La grande grève / Une COP chasse l’autre / n°118

La grande grève

Introduction

806 000 manifestants dans toute la France selon le ministère de l’Intérieur, 1,5 million selon la CGT. A Paris, Rennes, Marseille, Toulouse, Bordeaux ou Lille, la mobilisation du 5 décembre contre la réforme des retraites a été très importante. Le secrétaire national du Parti Communiste Fabien Roussel note une mobilisation « dans toutes les provinces de France, mais particulièrement exceptionnelle dans les petites communes et les villes moyennes, beaucoup plus en tout cas qu’en 1995 ». Cheminots, policiers, avocats, enseignants, pompiers, routiers, personnels hospitaliers, étudiants, retraités étaient dans les cortèges. 90% de TGV et 80% de TER ont été annulés, les métros et bus bloqués.
51,15% des enseignants du primaire et 42,32% du secondaire étaient en grève, selon le ministère de l’Éducation, tandis que les syndicats, qui parlent de record historique font état de 70% des enseignants du primaire et 75% dans les collèges et lycées.
Au départ circonscrit à la seule annonce par les syndicats de la SNCF de leur grève reconductible, le mouvement a été rejoint par nombre de syndicats et de partis politiques, des Insoumis au Rassemblement national, à l’exception du parti présidentiel. Une mobilisation que 68% des Français estiment « justifiée », selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour Le Figaro et France info. Fin octobre, 57% des sondés se déclaraient opposés au mouvement.
Pour Philippe Askenazy, professeur d’économie à l’Ecole normale supérieure-Ecole d’économie de Paris et chercheur au CNRS-Centre Maurice-Halbwachs, « le gouvernement semble avoir tout fait pour entretenir le flou sur le contenu final de la réforme et sur ses intentions, ajoutant même des déclarations contradictoires sur la ‘’clause du grand-père’’, un paramètre parmi une infinité d’autres inconnus à ce jour ».
Plusieurs mouvements de grève ont été reconduits. A la RATP, il doit durer jusqu’à lundi. Le Premier ministre devrait communiquer l’architecture de la réforme en milieu de semaine prochaine. « La très grande diversité des régimes actuels, des 42 régimes de retraite actuels, ne peut pas perdurer » a rappelé vendredi Édouard Philippe. Une rencontre doit avoir lieu lundi avec l'ensemble des organisations syndicales et patronales pour « clôturer le cycle de négociations sociales et de débats avec les Français ».

Kontildondit ?

Nicolas Baverez (NB) :
Marx disait que l’Histoire se répète toujours deux fois, la première comme une tragédie, la seconde comme une farce. Ce qui est à la fois remarquable et inquiétant, c’est que 25 ans après le choc de 1995, qui a prématurément mis fin au septennat de Jacques Chirac, la France se retrouve exactement dans la même situation, et ce scénario infernal se répète, avec des manifestations de masses, une opinion favorable, un président et un gouvernement dans l’impasse, ne pouvant ni retirer ni maintenir la réforme. La dimension farcesque vient de ce qu’on arrive à ce même scénario alors même que le projet de réforme n’a pas clairement été explicité.
Comment expliquer ce fiasco ? On est forcé de constater que ce qui a été fait sur les retraites est l’inverse exact de ce qu’on fait les autres pays développés quand ils ont voulu faire des réformes de structure. Il n’y a pas de leadership fort : se sont succédé sur ce dossier M. Delevoye, le premier ministre et le président de la République, multipliant les déclarations contradictoires. Il n’y a pas non plus de pédagogie autre qu’une affirmation idéologique pour dire que le régime unique, c’est l’égalité ; on a vu en même temps se multiplier la prise en compte de situations particulières, aucune mesure précise, aucune estimation des coûts. Après deux ans et demi de travail, on ne sait toujours pas quels sont les régimes bénéficiaires et déficitaires parmi les 42, pas plus que leur démographie. Il n’y a pas de cap.
La réforme des retraites est pourtant indispensable, pour des raisons démographiques d’abord, puisque le nombre de personnes de plus de 65 ans va passer de 20 à 27 % d’ici 2050. Elle l’est ensuite parce que ce régime est déjà en déficit de 5 milliards, et sera en déficit structurel d’environ 1 point de PIB à partir de 2025, et encore, ce sont là des calculs plutôt optimistes. Enfin il est vrai que de nombreuses inégalités existent parmi ces 42 régimes, notamment entre le secteur public et le privé, avec un taux de remplacement de 50 à 52% dans le privé contre 65% dans le public (jusqu’à 88% à la RATP).
Que faudrait-il faire ? D’abord, revenir à la raison, c’est à dire partir du fait que le problème central est celui de la pérennité des retraites, et que le régler suppose de faire bouger l’âge de départ à la retraite. Il est entre 65 et 70 ans dans tous les autres pays développés, les Français ont la chance d’avoir une bonne espérance de vie, et ils partent autour 61 ans. Si on laisse le système en l’état, c’est donc l’effondrement des pensions qui guette. Il faut travailler sur l’égalité, et rapprocher le public et le privé mais de manière progressive. Il faut enfin expliquer tout cela, et l’inscrire dans une mécanique de reprise de l’économie, puisque cela dépend évidemment du marché de l’emploi, et notamment de la capacité à employer les seniors.
Que risque-t-il de se passer ? Vraisemblablement, exactement l’inverse. Je pense qu’entre le cynisme et la peur, les décisions prises seront probablement la prolongation des régimes spéciaux, avec une forme de clause du grand-père qui va les laisser perdurer une quarantaine d’années ; pas d’augmentation de l’âge de départ, ce qui laissera s’installer le déficit, et enfin on ajoutera à cela les pensions minimales à 1000 euros, la pénibilité, le problème des enseignants, on aura un système qui coûtera entre 15 et 16% du PIB alors qu’il en coûte pour le moment 14%. Je rappelle que l’une des raisons pour lesquelles la Grèce s’est retrouvée en défaut est que son système de retraites coûtait 18% de son PIB.

