajouter six mois plus tard un préambule par le Bundestag allemand, dans lequel toutes les entités écartées par De Gaulle feront leur retour, mais il n’empêche qu’Adenauer avait signé la proposition de De Gaulle.
À présent c’est l’inverse. C’est la France qui est demandeuse. Macron voulait ce traité depuis septembre 2017, tandis que l’Allemagne traînait des pieds. Et c’est aujourd’hui l’Allemagne qui est prépondérante dans le couple Franco-allemand. Une deuxième évolution : celle des chefs d’État. En 1963, les deux chefs étaient respectés et consensuels. En 2019, les deux sont contestés à l’intérieur même de leurs sociétés respectives (M. Macron par les Gilets Jaunes, Mme Merkel par la droitisation de son parti et sa victoire de justesse aux dernières élections). Une troisième évolution : celle du couple franco-allemand. Ce couple a longtemps été le cœur de la construction Européenne : rien ne pouvait se passer sans l’impulsion de cette force motrice. Aujourd’hui il ne sont plus que deux pays parmi vingt-sept, et leur légitimité est contestée. NG voit par exemple émerger un autre couple : Salvini / Orban (Italie et Hongrie). La place du couple franco-allemand est bien moindre désormais qu’il y a seulement vingt ans. Dernière évolution constatée : celle du lien entre le couple franco-allemand et l’Europe. Il y a vingt ans, l’objectif de ce couple était clair : impulser et accélérer la construction européenne. Ce n’est que dans sa conférence de presse que le Président Français a dit qu’il fallait considérer ce traité comme un pas de plus dans l’intégration européenne, mais il est possible de voir ce traité comme la tentative de sauver le couple franco-allemand de la débandade Européenne.
NG continue de penser que rien en Europe ne peut se faire sans le couple Franco-allemand, mais constate le déclin de ce couple, pour qui le travail sera bien plus difficile qu’autrefois pour porter un projet européen.

François Bujon de l’Estang (FBE) :
Le terme de « non-évènement » employé par NG paraît sévère à FBE, même s’il reconnaît que le traité n’est pas à la hauteur des attentes de ses signataires. Le débat quant au contenu de ce traité paraît un peu vain et pourrait durer éternellement, mais ce traité a le mérite d’exister. Le moteur franco-allemand a certes des ratés, il peine à tirer un attelage qui n’est plus celui de 1963, il y avait alors six pays, il y en a vingt-sept et demi désormais (le demi étant le Royaume-Uni, sur le point de quitter l’Union). Ce traité n’a pas une grande importance historique, il est de ce point de vue totalement éclipsé par celui de 1963, mais il marque une volonté de continuité, réaffirme le partenariat franco-allemand, qui est tout de même l’élément le plus solide de l’Europe, et appelle les deux pays à tirer cette dernière vers l’avant. La confirmation de cette continuité franco-allemande est en soi importante.
Ce traité est tout de même une occasion perdue : Macron a été élu sur une plateforme pro-Européenne dans un contexte de reflux européen, il a fait des appels du pied à l’Allemagne, énoncé des ambitions très vastes dans ses discours (de la Sorbonne puis d’Aix-la-Chapelle), et la réponse Allemande à ces ambitions a été pour le moins timide. Mme Merkel (en proie à des difficultés électorales, mettant de longs mois à former une nouvelle coalition, ne voulant pas se charger de nouvelles responsabilités européennes) n’a pas donné suite aux appels de M. Macron. Peut-être Emmanuel Macron a-t-il eu tort d’axer sa tentative de relance européenne sur la zone Euro. Il n’a pas évoqué d’autre sujets, comme la sécurité, les problèmes migratoires, les défenses extérieures, etc. Son axe de relance n’a pas été reçu positivement en Allemagne.
Ce traité, appelé à être un élément dans un tout, se retrouve un peu tout seul. C’est un rendez-vous manqué. On évoque les questions de gouvernance avec ce nouveau Parlement comprenant 50 députés de chaque pays, mais on ne traite pas les questions de fond, on n’évoque pas les grands problèmes européens, ceux qui suscitent le plus d’attentes justement : les migrations, la politique monétaire et budgétaire, la transition énergétique. Quant à la défense, qui elle est évoquée, FBE constate que, si l’on compare ce traité aux accords de Lancaster House, signés en 2010 entre la France et le Royaume-Uni, la différence est colossale. Le dialogue franco-allemand est donc décevant.

