L’ensauvagement

Brève proposée par Jean-Louis Bourlanges dans l'émission Brouille franco-allemande / Transition écologique : quel pilote quelles étapes ? / n°269 / 30 octobre 2022, que vous pouvez écouter ici. ou ci-dessous.

L’ensauvagement

Jean-Louis Bourlanges

"Je voudrais évoquer des textes de Thérèse Delpechqui m’ont été recommandés par un haut gradé de l’armée française. C’était une personnalité extraordinaire, qui lorsqu’elle se trompait ne faisait pas les choses à moitié, pas plus que quand elle avait raison. Elle a publié ce livre, dont je vous lis deux extraits. « Vingt ans, c'est la période dont la Chine a besoin pour moderniser son armée. A cette date (2025), ses ambitions régionales pourront voir le jour et il sera trop tard pour les arrêter. La Chine ne se contentera pas d'un rôle regional, contrairement à l'Europe d'aujourd'hui. Elle se prépare à remplacer l'URSS dans son rôle de superpuissance face aux Etats-Unis et elle met beaucoup d'intelligence et de détermination dans cette entreprise. Si en 2025 le monde fait face à une Chine autoritaire, économiquement prospère et qui a le bénéfice de 30 ans de croissance de son budget militaire à un rythme annuel de 10% en moyenne - les réformes économiques permettant de financer la modernisation de l'armée - on ne pourra plus exercer la moindre influence sur elle. » Et sur la Russie : « La Russie est entrée dans une phase d'auto-destruction qui tient à la médiocre qualité des élites au pouvoir et à la dépression profonde qui a suivi l'échec des années 1990, mais peut-être aussi aux effroyables tragédies du siècle passé. Celles-ci ont des témoins dans chaque famille et le retour de l'imagerie stalinienne ne peut guère être interprété comme un simple désir de retour. L'esprit de revanche est le symptôme d'un pays traumatisé, en pleine phase de régression, prêt non à récupérer sa zone d'influence mais à perdre ce qui lui reste, avec des poussées d'agressivité impuissante. Il ne suffit plus d'inspirer la peur pour reconstruire un Etat fort. Les méthodes Andropov ont été celles d'une fin de règne et leur retour fournit une image supplémentaire du caractère réactionnaire du régime en place à Moscou. Elles peuvent broyer les contre-pouvoirs, mais ne produisent que de la destruction. La Russie est dirigée par la partie la plus imprévisible et la plus corrompue des services spéciaux. Ce qui constituait leur élite, plus éclairée et plus ouverte au monde, est écarté du président qu'elle méprise. Les services russes qui détiennent le pouvoir ont, eux aussi, connu une forme de décadence. L'urgence politique est de reconnaître la fin de l'empire et celle d'« un chemin particulier » de la Russie […] Mais l'idée même de démocratie étant associée dans la population russe aux privatisations sauvages et à la corruption de l'ère de Boris Eltsine, les rêves d'empire ne se sont pas effondrés, la désagrégation se poursuit et la catastrophe russe n'est pas encore achevée. »"


Les autres brèves de l'émission :

Poulet frites

Philippe Meyer

"La Belgique semble être un pays peuplé de personnages de bande dessinée. On les trouve non seulement dans les multiples productions locales du 9ème art, mais aussi grâce aux cinéastes. On se souvient sans aucun doute de l’étonnante émission de la RTBF, reprise sur France 3, Strip-tease, de Marco Lamensch et Jean Libon. Ce dernier est co-auteur avec Yves Hinant de ce film documentaire, diffusé en ce moment dans les meilleurs cinémas. C’est l’accompagnement d’une enquête policière à propos d’un meurtre, avec des personnages dont on a du mal à croire qu’ils ne sortent pas de l’imagination d’un scénariste, jusqu’à leur aspect physique. C’est à la fois très étonnant et très plaisant. Une réussite. "


Un beau matin

Marc-Olivier Padis

"Le film que je vous recommande tranchera sans doute un peu avec Poulet-frites, mais il est très réussi lui aussi. C’est la chronique quotidienne d’une jeune quarantenaire parisienne, réalisé par Mia Hansen-Løve. Je trouve que tous les films de la réalisatrice ont un grand charme, celui-ci est impressionnant de maîtrise dans la direction d’acteurs et dans la conduite du récit. Une jeune mère célibataire parisienne doit faire entrer son père dans une institution médicalisée, à cause d’une dégénérescence mentale, tout en naviguant parallèlement avec une nouvelle intrigue amoureuse. Il n’y a pas de péripétie extraordinaire, mais une saveur dans la description et une singularité de ton rendent le film extrêmement séduisant."


Le dernier des siens

Lucile Schmid

"C’est un roman que je vous recommande, écrit par Sybille Grimbert. Il raconte l’amitié très forte entre le dernier des grands pingouins et un jeune naturaliste, au XIXème siècle. Le livre aborde une question qu’on n’a pas l’occasion de croiser souvent en littérature : comment être conscient du sentiment qu’il y a entre le dernier animal d’une espèce et un être humain ? C’est ce thème philosophique de la vie avec l’extinction que ce roman explore. C’est assez bouleversant, on prend conscience en le lisant de ce que nous allons perdre, mais aussi de ce qu’il nous faut éviter de perdre. "


Hommage à Pierre Soulages

Nicolas Baverez

"J’aimerais rendre hommage à deux œuvres noires. Celle de Pierre Soulages d’abord, qui nous a quittés le 26 octobre. Je recommande évidemment à nos auditeurs la visite de l’extraordinaire musée Soulages à Rodez, qui donne de son œuvre une représentation très cohérente, y compris dans l’architecture du bâtiment. Il faut évidemment aussi aller à l’abbaye de Conques, dont Soulages réalisa les vitraux, et où il eut la révélation de sa vocation de peintre."


Londres

Nicolas Baverez

"L’autre œuvre est l’un des manuscrits récemment retrouvés de Céline, qui est la suite de « Guerre ». Souvent, les manuscrits retrouvés d’un auteur n’ont pas grand intérêt. Ce n’est pas le cas ici, les textes sont tout à fait impressionnants. Ferdinand, le héros de « Guerre », arrive à quitter la France pour Londres, où un certain nombre de gens tentent d’échapper à la mobilisation pour la Grande guerre. La description des bas-fonds de Londres est une vision tout à fait extraordinaire. Comme toujours avec Céline, c’est à la fois très cru et très vrai."