Lucile Schmid (LS) :
Ce qui se passe aujourd’hui est aussi une crise de confiance. On nous avait dit qu’il s’agissait d’une grève générale des transports, mais la question de la grève des enseignants (dont le taux de grévistes est historique) est venue confirmer que la défiance est totale du côté du corps professoral, alors même que l’éducation nationale est l’un des grands chantiers d’Emmanuel Macron.
Cette crise de confiance traverse l’ensemble de la société française, elle ne concerne pas seulement les bénéficiaires des régimes spéciaux, ni les milieux les moins favorisés. C’est toute la question de la réalité de l’acte de réformer, associé à une forme de justice, qui se pose aujourd’hui.
Par rapport à cela, j’ai trouvé très intéressant de lire cette semaine ce que disait Thomas Piketty : quand on avance l’argument de l’universalité pour réformer le système de retraites (aligner les régimes), il peut y avoir plusieurs types de modèle, et il faut prendre en considération des critères qui semblent largement ignorés par le gouvernement. Que nous dit ce dernier ? Qu’un système universel par points sera juste, et qu’il offrira des garanties de stabilité. Mais il ne va pas au-delà, et n’affiche pas concrètement ce qui en résultera. Du coup l’addition des peurs est totale : celles des avocats, des cadres supérieurs, des cheminots, des conducteurs de la RATP, des professeurs ... Il faut que ce gouvernement puisse afficher des principes de justice sociale, qu’on attend toujours depuis l’élection d’Emmanuel Macron.
Il y a certes des régimes spéciaux, mais doit-on pour autant considérer qu’un conducteur de train est privilégié par rapport à un cadre supérieur ? Faut-il réellement considérer que les inégalités d’espérance de vie entre les cadres supérieurs et les ouvriers, qui sont de l’ordre de 10 ans, ne doivent pas être considérées ? Différences d’espérances de vie, inégalités de retraites, inégalités salariales, ce sont toutes ces questions qui sont posées dans ce mouvement. Pourquoi les professeurs font-ils grève ? Parce que la question des primes n’est pas intégrée dans le calcul de leur retraite, que leur niveau de salaire est faible, et que les arguments de Jean-Michel Blanquer ne les rassurent pas.
Je repense à ce qui s’est passé à propos des 35 heures. La gauche estimait que c’était un élément de justice sociale et de partage du travail, or cette mesure est devenue le sparadrap du capitaine Haddock : la gauche n’est jamais parvenue à s’en débarrasser et a donné le sentiment qu’elle a créé des inégalités. M. Macron devrait prendre garde à ne pas donner le sentiment qu’il alimente la machine à inégalités.