Jean-Louis Bourlanges (JLB) :
Pour JLB, il y a deux précédents à ce traité : un par le nom, et un par la chose. Un précédent par le nom : il y a eu un traité d’Aix-la-Chapelle sous Louis XV, qui a clos la guerre de succession d’Autriche. Ce traité a conclu une brillante épopée militaire par un raté diplomatique : la perte de la Silésie au profit de la Prusse ; après quoi tout le règne de Louis XV a consisté à tenter de rendre la Silésie à l’Autriche, ce qui a mené à la Guerre de Sept Ans. Ce premier traité d’Aix-la-Chapelle a donc clos une période de bonnes relations entre la Prusse et la France, ce qui n’est pas un bon signe.
Le précédent par la chose : le traité de l’Élysée. Ce traité a mis un place un certain nombre de choses assez utiles, parmi lesquelles l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse (OFAJ), ou des habitudes de travail en commun (sommets franco-allemands). Mais JLB l’analyse comme la queue de comète de la lune de miel franco-allemande entre De Gaulle et Adenauer. Ce fut le moment où l’Allemagne réalisa que la garantie américaine en matière de défense était probablement insuffisante, et que De Gaulle se révélait un partenaire plus fiable sur ces questions. La relation qui se noue alors entre les deux pays est très étroite. De Gaulle essaiera par ce traité de prendre ses distances par rapport aux institutions européennes (qu’il n’aimait pas) et par rapport à l’OTAN. Adenauer consent, mais pas le Bundestag, qui réaffirme dans un préambule son appartenance aux Communautés Européennes et à l’OTAN. Ce traité de 1963 va en réalité déboucher sur une période de glaciation des relations franco-allemandes, qui durera jusqu’à l’arrivée de Schmidt et de Giscard d’Estaing. Les bonnes habitudes de travail en commun étaient établies par ce traité, mais Français et Allemands ne s’appréciaient guère. Pour JLB, le traité de l’Élysée ne doit pas être présenté comme  le départ d’une relation franco-allemande, mais comme une queue de comète.
JLB s’était étonné que le Président Macron évoque ce nouveau traité franco-allemand dans son discours de la Sorbonne. Ce ne pouvait être perçu que comme un acte de défiance à l’égard de l’Union Européenne.
Les fake news à propos de ce traité ont atteint un degré inacceptable. Il est impensable que d’importants responsables politiques comme Mme Le Pen ou M. Dupont-Aignan profèrent des contre-vérités aussi flagrantes que le passage de l’Alsace-Lorraine sous contrôle Allemand, ou que la France cède à l’Allemagne son siège au Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Certes, on sait depuis l’élection de Trump que, plus c’est faux et gros, mieux ça passe ; mais c’est quand même très inquiétant.  JLB dégage du positif de ce traité : la rencontre parlementaire entre députés des deux pays (même si elle n’a aucun effet opérationnel). Le traité de 1963 manquait d’un pendant parlementaire. JLB, lui-même député, certainement appelé à siéger dans cette nouvelle assemblée, trouve que c’est une excellente chose.  En revanche, JLB partage l’analyse précédente : les problèmes de fond ne sont pas abordés. Et selon lui, le problème fondamental de l’Union Européenne ce n’est pas la périphérie (incluant l’Italie), c’est le couple franco-allemand, le mauvais accord entre Français et Allemands. Les Français se divisent en deux : ceux qui veulent moins d’Europe, et ceux qui en veulent davantage. Les Allemands, c’est le contraire : ils sont acquis à l’idée Européenne telle qu’elle est. Leur absence de besoin crée l’absence d’initiatives nouvelles. Les Allemands ne sont pas anti-Européens, ils sont satisfaits du statu quo. On a donc « meublé » ce traité au lieu d’approfondir ce que nous avons en commun avec les Allemands. C’est pourquoi ce traité ne sera pas fécond. JLB aime le couple Franco-allemand mais en attend les enfants.

