DU JOURNALISME CONSIDÉRÉ COMME UN HOMICIDE

Rubrique proposée par Philippe Meyer.

DU JOURNALISME CONSIDÉRÉ COMME UN HOMICIDE

Philippe Meyer

"Mélusine, qui fut naguère mon étudiante, est aujourd’hui la benjamine de la rédaction d’une radio nationale. Soit que l’âge les rapproche, soit que les charmes de Mélusine l’interpellent quelque part, Philémon, le stagiaire récemment arrivé d’une école de journalisme recherchée, vient fréquemment bavarder avec elle. Un jour, il paraît contrarié. Mélusine l’interroge. Il voudrait lui parler mais il ne le peut que si Mélusine lui promet le secret. Elle s’y engage. L’apprenti lui révèle qu’un dilemme le met à la torture. L’un des professeurs de son école de journalisme lui a demandé de profiter de son séjour dans la rédaction pour rédiger un portrait d’Arbaste, celui des rédacteurs en chef qu’on lui a donné comme maître de stage. Le prof a précisé sa commande : « Celui-là, je ne veux pas savoir comment tu te débrouilles, mais je veux que tu te le payes »… Que faire ? interroge Philémon. Obéir à la consigne, c’est s’attirer la bienveillance d’un enseignant dont l’appréciation compte pour beaucoup dans l’attribution du diplôme. Mais c’est aussi risquer l’inimitié d’Arbaste, qui ne manque pas de relations ni d’influence. « Tu crois que si j’écris un truc où je le charge un max, il y a des chances qu’il le sache ? Après tout, ça ne paraîtra que dans un journal-école ». Mélusine, éberluée, avance qu’un article ne peut pas être un règlement de compte et que si les juges d’instruction mènent leurs investigations à charge et à décharge, les journalistes ne peuvent pas faire moins. « En plus, tu ne peux pas profiter de son hospitalité et écrire sur lui sans l’avertir. » Tant d’incompréhension agace Philémon, qui se plaint qu’au lieu de répondre à sa demande et de l’aider à évaluer les risques de l’alternative, on lui prenne la tête avec des considérations moralisatrices inopportunes. « Et en plus, si je fais le portrait, tu pourrais me donner des tuyaux.» Ce récit était encore frais lorsqu’un chargé de production d’un magazine télévisé me téléphone. « Pourriez-vous participer à notre prochain plateau. Il y aura Machin (sur qui j’ai écrit souvent, mais rarement des compliments). On compte sur vous pour le massacrer. » J’ai décliné l’invitation. Il n’y a pas d’animal plus déplaisant que le cafard. Il semblerait que, ces derniers temps, son taux de reproduction ne s’oriente pas à la baisse."