Matthias Fekl (MF) :
Il me semble d’abord que nous sommes dans une spécificité française avec cette grève : on manifeste contre un texte dont le projet n’est pas encore publié, de leur côté les ministres défendent quelque chose qu’ils ne connaissent pas davantage, puisque les arbitrages ont lieu ce dimanche soir, et nous commentons nous-mêmes ici une actualité dont il nous manque d’importants éléments. Rien d’étonnant donc à ce qu’il s’avère difficile d’avoir un débat apaisé et serein portant sur des éléments objectifs.
Ensuite, il existe quelques raisons objectives au fait qu’autant de peurs sont créées. Il me semble que dans cette réforme comme dans d’autres, il y a d’abord eu une difficulté à poser les choses clairement. Tout le monde aujourd’hui se dit qu’il peut être perdant, c’est pourquoi le sujet est si sensible, il touche au fort sentiment de déclassement, prégnant depuis plusieurs années dans la société française. Le maître mot de toute réforme doit aujourd’hui être l’exigence de justice et d’égalité. Or, quand un pouvoir commence par supprimer l’impôt sur la fortune, tout ce qu’il entreprendra par la suite au niveau social sera quasiment impossible.
Un système qui n’intègre pas de manière claire les sujets de pénibilité ne peut pas susciter d’adhésion. Il est vrai que l’espérance de vie s’allonge en moyenne, mais les différences entre les professions demeure, comme l’a évoqué LS. Espérons donc que la semaine qui vient apportera des clarifications, et qu’elles seront de nature à rassurer.
Autre point, qui peut sembler un peu paradoxal après le précédent : il me semble que le retour de la grève comme moyen d’action, et celui des syndicats (donc des corps intermédiaires) est une assez bonne nouvelle dans le contexte. Car il était à craindre depuis la crise des Gilets Jaunes que la violence soit le seul moyen d’action « audible ». Le fait qu’on revienne à un mode de protestation plus cadré me paraît important et potentiellement positif, pour autant qu’il mène à un réel dialogue social.

Jean-Louis Bourlanges (JLB) :
Il m’est difficile en tant que parlementaire de la majorité de parler de ces choses. Je me rappelle que deux mesures étaient proposées lors de l’élection législative : l’ISF qui était plutôt bien assumée (et dont je ne pense pas comme MF qu’elle contamine directement la question des retraites) et la CSG. La CSG était très impopulaire, et dans une circonscription modérée comme la mienne, les seules personnes qui votaient résolument contre les candidats LREM et Modem étaient les personnes âgées directement concernées par l’augmentation de la CSG.
On n’a pas beaucoup parlé de la réforme des retraites, mais j’étais pour ma part conscient que la position du président était paradoxale. Dire que l’on fait une réforme systémique offre de nombreux sujets sur lesquels on peut discuter longuement, mais exclure le paramétrique est grave, car chacun sait que la priorité fondamentale était de conduire peu à peu les Français à travailler aussi longtemps que les citoyens des autres pays d’Europe. Cela avait été un effort énorme de Sarkozy, et quoi qu’on pense de son bilan, tout le monde s’accorde à dire que cette difficile réforme avait été bienvenue. Il fallait donc la continuer, même si cela coûtait cher politiquement, et que cela impliquait l’ouverture d’une grande négociation. Âge de départ, pénibilité, incitation au travail des seniors, toutes ces questions auraient dû être débattues. Or non seulement tout cela n’a pas été prévu, mais cela a même été exclus du programme du président. C’est ce qui produit la situation si délicate d’aujourd’hui.
Un article du Point analysait la façon dont les Allemands perçoivent cette réforme. A en croire l’article, nos voisins se disent que nous sommes tombés sur la tête. La manifestation est immense avant même que le projet ne soit connu ou la négociation entamée. L’amalgame politique étonne aussi beaucoup outre-Rhin : le spectre va de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Enfin sur le fond, les Allemands s’étonnent que nous ne posions pas le problème de l’âge comme central.
La priorité est bizarre, elle aurait dû être donnant-donnant : des mesures d’âge contre des mesures sociales. Ici, nous avons eu deux ans et demi de concertation, sans qu’on sache de quoi on parle. Le système de points n’est pas bête sur le papier, mais pour les Français c’est très abstrait, et donc anxiogène.
On peut enfin se demander si cet appel à l’universalité, à la centralisation, à une égalité organisée par l’état, est vraiment conforme à ce que doit être une vie sociale. Pour ma part il me semble que la retraite n’est pas simplement une question d’égalité entre les uns et les autres mais aussi un élément de cohérence dans une vie professionnelle. La retraite n’est pas détachée de la nature du métier, du niveau de formation, de salaire, de pénibilité, etc. Bien sûr que l’égalité devait être favorisée, mais je me demande si imposer le « légume unique » (comme aurait dit Jean Giraudoux) à tous les Français était raisonnable.

