LES WALKYRIES AUX ASSISES

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

LES WALKYRIES AUX ASSISES

Philippe Meyer

"Peut-on rire de tout ? Peut-on faire de tout un sujet de plaisanterie ? Peut-on s’amuser avec le code pénal ? Oui répondit feu Ernst von Pidde, dont la notice biographique précise qu’il était « titulaire de tous les diplômes de Droit public et privé que requiert l’exercice de la magistrature et que sa connaissance des codes pénal et civil était soutenue par une intuition authentiquement visionnaire des profondeurs de la musique ».
Quoique mélomane, Ernst von Pidde haïssait l’opéra. Il le haïssait au point de vouloir qu’on en supprime la musique et que l’on se contente d’en représenter le livret, comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre. « L’intérêt financier d’une telle décision serait considérable, observait-il : les orchestres d’opéra disparaitraient et avec eux leurs dispendieux maestros. Du même coup serait condamnée à mort la peu séduisante engeance des ténors lyriques, chez qui des parties essentielles du cerveau sont mécaniquement endommagées par la voix de tête ». Ajoutez à la grande dépense le grand ridicule : observez que dans « L’Enlèvement au sérail », le rôle de l’eunuque Osmin est dévolu à une basse profonde lequel, dans l’un de ses airs fameux « Ha wie will ich triumphiren », répète jusqu’à 15 fois de suite la même phrase. A la cherté et au ridicule, l’opéra ajoute la glorification des délits et des crimes. Donizetti, dans « L’Elixir d’amour » ne met-il pas en scène le trafic de drogues ? Puccini, dans « Madame Butterfly » ne montre-t-il pas de l’indulgence pour un époux adultère coupable de défaut de paiement de pension alimentaire ? « Don Giovanni » glorifie un maniaque sexuel assez dérangé pour tenir un annuaire des femmes qu’il a séduites, Aïda vante la trahison, Elektra la vengeance, Carmen la jalousie, Salomé le meurtre et le viol.
Mais le pire des compositeurs d’opéras – et il était son propre librettiste- c’est incontestablement Richard Wagner. Ernst von Pidde, dont son éditeur nous informe qu’il devint un juriste éminent après avoir dû renoncer au violoncelle à cause d’un accident de chasse, Ernst von Pidde examine toutes les œuvres du maître de Bayreuth dans un livre publié naguère aux éditions Fayard sous le titre « L’Anneau du Nibelung de Richard Wagner à la lumière du droit pénal allemand ». Le résultat de cet examen est accablant. Cinq des protagonistes du Ring encourent la réclusion criminelle à perpétuité, la plupart du temps pour assassinat quelquefois aggravé des crimes d’enlèvement et de séquestration. Sigmund et Sieglinde devraient être condamnés à trois ans de prison pour inceste ; encore devraient-ils s’estimer heureux que le Bundestag ait supprimé le délit d’adultère et que le code n’ait rien prévu d’aggravant pour les incestes entre jumeaux homozygotes. On ne s’étonnera pas qu’au terme d’un réquisitoire dont la parenté avec la « Modeste proposition » par laquelle Jonathan Swift suggérait un bon usage du cannibalisme, Ernst von Pidde – ou celui qui signa de ce nom - réclame que, faute de pouvoir interdire les représentations des opéras de Wagner, on n’en réserve l’accès aux personnes de plus de 18 ans. On peut s’amuser, même avec le code pénal.

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