Michaela Wiegel :
Il y a effectivement un parallèle entre la situation d’aujourd’hui et celle de la « fin de règne » d’Adenauer. MW rappelle l’énormité de la décision du Bundestag en 1963, qui en ajoutant ce préambule au traité de l’Élysée, avait en quelque sorte voté la défiance à l’égard du chancelier. La ratification du traité d’Aix-la-Chapelle par le Bundestag d’aujourd’hui devrait se dérouler plus paisiblement. En France, ce traité passera cette fois par l’Assemblée Nationale (contrairement à celui de 1963). Pour MW, ce traité est tourné vers l’Europe, c’est le contenu de son premier chapitre. Il est une tentative de maintenir l’Europe unie. Il ne va certes pas aussi loin que M. Macron l’aurait espéré, mais si ç’avait été le cas, on aurait probablement perdu les pays de la ligue hanséatique menée par les Pays-Bas, et opposée au projet du Président Français.
MW s’étonne de ne pas trouver dans ce traité la force d’intervention dont parlait M. Macron au chapitre de la défense, mais dans celui de la politique intérieure et de la sécurité. C’est une avancée considérable pour les Allemands que la possibilité de créer une telle force. MW se garde bien de dévaloriser le traité sous prétexte qu’il est en dessous des ambitions françaises. Les réactions allemandes face au traité de l’Élysée de 1963 étaient très négatives et méfiantes. L’état d’esprit d’alors était : on ne peut pas s’appuyer seulement sur la France, nous avons aussi besoin des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Cet esprit persiste aujourd’hui (même si la situation des USA et du Royaume-Uni  vis-à-vis de l’Allemagne est différente).

Nicole Gnesotto :
NG ne souhaite pas revenir sur l’insignifiance du traité, mais insiste sur l’importance politique du couple franco-allemand. Ce qui fait la force de ce couple, ce sont ses divergences et ses désaccords. Sur la politique économique, où l’Allemagne est plutôt favorable à l’austérité, tandis que la France depuis les Gilets Jaunes s’oriente vers une politique de relance. Sur la politique stratégique, où l’Allemagne est plutôt sur une réserve stratégique et une fidélité aux alliances, alors que la France défend une souveraineté européenne et une Europe de la défense. Et quand ces deux « extrêmes » parviennent à se mettre d’accord, ils entraînent dans leur sillage le reste de l’Union.
Le problème cette fois, ce n’est pas que l’Allemagne n’est pas d’accord, c’est qu’elle est totalement absente du projet européen.

Jean-Louis Bourlanges :
Ce qui manque dans ce traité, c’est une perception claire de l’articulation entre ce qui relève de l’Union Européenne, et ce qui relève du couple Franco-allemand. Les compétences de l’Union Européenne, à y regarder de près, sont relativement limitées, l’essentiel de la politique reste au niveau national. Or tout ce qui est national peut être binational. Cela peut être géré en commun par les deux pays sans perturber le fonctionnement du reste de l’Union, mais au contraire en entraînant celle-ci. En matière fiscale par exemple, il y a un grand potentiel de progrès à accomplir, et personne n’aurait rien à y redire. JLB partage l’analyse de NG sur les désaccords franco-allemands comme source de force du couple.