Nicolas Baverez :
Il y a eu deux erreurs. Le -très bon- argument de campagne ne marche pas dans la réalité : dire que le système par points règle le problème de l’équilibre financier et de la justice sociale de manière automatique. La deuxième erreur fut dans la méthode, avec l’idée que plus on étend le projet dans le temps et plus on le laisse flou, meilleures sont les chances de succès. Cette mécanique s’est renversée.
Emmanuel Macron comme Jacques Chirac va jouer son mandat sur cette grande crise, la deuxième qu’il affronte. Il le fera avec un pays beaucoup plus dégradé qu’en 1995, dont l’économie croît au maximum de 1%, le chômage demeure très élevé, et les gains de productivité nuls. Les finances publiques ne vont guère mieux, avec un taux d’endettement égal à 100% du PIB, et aucune marge financière. Quant à la société, nous avons 66 millions de Français en état de crise de nerfs. En 1997 après la dissolution, on avait une gauche prête à gouverner et qui l’a prouvé avec le gouvernement Jospin. Aujourd’hui il n’y a plus d’alternative ni à droite ni à gauche. C’est en cela que la tragédie guette. Si cette crise coûte à Emmanuel Macron son mandat, qui aurons-nous à sa place ? Le Rassemblement National.

Lucile Schmid :
Pour NB et MF, et pour les Allemands d’après le Point, faire grève avant de connaître le contenu du projet est un paradoxe français. Je crois pour ma part que ce qui explique la grève est tout ce qui s’est passé auparavant. La réforme de la SNCF, celle de l’éducation nationale, le contournement des corps intermédiaires, le fait que Delevoye reçoive longuement toutes les parties sans dévoiler les contours de la réforme, tout cela place l’incertitude davantage sur Macron et sur le gouvernement que sur la société, dont le comportement est au contraire plutôt prévisible.
Dans les autres pays de l’UE, on s’est intéressé à la place des seniors et on a traité cela comme une question de société, et pas seulement comme un problème financier. La question de la retraite comporte de multiples interrogations très concrètes pour chacun : vais-je avoir les moyens de vivre, d’être heureux quand c’est « le moment ou jamais » ? Et on traite cela d’une manière technocratique avec la question des points. Dans les pays du Nord par exemple, où la question de la place des seniors s’est posée plus tôt que chez nous pour des raisons démographiques, on a traité cela en termes humains. Nous sommes le pays de l’UE dans lequel le chômage des seniors est le plus élevé, cette question humaine de la place des seniors dans la société se retrouve aussi dans cette grève. Pour toutes ces raisons, l’argument « il l’a promis dans sa campagne, il doit donc le faire » me paraît assez faible.

Matthias Fekl :
Je pense que nous sommes au bout d’un cycle politique et de la manière dont les Français dialoguent ensemble. Il n’y a plus aucun lieu d’appropriation des débats aujourd’hui. Dans l’entreprise, le dialogue social fonctionne mal, en tous cas par rapport aux autres pays comparables, comme en Allemagne par exemple où, quelle que soit la taille de l’entreprise, les salariés ont bien plus leur mot à dire sur les questions d’orientation ou de partage de la chaleur ajoutée. Au niveau local il reste peut-être des espaces de dialogue, mais cela dépend des maires et de leur personnalité. Au niveau national, le parlement sous la 5ème République (et encore davantage pendant ce quinquennat) est devenu un lieu assez ... évanescent, dira-t-on. L’Assemblée Nationale est quasiment un théâtre d’ombres. Les débats aujourd’hui se font dans un face-à-face direct entre le président de la République et un panel de Français. En réalité le parlement n’est là que pour entériner des choix en fin de course. Ce manque de lieu d’appropriation et de vraies discussions est à mon avis une des causes du dérèglement actuel et de l’hystérisation permanente du débat public.

