PETITES CAUSES GRANDS EFFETS

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

PETITES CAUSES GRANDS EFFETS

Philippe Meyer

"Il paraît que le battement d’aile d’un papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas. Et bien je dirai même plus : la politique commerciale d’un industriel du tabac dont le quartier général est établi à New York peut avoir pour conséquence la suppression de la gratuité des mariages dans les églises suisses, plus précisément dans les églises du canton de Neuchâtel. Encore plus précisément, les églises qui seront affectées par la politique du cigarettier international sont au nombre de trois : la catholique romaine, la réformée évangélique et la chrétienne catholique, peu connue chez nous sinon sous le nom de Vieille catholique et qui se caractérise par son refus des dogmes de l’infaillibilité pontificale, de l’Immaculée conception et de l’ascension de la Vierge ainsi que par l’absence d’obligation de célibat pour ses prêtres. Ces trois églises sont, dans le canton de Neuchâtel les trois églises officielles. Comme elles sont officielles, elles reçoivent de l’argent public et assurent en contrepartie certains services sociaux comme l’aide aux personnes défavorisées ou l’organisation de loisirs pour les jeunes tout en respectant la liberté de conscience des bénéficiaires de ces services. Dans les autres cantons suisses, il peut n’y avoir qu’une église officielle, ou deux, c’est un casse-tête pour quiconque n’est ni helvète, ni habitué à la décentralisation, donc, tenons-nous en au canton de Neuchâtel avant que la migraine ne nous grignote la cervelle. Sachez seulement que, dans 24 cantons sur 26 l’administration fiscale prélève aux assujettis, qu’ils soient personnes physiques ou personnes morales un impôt ecclésiastique qu’elle redistribue aux églises officielles selon des calculs dont le mode n’arrangerait pas notre migraine.

Dans le canton de Neuchâtel, les contributions des personnes physiques au financement des trois églises sont nettement plus faibles que dans celui de Bâle, de Zoug, ou de Schwytz. Si les contributions des personnes physiques sont nettement plus faibles dans le canton de Neuchâtel, c’est sans doute et d’abord parce que ce canton est l’un des deux où l’impôt ecclésiastique n’est pas obligatoire. C’est aussi parce que les trois églises officielles reçoivent une contribution volontaire fort substantielle d’une personne morale, le cigarettier international que j’ai évoqué tout à l’heure et qui, s’il a son quartier général à New York possède à Neuchâtel une succursale d’exportation qui emploie 1.300 personnes. C’est près d’1 million 200.000 euros que le fabricant de tabac distribua l’année dernière aux trois églises, c’est à dire 40% de leur budget. Ce que viennent d’apprendre les susdites trois églises, c’est qu’il leur faut dire adieu à la contribution du marchand de tabac. Sa politique exclut désormais toute forme de mécénat en faveur de quelque mouvement religieux que ce soit. La compagnie cigarettière, supputent les observateurs, craint que son soutien financier à des institutions chrétiennes ne fassent d’elle l’objet d’un boycott dans certains pays islamiques et islamistes. Et voilà pourquoi les Neuchâtelois risquent fort d’avoir à payer pour se marier, pour faire baptiser leurs enfants et pour se faire enterrer : pour combler le manque à gagner né du renoncement d’un vendeur de tabac à contribuer au budget de ce que Marx considérait comme l’opium du peuple. "