Trump empêtré

Introduction

Dans la nuit du 11 au 12 janvier dernier, le 19ème arrêt des activités gouvernementales depuis 1976 est devenu le plus long government shutdown de l’histoire américaine, dépassant les vingt et un jours de blocage de l’ère Clinton en 1995-1996. Aucun compromis n’a pu être trouvé entre le président républicain qui réclame 5.7 milliards de dollars pour construire son mur antimigrants à la frontière avec le Mexique et les démocrates, opposés au projet qu’ils jugent « immoral, coûteux et inefficace ». Dès lors, ce sont 800.000 fonctionnaires fédéraux qui sont privés de leurs salaires et interdits d’activité, même bénévole depuis le 22 décembre dernier. Ironie de l’histoire, le coût du shutdown s’apprête à dépasser celui du mur à la frontière mexicaine. Donald Trump a été contraint de reporter sine die le traditionnel discours sur l’état de l’Union prévu le 29 janvier et se trouve donc momentanément privé de cette occasion d’exposer au pays son bilan et sa vision de l’avenir. Deux amendements concurrents, l’un républicain, l’autre démocrate, ont été présenté ce jeudi au Sénat mais aucune issue ne semble immédiate. Cette semaine, les responsables politiques américains, retenus aux États-Unis par le shutdown de l’administration fédérale, ont laissé le champ libre à une centaine de participants chinois au forum économique de Davos alors que les rivalités commerciales sino-américaines dessinent le paysage géopolitique actuel. Par ailleurs, jeudi 17 janvier, le site d’information américain BuzzFeed révélait que Donald Trump aurait encouragé son ancien avocat, Michael Cohen, à mentir lors de plusieurs audiences au Congrès sur ses affaires en Russie et la construction d’une Trump Tower à Moscou. Cela relance la question des liens entre le promoteur-candidat en campagne et les milieux politico-financier russes. Dès le vendredi matin, les démocrates ont annoncé le lancement d’une enquête parlementaire, tandis que le président rejetait ces accusations qui n’en alimentent pas moins les conjectures sur une procédure de destitution, impeachment. Enfin une vingtaine de membres du gouvernement et de conseillers ont démissionné ou ont été limogés depuis janvier 2017, parmi lesquels le secrétaire à la Défense, James Mattis, deux conseillers à la Sécurité nationale, Michael Flynn et Herbert McMaster, deux secrétaires généraux de la Maison blanche, Reince Priebus et John Kelly sans oublier le Secrétaire à la Justice, le directeur de l’agence de protection de l’environnement et l’ambassadrice à l’ONU.

Kontildondit ?

