La fin de l’antijudaïsme chrétien

Brève proposée par Isabelle de Gaulmyn dans l'émission Comment la réforme des retraites a accéléré la décomposition politique / Chine-Russie : quel partenariat et contre qui ? / N°290 / 26 mars 2023, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

La fin de l’antijudaïsme chrétien

Isabelle de Gaulmyn

"Puisque Pâques approche, je voulais vous parler d'un livre de Philippe Chenaux sorti il y a peu. L’auteur est un historien français qui travaille au Vatican. Alors c'est une belle histoire, qui finit bien, cependant il aura fallu 20 siècles avant que l'Église condamne enfin ouvertement l'antijudaïsme avec Vatican II. Et ce qui est intéressant dans ce livre, c'est qu’on commence à voir aujourd'hui le travail des historiens sur les archives Pie XII qui ont été ouvertes par le pape François. On s'intéresse toujours à ce que Pie XII a fait pendant la guerre, mais après guerre, on voit ici comment il a continué à rejeter tous les efforts pour que l'Église catholique reconnaisse sa responsabilité dans la Shoah et dans l'antijudaïsme. Et comment il a fallu attendre que Jean XXIII arrive pour qu'il y ait enfin cette ouverture. Ce livre est très émouvant parce qu'il parle à la fois de Jean XXIII et d'un autre personnage très intéressant : Jules Isaac, un professeur juif français et qui a beaucoup fait avec Jean XXIII pour ce rapprochement et passer d'une théologie du mépris par rapport au judaïsme, à quelque chose de beaucoup plus équilibré. Par ailleurs, il se trouve qu’on va fêter cette année l'anniversaire de leur mort puisque les deux sont morts en 1963. "


Les autres brèves de l'émission :

Les Anarchistes

Philippe Meyer

"Inspiré par l’air du temps, je me suis plongé dans le dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone, publié aux éditions de l’Atelier sous le titre Les Anarchistes. C’est un ouvrage dans la lignée du célèbre Maitron, le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, créé par Jean Maitron pionnier de l’histoire ouvrière. Les anarchistes tiennent que de nombreuses sociétés ont vécu sans autorité politique. C’est l’idée qui préside à l’édification de l’abbaye de Thélème dont Rabelais écrit : « Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté et leur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et toute leur règle tenait en cette clause : Fais ce que voudras ». Plus politique, sous la Révolution, Jacques Roux, le « curé rouge » dans une adresse à la Convention : « La liberté n'est qu'un vain fantôme, quand une classe d'hommes peut affamer l'autre impunément. L'égalité n'est qu'un vain fantôme, quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort de son semblable. La république n'est qu'un vain fantôme, quand la contre-révolution s'opère de jour en jour par le prix des denrées auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. Le despotisme qui se propage sous le gouvernement de plusieurs, le despotisme sénatorial est aussi terrible que le sceptre des rois, puisqu'il tend à enchaîner le peuple, sans qu'il s'en doute, puisqu'il se trouve avili et subjugué par les lois qu'il est censé dicter lui-même ». On voit par là qu’il n’est pas anachronique de s’intéresser à ceux qui se sont réclamés de l’anarchie."


Paul Strand ou l’équilibre des forces

Lucile Schmid

"Je vous recommande cette exposition photographique à la Fondation Henri Cartier-Bresson. Paul Strand est un photographe américain, connu pour deux choses. D'abord, son goût de l'esthétique. Et puis, l'exposition est consacrée à toute la vision politique de Paul Strand, qui était membre de l’American Labour Party, et qui fut obligé de quitter les États-Unis à cause du maccarthisme. Il a poursuivi d'une manière assez singulière une sorte de quête : aller dans des lieux isolés, ceux de la précarité rurale, et prendre en photo ces familles dans la plaine du Pô, avec cette femme dont le mari a été battu à mort par les fascistes et qui survit avec six ou huit enfants qui n'ont aucun avenir. Mais Il va aussi aux Hébrides. Il a habité en France, à Orgeval jusqu'en 1976. C’est en Charente qu’il prendra sa photo la plus connue, celle d'un jeune homme en colère, qui nous fixe d'une manière incroyable. A chaque fois Paul Strand faisait parler les personnages qu'il avait pris en photographie, et associait très souvent un discours politique à ses clichés. Allez voir cette exposition, elle est magnifique. "


Histoires diplomatiques Leçons d’hier pour le monde d’aujourd’hui

Nicolas Baverez

"Deux recommandations. D'abord, dans la ligne de ce qui a été dit sur l'histoire longue entre la Chine et la Russie, Gérard Araud vient de publier ces Histoire diplomatique. Il s’agit d’une espèce de parcours dans le jeu des grandes puissances, de la guerre de Succession d'Espagne jusqu'à l'Irak, en passant par le Congrès de Vienne ou le traité de Versailles. C'est très intéressant et au passage, ça nous montre qu'il est sans doute aussi raisonnable de prétendre faire de la diplomatie en supprimant le corps diplomatique que de vouloir faire de l'industrie sans usine. "


Guerre en Ukraine et nouvel ordre du monde

Jean-Louis Bourlanges

"Même s'il est à la retraite, Michel Duclos anime la section de politique étrangère de l'Institut Montaigne et il a dirigé ce livre que je vous recommande. Il s’agit de 22 regards internationaux après l'agression russe. C'est ça qui fait la valeur de ce livre, car la crise ukrainienne appelle des regards polycentrés. C'est précédé par une longue et très stimulante préface de Michel Duclos lui-même, qui donne la double leçon que nous pouvons d'ores et déjà tirer, bien que rien ne soit terminé de cette guerre d'Ukraine. C’est certes une résistance assez bonne de l'Occident et même de l'Europe qui, contrairement aux prévisions de M. Poutine, a réagi de façon ordonnée et responsable face à l'agression russe. Mais en parallèle et un peu en contradiction, c'est un élément clef de la marche vers la désoccidentalisation du monde. Lyautey disait en 1914, quand on lui a appris que la guerre était déclarée entre la France et l'Allemagne : « mais ils sont fous ! C'est la guerre civile ». Duclos et ses amis ne citent pas cette phrase de Lyautey, mais on a quand même l'impression d’un Occident qui se déchire face à l'émergence de représentations du monde et de l'avenir qui nous sont radicalement étrangères. C'est quelque chose de très impressionnant et je pense , pour parler comme Warren Buffett, que quand la mer se retirera, on verra que les Occidentaux n'ont pas forcément un maillot de bain."


Faire le deuil de soi

Nicolas Baverez

"Ma seconde recommandation est pour un livre qui sort vraiment de l'ordinaire et de tous les cadres, qui a été écrit par Nicolas Menet, un jeune sociologue qui avait 43 ans et qui vient de mourir d'un cancer cérébral, qu'on appelle glioblastome de type quatre. Et durant les dernières semaines de sa vie, il a fait le pari d'écrire un livre qui est à la fois un témoignage et un plaidoyer où il explique le parcours et la manière dont il a réussi à renverser la perspective en faisant d'une mort annoncée un parcours de fin de vie. Et il plaide à la fois pour l'amélioration des soins palliatifs, mais aussi pour le changement de la loi Leonetti et pour que chacun puisse choisir à la fois un projet de fin de vie. C'est un livre dont la rédaction est aussi assez extraordinaire d’un point de vue technique parce que l'atteinte de la maladie était telle qu’il a été entièrement, et volontairement, dicté sur Cortana, qui est l'assistant personnel de Microsoft. Le livre restitue vraiment ce qu'il était au fil de ces dernières semaines."