Jean-Louis Bourlanges :
Quand Juppé a proposé sa réforme en 1995, il faut rappeler que le mouvement initial était un soutien massif, et pas seulement de la droite, mais aussi de la CFDT et de la gauche rocardienne par exemple. Il eut une ovation impressionnante au parlement. Ce n’est qu’après, à cause d’une maladresse, que cela s’est gâté.
Ici, nous sommes vraiment dans quelque chose qui n’a pas été pris en compte : l’éclatement du corps social, sensible dès la présidentielle, avec l’impossibilité de faire fonctionner le second tour comme le moment du grand choix commun. En 2002, Chirac fait 82% au second tour, tout cela est fini désormais.
Delevoye représente une espèce de despotisme du bien commun ; quand on l’écoute parler, il semble savoir exactement ce qu’il faut faire et ce qui va se passer, mais pour l’auditeur l’impression que donne le problème des retraites est celle d’un dédale inextricable.
Sur les conséquences, je vois bien comment cela va évoluer : le gouvernement va vouloir aboutir avec sa réforme, et pour ce faire, il laissera tomber la seule chose vraiment cruciale, à savoir les mesures d’âge. Nous allons donc payer « un pognon de dingue » pour quelques mesures d’égalisation qui ne sont absolument pas prioritaires.

Philippe Meyer (PM) :
Je rappellerai pour finir que Michel Rocard avait préfacé en 1991 un livre blanc sur les retraites, dont la lecture aujourd’hui peut apprendre beaucoup, et dont on se dit que s’il avait eu des suites, nous n’en serions pas là en ce moment ...

Une COP chasse l’autre

Introduction

La Conférence des Nations unies sur les changements climatique, COP 25 (pour « conference of parties ») qui se tient du 2 au 13 décembre à Madrid - sous la présidence du Chili, qui a dû renoncer à accueillir l’événement en raison de la crise politique en cours – est la réunion des pays signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, adoptée en 1992. A l’occasion de cette 25e édition, des décisions devraient être prises sur au moins trois sujets : les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui doivent être revus à la hausse, l’aide aux pays les plus vulnérables, et l’encadrement des « marchés carbone ».
En 2015, faisant suite à la COP 21, l'accord de Paris, approuvé par 195 délégations, convenait de tout mettre en œuvre afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C au-delà des températures préindustrielles. Toutefois, la somme des contributions volontaires pour réduire les émissions domestiques à effet de serre annoncées par l’ensemble des pays ne permettait pas de contenir le réchauffement planétaire sous la barre des 3°C. En outre, si pour certains États l’accord est contraignant, pour d’autres, il n’en est rien, puisque le traité ne prévoit aucune sanction en cas de non-respect des engagements. Quatre ans plus tard, dans un compte-rendu sur le climat publié en septembre, l’ONU évoquait « une décennie perdue ». Dans son dixième rapport annuel publié le 26 novembre dernier, l’Organisation internationale rappelait que « le niveau actuel d’émissions de gaz à effet de serre est quasiment le même que ce que [nos rapports] prévoyaient pour 2020 si aucune politique n’était mise en place ». Fin novembre, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) annonçait, quant à elle, que la présence des gaz à effet de serre dans l’atmosphère avait battu de nouveaux records en 2018.
A priori, cette COP 25, ne devrait pas être l’occasion de grandes décisions. Elle devrait lancer la dynamique vers celle de Glasgow en Ecosse, l’an prochain. Très attendue, la COP 26 sera le premier grand rendez-vous dans le cycle onusien depuis la signature des accords de Paris : les États volontaires y seront appelés à présenter de nouvelles « contributions nationales », plus ambitieuses. Pour l’instant, seuls 68 pays essentiellement des pays en développement (Chili, Mexique, Argentine, Fidji, îles Marshall, notamment) sur les 197 membres de la Convention cadre des Nations unies s’y sont engagés. Aucun des principaux pollueurs (Chine, États-Unis, Inde, Canada, Australie, Brésil), à l’exception de l’Afrique du Sud, n’a encore montré qu’il était prêt à s’engager davantage dans la bataille pour du climat.

Kontildondit ?