François Bujon de l’Estang :
M. Trump est sans aucun doute empêtré. Les problèmes s’accumulent pour lui. Le premier d’entre eux étant évidemment le conflit avec les démocrates sur la question du mur. Sur les 800 000 employés fédéraux touchés par le government shutdown, 420 000 ont été « réquisitionnés » et travaillent sans salaire, la situation est donc extraordinaire, sa durée aussi puisqu’elle bat tous les records précédents. Aucune solution n’est en vue, les compromis présentés au Sénat ont été balayés.
Second problème, les enquêtes du procureur Mueller sur les connexions russes. Les révélations de Buzzfeed concernant Michael Cohen sont tout à fait sérieuses, puisqu’à les en croire, l’ancien avocat de M. Trump aurait menti sous serment, ce qui serait un motif suffisant pour recourir à une procédure d’impeachment. Il y a d’ailleurs beaucoup de choses troublantes et concordantes sur la façon dont Trump et la Russie se ménagent l’un l’autre. Le retrait des forces Américaines de la Syrie en est un exemple, puisqu’il fait le jeu de la Russie. On ne le lie habituellement pas à cette affaire, mais on a tort. Même dans le domaine du faits divers, on entend des choses rocambolesques, comme cette call-girl Biélorusse qui déclarait qu’elle avait des informations sur M. Trump à livrer, et qui s’est faite arrêter à Moscou jeudi.
Le procureur Mueller ne manque pas de matière pour son enquête, ni Mme Pelosi pour son opposition.
Ce sont les deux plus gros problèmes, mais il y en a d’autres. La dégradation des marchés boursiers est très forte. Or l’un des arguments de l’éternelle campagne de Trump (qui n’a jamais cessé) est que les marchés se portent à merveille grâce à lui. Ce n’est plus le cas.
Ces inquiétudes, qui s’ajoutent à l’intensification de la guerre commerciale avec la Chine, font qu’on commence à mesurer une certaine érosion de sa base électorale, ce qui est très intéressant car jusqu’ici elle semblait à toute épreuve.  Tous ces ennuis n’ont pas la même importance, mais il faut tout de même en retenir plusieurs choses : la première est que Trump est nettement affaibli depuis les élections de midterm. Le shutdown le montre, puisque Donald Trump a face à lui une opposition unie et efficace, menée à la Chambre des représentants par Nancy Pelosi, et au Sénat par Chuck Schumer. Le bras de fer à propos du mur est très sérieux puisqu’il s’agit d’une question de principes : pour Mme Pelosi, un mur serait l’antithèse de ce que sont les Etats-Unis, terre d’accueil et d’immigration. Pour Trump, ce mur est un des points cardinaux de sa présidence, et y renoncer serait un camouflet qui lui coûterait beaucoup électoralement.
Le second point à retenir, c’est qu’à l’approche des primaires qui commenceront à l’automne 2020, la force de frappe électorale de M. Trump s’affaiblit beaucoup. La situation l’empêche de proclamer sa victoire, face à la Chine ou à l’immigration. Comme il lui faut une victoire à annoncer pour faire campagne, il va probablement aller la chercher sur le plan international, ce qui est une perspective très préoccupante, qui explique sans doute son envie d’un nouveau sommet avec Kim Jong-un en février.

Michaela Wiegel :
Le tableau (noir) qu’a dressé FBE est très complet. Un aspect important pour nous Européens est que cet affaiblissement va certainement avoir des conséquences dans la guerre commerciale que se livrent la Chine et les USA. La nervosité des marchés financiers se fait déjà sentir. Au sujet du mur, il est intéressant de noter que même au sein du parti républicain, cette question divise. Les solutions proposées n’ont pas trouvé la majorité qualifiée et Trump perd non seulement une part de son électorat mais aussi de son parti.
Il est frappant de voir que beaucoup de fonctionnaires Américains se nourrissent désormais grâce à des banques alimentaires, et MW trouve particulièrement cruelle et cynique la position de Wilbur Ross, millionaire et actuel Secrétaire au Commerce des Etats-Unis, qui conseille à ces employés de prendre des crédits. Quant à la diplomatie du hasard avec la Corée du Nord, même si elle devait déboucher sur une victoire, celle-ci ne serait pas suffisante selon MW pour sortir Donald Trump de cette mauvaise passe.

Nicole Gnesotto :
Trump est certes empêtré, mais il ne faut peut-être pas s’en réjouir. Il faudrait ajouter à la liste des problèmes de M. Trump la réorganisation des démocrates. Mme Pelosi est au combat, l’unité est très forte, une pléthore de candidats possibles apparaît, (ou réapparaît, dans le cas d’Hillary Clinton, de Joe Biden ou de Bernie Sanders). Cela dit, le refus de Mme Pelosi d’organiser le discours sur l’état de l’Union fait montre d’un infantilisme comparable à celui de Trump, et NG se demande si cette façon de faire de la politique, brutale et populiste, ne va pas contaminer la campagne des démocrates, ce qui serait une mauvaise nouvelle.
Les difficultés de M. Trump le plan économique : la Bourse a vu en décembre son plus fort recul depuis 2008. L’agence Fitch a menacé de dégrader la note « AAA » des Etats-Unis. Enfin, Donald Trump était parti en guerre contre le président de la Fed, qui résiste, et déclare qu’il ne démissionnera pas si on le lui demande.
Si, pour venir à bout de M. Trump, les démocrates doivent en adopter les méthodes (ce qui semble être le cas avec Mme Pelosi), il n’y a pas de quoi se réjouir.
NG pense que Trump va « se refaire » sur le plan international grâce à la Corée     du Nord. Il a besoin d’apparaître comme l’homme de paix en Asie, il est donc prêt à accepter n’importe quoi pour avoir un accord et réussir là où tous ont échoué depuis la Guerre de Corée.

