Bada #10 - Questions du public

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Kontildondit ?

Question d’un spectateur à propos de la loi anti-casseurs :
Lors de la conversation sur la loi-anti casseurs, il a été question deux fois de la loi sur la déchéance de nationalité. Le problème du rapatriement des djihadistes Français actuellement en Syrie va se poser dans très peu de temps. Qu’en pensez-vous ?

Marc-Olivier Padis (MOP) :
C’est un sujet compliqué qui mériterait à lui seul une émission, et cette question fait d’autant plus sens que les Britanniques ont décidé d’appliquer la déchéance de nationalité dans des cas similaires. S’ils ne sont « que » Britanniques et déchus de leur nationalité, ils deviennent alors apatrides, et comment sont-il traités d’un point de vue judiciaire dans ce cas ? MOP l’ignore. S’ils sont par exemple Pakistano-Britanniques, ils seront alors envoyés au Pakistan. Quel bénéfice y a-t-il à les laisser aller au Pakistan ? MOP est perplexe : n’y a-t-il pas un risque qu’ils ne soient pas inquiétés là-bas et qu’ils restent des menaces ? Il paraît donc préférable à MOP que les djihadistes Français soient jugés en France. Même si la question de l’équité de leur procès se pose vu les circonstances. Obtenir des preuves des actions commises en Syrie s’avèrera pour le moins difficile. Ayant pris les armes contre leur pays, leur cas est prévu dans le code pénal français, on n’a donc pas a priori besoin de la déchéance de nationalité.

Lucile Schmid (LS) :
LS partage l’avis de MOP. Une procédure judiciaire lui paraît préférable, même si elle en voit les difficultés. Il y a encore en France des personnes de nationalités Française tentés par le terrorisme. Vers quoi va-t-on alors ? Nous regardons ces procès avec appréhension, car ils nous font réaliser ce que nous sommes en tant que société. Pour LS, il faudrait le faire, précisément parce que ce sera très difficile. Cette radicalisation est profondément implantée, il faut avoir le courage de l’affronter, en faisant confiance à notre justice.

Question d’un spectateur :
A propos de la politique de « vitrine » des Emirats Arabes Unis (EAU), et de la participation de la France à cette politique, puisqu’elle a vendu la marque « Louvre » à un pays étranger. A votre avis, cette vente procède-t-elle d’une compromission, ou d’un geste de rayonnement de la culture française ? Béatrice Giblin (BG) :
L’un n’exclut pas l’autre. Cela a commencé avec la Sorbonne. On s’est dit que compte tenu du nombre potentiel d’étudiants étrangers pouvant venir étudier à Abou Dabi, et que la Sorbonne étant une université mondialement connue, l’opération valait d’être tentée, et qu’on pourrait former les gens conformément à nos valeurs (en encourageant un esprit critique par exemple). C’était cela l’idée. La difficulté restant de trouver des professeurs acceptant d’y rester plusieurs mois d’affilée. Même les avantages salariaux considérables n’y suffisent pas. Quant à la compromission, c’est un débat constant. Doit-on être présent dans les endroits « difficiles » ? Se salit-on à y aller ? BG est plutôt nuancée à ce sujet, elle évoque le cas de son université voulant à un moment couper les liens avec Israël. Elle s’y est opposée, estimant qu’il était important de maintenir un canal ouvert, de ne pas mettre tout et tous dans le même sac (ceux qui ne voulaient pas d’Israël n’avaient rien contre Cuba, par exemple).
Aller quelque part, c’est prendre un risque. Il faut sans doute se mettre un certain nombre de lignes rouges, mais tant qu’on peut dire et enseigner ce qu’on veut, ça en vaut la peine. BG a enseigné en Iran, et y a dit exactement ce qu’elle voulait y dire ... Elle n’y a pas été réinvitée.

Question d’un spectateur, à propos de la loi anti-casseurs :
Dans le contexte politique actuel, est-on dans une logique de pourrissement (cela semblait être le cas au début de la crise), assiste-t-on désormais à une rigidification de la position de Macron ? Et par rapport aux élections européennes ? Il semblerait que s’il y a une liste Gilets Jaunes, cela profite à la majorité, car cette liste drainerait des voix du Rassemblement National et de La France Insoumise.

Lucile Schmid :
Sur une liste Gilets Jaunes aux Européennes : depuis le début de cette crise, les Gilets Jaunes ne cessent de répéter qu’ils ne veulent pas de politique, lorsqu’il s’agit d’avoir des représentants, on voit que cette tentative de liste est extrêmement difficile à mettre en place (les noms évoqués sont des personnes recyclées d’autres partis, on parle d’une deuxième liste ...) On verra si ça aboutit.
Sur le contexte : ce que Macron essaie de faire, c’est imposer une vision : le camp des populistes contre celui des progressistes. Or, les Gilets Jaunes sont particuliers, on ne sait où les placer : Sont-ils démocrates ? Sont-ils populistes ? Violents ? Non-violents ? Ils sont tout à la fois. Macron n’a pas trouvé d’alliés en Europe, alors que Luigi Di Maio se permet une incursion en France, pour parler à des Gilets Jaunes (conversation d’ailleurs aussitôt récusée par d’autres Gilets Jaunes).
D’après un chercheur, cette histoire est en train de politiser la question Européenne, replace la question du projet européen au cœur du débat, ce qui est une bonne chose.
LS pense que la question des libertés est un problème auquel on ne coupera pas. Beaucoup des électeurs de Macron ne s’attendaient pas à cette dynamique sécuritaire. Ce sujet est nouveau.

