Au rythme de Vera

Brève proposée par Marc-Olivier Padis dans l'émission « C’est Nicolas qui paie » : l’amorce d’un conflit intergénérationnel / n°410 / 6 juillet 2025, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

Au rythme de Vera

Marc-Olivier Padis

"Je voudrais parler d’un film que j’ai vu cette semaine et que je recommande, puisqu’il est encore en salle. C’est un film allemand d’un réalisateur que je ne connaissais pas, Ido Fluk, qui parle du concert qu’avait donné le pianiste Keith Jarrett à Cologne en janvier 1975, ce qui donna l’un des albums les plus connus de l’histoire du jazz. On se dit que, pour donner un concert aussi exceptionnel, Keith Jarrett devait être dans des conditions absolument idéales. Or, c’est exactement le contraire, comme le savent les amateurs de jazz. C’est-à-dire que tout était catastrophique en amont de ce concert. Keith Jarrett était épuisé, avait mal au dos, n’avait au une envie de jouer, le piano de répétition était désaccordé était l’une des pédales ne fonctionnait pas … tout les ingrédients d’un fiasco. Mais grâce à l’énergie d’une jeune productrice, Vera Brandes, qui se lançait dans la production de concerts de jazz alors qu’elle n’avait que 18 ans, la performance de Keith Jarrett a pu devenir la merveille qu’on connaît. D’ailleurs, Keith Jarrett ne voulait pas que ce concert fût enregistré, puisqu’il craignait une catastrophe. Au delà l’anecdote savoureuse, c’est donc un film sur les conditions de la création artistique, sur cette alchimie particulière et assez contre-intuitive, très bien mise en scène."


Les autres brèves de l'émission :

Le père Jacques : carme, éducateur, résistant

Philippe Meyer

"Au revoir les enfants. Si l'on a vu le film de Louis Malle qui porte ce titre, on n'a pas pu oublier les dernières paroles adressées aux élèves par le religieux de l'ordre des Carmes que la Gestapo est venue arrêter en même temps qu’elle s’emparait, pour les envoyer à la mort, des trois jeunes garçons juifs hébergés et cachés dans le collège qu’il a fondé et qu’il dirige. Dans la vraie vie, ce religieux, né Lucien Bunel dans une famille de prolétaires normands s'appelait le père Jacques de Jésus. En plus d'héberger des Juifs, et pas seulement ces trois garçons, il est de longue date engagé dans la résistance. Ses activités ont été dénoncées. Il est déporté au camp de représailles de Neue Bremm, puis à Mauthausen et à Gusen. Il mourra d’épuisement à la libération des camps. Dans un livre d’Alexis Neviaski, Le père Jacques ; carme, éducateur, résistant. Publié par Tallandier il y a déjà 10 ans mais qui est toujours disponible sur la toile, j'ai découvert un éducateur exceptionnel pour qui l’autorité ne se gagne que par la confiance et un déporté qui, jusqu’au sacrifice, ne se départit jamais du souci des autres. Son compagnon d’enfer, Jean Cayrol, poète, romancier, essayiste, auteur du commentaire du Nuit et Brouillard d’Alain Resnais, véritable Lazare revenu d’entre les morts, lui dédia un « Chant funèbre à la mémoire du Père Jacques » en ces termes : « Pour mon plus que frère, le R.P. Jacques du carmel d'Avon […], qui fit sourire le Christ dans le camp de Gusen, mort d'épuisement à Linz, le 2 juin 1945 ». Une vie qui secoue les lecteurs qui la découvrent."


Revue Esprit Juillet-Août 2025

Matthias Fekl

"Je recommande la lecture du numéro d’été d’Esprit, revue dont notre ami Marc-Olivier est un des coordonnateurs. Ce n’est pas un numéro très joyeux, puisqu’il s’intitule « La convergence des haines ». Il fait le point justement sur l’union des droites, mais aussi sur tout le travail idéologique qui a été fait très à droite et à l’extrême-droite du spectre politique. C’est un peu la continuation du livre de l’historien Daniel Lindenberg, Le rappel à l’ordre. Très instructif sur le fond, ce numéro trace aussi quelques perspectives sur ce que la gauche doit faire de son côté : un vrai travail intellectuel et idéologique de fond."


La grève des aiguilleurs du ciel

Jean-Louis Bourlanges

"Je voudrais faire état de mon angoisse, face au cynisme croissant avec lequel sont menés les débats du monde. On dirait que toutes les valeurs en ont été ôtées. Je trouve que le comble (ce n’est peut-être pas le plus important, mais c’est la perfection du cynisme), c’est la grève des aiguilleurs du ciel. C’est absolument parfait comme système. On a introduit des systèmes de contrôle parce qu’il y a eu des défaillances extrêmement graves de présence, qui ont mis en cause la sécurité. L’idée qu’en dépit de toute responsabilité, certains aiguilleurs du ciel puissent, à quelques-uns, paralyser tout le ciel européen, sans autre raison que « je n’accepterais pas qu’on contrôle ma présence au travail » est vraiment ahurissante … Ça prouve que vraiment, ce monde est devenu complètement fou. Parce que je crois que, d’une certaine façon, nous sommes tous aiguilleurs du ciel."


La vie a-t-elle une valeur ?

Antoine Foucher

"Je voudrais recommander le dernier livre de Francis Wolff. Nos auditeurs réécouteront avec plaisir la thématique enregistrée avec le philosophe il y a un peu plus d’un an, mais son dernier livre est vraiment passionnant, parce qu’on a souvent le sentiment que les vrais problèmes du pays, du monde, sont des problèmes économiques, politiques, sociaux. Et ce qu’il y a de vraiment génial dans ce livre, ce est la façon dont Wolff montre qu’il y a bien plus important qui tout cela. L’auteur mène un combat philosophique pour réhabiliter l’humanisme, est il le fait avec un exemple précis, celui de la transition énergétique, en montrant qui les mot d’ordre « sauver la planète », « sauver la diversité », « sauver la nature », sont totalement inopérants et contradictoires en eux-mêmes. Parce que le vivant, c’est la lutte, et un virus est vivant. Et donc, si on veut sauver les hommes, il faut bien tuer les virus. Sur les droits des animaux : les puces de mon chien sont totalement incompatibles avec les droits de mon chien à ne pas avoir de puces. Et donc, il montre vraiment que notre impuissance à prendre en charge la lutte contre le réchauffement climatique vient du fait que, philosophiquement, le sujet est très mal posé, de façon totalement contradictoire. Et que notre seule manière, en fait, de mener à bien cette lutte, c’est de le faire au nom des humains, et non de « la nature ». Parce que la valeur suprême est la vie humaine. En plus le livre de lit comme un roman policier …"