Philippe Meyer rappelle qu’il n’y a guère d’exemple où une élection présidentielle Américaine se soit jouée sur la politique étrangère, on l’a vu avec Bush senior.

Jean-Louis Bourlanges :
Pour ce qui est de la situation en Asie, M. Trump a mal commencé en cassant le projet d’accord transpacifique, s’aliénant ainsi plusieurs alliés potentiels. On ne sait pas du tout comment il réagira dans la situation actuelle, face aux menaces de la Chine sur Taïwan, il y a là un ensemble de choses à propos desquelles il n’est pas en position de force. Le seul atout qu’il a dans sa manche est son meilleur ennemi, la Corée du Nord, sur qui il va essayer de capitaliser.
JLB partage l’opinion de FBE sur le caractère douteux, voire sale, des rapports avec la Russie. D’abord, l’accusation de mensonge caractérisé à l’encontre de Michael Cohen pèse très lourd. Ensuite, des intérêts économiques précis sont en cause : la construction d’une Trump Tower à Moscou. Et puis la Syrie. Le revirement Américain est incompréhensible, et suffisamment important pour avoir provoqué la démission du Secrétaire à la Défense. L’histoire de la call-girl arrêtée n’est pas anodine non plus, les Russes tiennent là un moyen de pression considérable. En termes de possibilités d’impeachment, ça commence à faire beaucoup.
JLB pointe la différence avec la situation de Richard Nixon. Les mensonges de Nixon l’avaient ostracisé, mis au ban de la société américaine d’une façon très consensuelle. La situation est aujourd’hui tout à fait différente : il y a une confrontation entre deux Amériques. Le parti démocrate s’est reconstitué et unifié, mais malgré tout les Etats-Unis sont, comme la France, le Royaume-Uni ou l’Italie, un pays profondément divisé. Cette division fait qu’une procédure d’impeachment ne peut pas s’analyser de la même manière que dans les années 70. 

Les brèves

Requiem pour le monde occidental

Nicole Gnesotto

"Je vais revenir aux Etats-Unis, mais sans concept, pour vous parler du dernier ouvrage de Pascal Boniface qui vient de sortir aux éditions Eyrolles. C’est une analyse assez précise, à la fois économique, stratégique, culturelle, du divorce de plus en plus flagrant entre les Etats-Unis de Donald Trump et l’Europe. C’est un plaidoyer, comme il n’y en a pas si souvent, pour l’autonomie européenne, la souveraineté européenne face aux Etats-Unis. "

Le soleil ne se lève plus à l’Est

François Bujon de L’Estang

"Je voudrais un mot d’un livre publié par l’un de mes collègues, Bernard Bajolet. Le genre de mémoire d’un ambassadeur est un genre qui était tombé en désuétude ces dernière années et d’ailleurs je m’en réjouissais plutôt qu’autre chose pour ma part mais il est en train de revenir un petit peu à l’initiative de quelque uns. Bernard Bajolet est un diplomate particulièrement intéressant qui fait mentir postumément Monsieur Pompidou qui considérait la diplomatie comme « une affaire de petits gâteaux et de tasses de thés »; une des plus grandes erreurs de jugement d’un ancien président de la République que j’ai jamais pu constater. Bernard Bajolet est un diplomate qui aime les postes à risques : il a été ambassadeur en Jordanie, à Sarajevo, à Bagdad, à Alger et a terminé ambassadeur à Kaboul. On peut difficilement faire mieux. Il a publié sous le titre « Le soleil ne se lève plus à l’Est » chez Plon les mémoires d’Orient d’un diplomate extrêmement intéressant et certains chapitres nous font véritablement replonger dans des enfers qui ne sont pas si loin de nous. Je pense par exemple au chapitre sur le chaos irakien quand il est arrivé à Bagdad au début de l’année 2003 et qu’il y est resté pendant les quatre années suivantes successives avec l’arrivée de Daech sur le territoire irakien et le chaos dans lequel les américains ont laissé ce pays. Ce sont des épisodes qui sont remarquablement bien écrit dans ce livre. Je rappelle que Bernard Bajolet a terminé sa carrière comme directeur de la DGSE après avoir été coordinateur du renseignement à l’Elysée précédemment. Il ne parle cependant guère du renseignement dans cet ouvrage mais plutôt de la diplomatie et du triste état du Moyen-Orient. "