Question d’un spectateur :
A propos de l’Italie. C’est la première fois depuis 1940 qu’un ambassadeur de France en Italie est rappelé. Qu’en pensez-vous ? Comment sortir de cette situation ? Quelles sont les conséquences sur les élections Européennes, aussi bien en France qu’en Italie ?

François Bujon de l’Estang (FBE) :
C’est en effet sans précédent. C’est sans doute aussi une première pour l’Union Européenne, il vient de se passer quelque chose de très fort. La relation Franco-Italienne est souvent un peu névralgique. FBE blâme la diplomatie française, qui saisit toujours la moindre opportunité d’humilier l’Italie et les Italiens. Les exemples sont nombreux : les chantiers navals de Saint-Nazaire, où l’on accueille un actionnaire Coréen, mais on tique devant un Italien. Lors d’une conférence sur la paix en Lybie à la Celle Saint-Cloud, où l’on oublie purement et simplement d’inviter l’Italie.
L’Italie a donc de nombreuses raisons d’être rancunière, et dans sa situation, où la coalition se fissure, la France est la balle de ping-pong idéale que se renvoient les deux Di Maio et Salvini. FBE ne pense pas que rappeler notre ambassadeur ait été bien avisé, un haussement d’épaules aurait sans doute suffi. Le comportement Italien est certes entièrement condamnable et blâmable, mais on l’a sans doute là trop dramatisé.
FBE raconte une anecdote de son passé : lorsqu’il était à l’Elysée avec le Général de Gaulle, il y avait à Paris-Match un journaliste appelé Jean-Raymond Tournoux. Il publiait une fois par an un livre appelé « secrets d’état », qui donnait l’impression qu’il était caché sous la table du conseil des ministres, et qu’il entendait tout. Un jour, il rapporte un propos du Général de Gaulle, qui aurait dit de l’Italie : « c’est un pauvre pays sous un pauvre régime ». Peu après, le secrétaire général de l’Elysée reçoit un coup de fil de l’ambassadeur d’Italie, qui demande à le voir ... On reçoit donc l’ambassadeur, qui est un homme délicieux, et qui déclare « cette histoire est ridicule, je suis très embarrassé, mais vous savez ce que c’est, nos gouvernants sont vétilleux, et on m’a demandé de m’assurer que ce que M. Tournoux a rapporté est faux. Ca me paraît aller de soi, mais voilà, je dois le faire. » Le secrétaire général va donc s’en assurer auprès de De Gaulle, qui lui répond : « Naturellement que j’ai dit ça ! Qu’est-ce qu’on peut dire d’autre sur un pays pareil ? »
FBE se souvient de l’entretien suivant entre le secrétaire général de l’Elysée et l’ambassadeur d’Italie comme l’un des plus beaux exercices de patinage artistique diplomatique auquel il ait jamais assisté.

Béatrice Giblin :
La situation de géopolitique interne de l’Italie est à prendre en compte, et fait que ces escarmouches avec la France dureront jusqu’aux Européennes. Di Maio a besoin d’exister par rapport à Salvini, d’où son incursion en France. Salvini a d’ailleurs aussitôt réagi pour calmer l’affaire immédiatement.

Remarque d’une spectatrice à propos de la loi anti-casseurs :
Sur la séparation des pouvoirs. La tournure qu’a pris le débat à ce sujet était surprenante. Dans une démocratie, le pouvoir exécutif et judiciaire doivent être séparés. Le fait même qu’on s’interroge à ce sujet est incompréhensible. La question de l’efficacité et de l’utilité ont été évoquées, mais quand bien même cette loi serait efficace, elle ne serait pas légitime pour autant.

Philippe Meyer répond à cette remarque qu’il ne s’agissait pas de remettre en cause la séparation des pouvoirs, mais de savoir dans quelle mesure les propositions contenues dans ce projet de loi mettaient à mal la dite séparation.

Marc-Olivier Padis :
MOP souhaitait précisément en faire un point de son argumentation. C’est le rôle du juge judiciaire de porter un jugement sur des actions commises ; mais d’un autre côté, les Préfets ont aussi une responsabilité par rapport à la tranquillité de la vie publique. Cette responsabilité consiste à prendre des mesure par avance, permettant aux une de manifester, et aux autres de ne pas subir de dommages pendant les manifestations. Que le Préfet soit chargé de donner un avis est donc choquant. Ce devrait au minimum être la tâche du juge administratif.

Lucile Schmid :
Il y a aussi un déni de responsabilités dans cette affaire. Un certain nombre de personnes attend que cet article 2 soit déféré au Conseil Constitutionnel, c’est à dire quand ce projet de loi en sera à sa phase finale. C’est extrêmement dommage qu’il n’y ait ni au gouvernement, ni à LREM des voix pour dire que cet article est contraire à la séparation des pouvoirs. Cela ne fait que confirmer le phénomène majoritaire : les députés sont aujourd’hui entièrement dépendants du Président de la République. La concentration des pouvoirs engendrée par la coincidence du calendrier des élections fait que plus personne n’ose dire ce qu’il pense in petto. Ça c’est un vrai problème. Il faudrait se poser la question d’un autre calendrier électif pour que l’Assemblée Nationale retrouve son indépendance vis-à-vis du Président.