Karambolage

Michaela Wiegel

"Je retourne dans le franco-allemand avec ma brève. Si vous vous êtes déjà posé la question : pourquoi nous les allemands ne mangeons pas notre oeuf à la coque comme vous les français ? ou des choses plus sérieuses comme : pourquoi le Bundenstag fonctionne si différemment de l’Assemblée nationale ? C’est dans l’émission Karambolage sur ARTE que vous trouvez toutes ces réponses. C’est un programme très drôle et qui va fêter sa 500ème émission. J’en profite pour rappeler l’existence de ce programme où l’on en apprend beaucoup sur nos différences mais aussi sur ce qui nous rassemble avec humour. "

Etudes de l’Institut Sapiens

Jean-Louis Bourlanges

"Je voudrais recommander les études qui sont, en ce moment, publiées par l’institut Sapiens. Elles s’intéressent de très près à l’enseignement de l’économie dans le secondaire en France. C’est une matière assez controversée actuellement. Il y a deux études : comment élever le niveau des français en économie ? et une radiographie d’un manuel de seconde Hatier où l’auteur, Monsieur Robert, qui est un universitaire montre toutes les lacunes. On résume ces défaillances en trois termes : l’encyclopédisme qui fait qu’au lieu de se concentrer sur la matière économique on fait un peu de tout comme de la sociologie et donc la matière se dissout - le pessimisme : tout ce qui relève du fonctionnement normal de l’économie capitaliste qui régie 98% de la planète est considéré avec un biais extraordinairement négatif - des lacunes analytiques qui sont très importantes où l’on confond corrélation et causalité. D’une façon générale je crois que l’on ignore dans l’enseignement économique que l’enseignement ce n’est pas l’apprentissage des faits, la multiplication des visites d’usines etc mais d’abord l’apprentissage d’un langage. Comme le disait le regretté Louis Althusser : « Je mets au service de l’économie moderne qu’il faut porter au sein du désordre empirique la rigueur inaltérable du concept. » "

Comme une rage de justice

Philippe Meyer

"Je voudrais recommander le livre d’entretien de Sabine Rousseau, paru aux éditions du Cerf, avec le frère Burin des Rosiers qui a quitté la France après s’être établi en usine après mai 68. Il a quitté la France et a vécu pendant très longtemps en Amazonie où il s’est battu pour les droits des paysans jusqu’à ce que l’âge et la fatigue ne le fasse revenir en France mais ça été un long combat de trente ans si je ne me trompe. Ce livre décrit cette condition de l’esclavage qui est celle de beaucoup de paysans brésiliens."

L'Incroyable histoire du facteur Cheval

Philippe Meyer

"Sur une tonalité plus gaie je voudrais recommander d’aller voir le film sur le facteur Cheval. D’abord parce que le facteur Cheval est une bénédiction mais la manière dont Jacques Gamblin - Laetitia Casta est très bien par ailleurs - incarne le facteur Cheval fait que si ce dernier était américain il ferait la une de magasines « en veux tu en voilà ». C’est un film de Nils Tavernier qui est excellent et le jeu de Jacques Gamblin est magnifique. "