Lucile Schmid :
Un clin d’œil, d’abord. La première COP avait eu lieu à Berlin en 1995, et Angela Merkel à l’époque ministre de l’environnement avait lancé sa carrière politique par cette COP 1.
Ce petit rappel peut nous éviter ce sentiment de dépression à l’écoute de l’introduction de PM, pendant laquelle on peut se dire qu’il est déjà trop tard et que les jeux sont faits. Aujourd’hui cette « climato-dépression » est un vrai sujet, tant nous sommes en permanence bombardés d’informations plus alarmantes les unes que les autres à propos du réchauffement climatique et de la fin de la biodiversité.
J’aimerais cependant apporter quelques éléments positifs. Le premier est qu’on voit bien qu’un sentiment international, notamment parmi les jeunes, est en train d’émerger. Il ne s’agit pas seulement de Greta Thunberg : partout, de l’Australie à la Suède en passant par l’Inde et l’Amérique latine, cet élan produit une vitalité démocratique bien rare dans les démocraties institutionnelles. Toute la question posée à ceux qui ont le pouvoir est donc : que font-ils de cet élan ? On voit bien par exemple comment António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a mis les entreprises face à leurs responsabilités. Le lien reste à faire entre économie et écologie, ou entre questions territoriales et écologie, et il dépasse infiniment la question de la négociation diplomatique.
Il est important de réaliser que la COP est certes un grand exercice diplomatique, mais qu’elle est d’abord symboliquement un moment où tous ceux qui comptent doivent se mobiliser. Il s’agit donc de rendre les choses concrètes, car les discussions d’un tel sommet peuvent sembler bien abstraites face aux problèmes évoqués en introduction. Le dérèglement est avéré : nous avons aujourd’hui un degré de plus qu’à la fin du 19ème siècle. Lorsqu’on examine la quantité de CO2 dans l’atmosphère aujourd’hui, il est le même qu’il ne l’était il y a plusieurs millions d’années, pendant une période où le niveau de la mer était 5 à 10 mètres plus haut et la température bien plus élevée.
Le problème qui se pose est donc non seulement la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi l’adaptation aux changements climatiques, et la capacité des pays les plus développés à manifester, vis-à-vis des pays déjà en grande difficulté, une forme de solidarité qui pour le moment n’existe guère.
Il s’agit donc pour cette COP 25 de réconcilier le scénario de la COP 21 parisienne avec la réalité, et de la capacité à s’adapter au changement climatique. Rappelons qu’au sein de l’UE, les pays où les catastrophes naturelles liées au changement climatique sont les plus nombreuses sont le Royaume-Uni, les Pays-Bas, et la France.

Matthias Fekl :
Je voudrais insister sur une série d’oppositions que ce sujet met en lumière.
La première d’entre elles concerne les temporalités. En effet les exigences sont instantanées, du moins leur expression sur les réseaux sociaux, tandis que la lourdeur des négociations donne l’impression d’une inertie et d’une lenteur en décalage total. Aujourd’hui, la ratification seule d’un accord commercial (sans même parler du temps de négociation préalable) met à peu près 5 ans. Or 5 ans à l’échelle de Twitter ou d’Instagram, ça ne marche pas ...
La deuxième opposition concerne la méthode. Entre des solutions qui s’expriment dans l’espace public de manière directe, voire brutale (« il faut faire cela »), et un fonctionnement de la sphère internationale, qui procède par consensus, par rapprochement des points de vue, par discussion pas à pas.
La troisième est celle des personnalités qui prennent ces problèmes en charge. Nous avons des activistes d’un côté, dont Greta Thunberg est le dernier avatar en date, et de l’autre des représentants élus des citoyens. Le paradoxe est que nous avons tous des exigences en la matière qui peuvent parfois s’exprimer de façon très virulente, tandis que quand il s’agit pour chacun de changer son propre mode de vie, les choses deviennent soudain plus compliquées ...
A partir de là, la grande question devient celle de l’intégration de tous ces enjeux aux politiques publiques. Comment les sujets environnementaux deviennent-ils une priorité politique au niveau politique international ? Et comment chacun d’entre nous, au quotidien, peut-il s’appliquer cela ? Car je ne suis pas sûr que si nous faisons notre examen de conscience individuel, nous soyons tous au rendez-vous de ce que nous proclamons par ailleurs ...
Il y a des choses qui bougent, je suis comme LS, du côté optimiste. Le fait qu’il y ait des sommets réguliers depuis 1992, suivis de décisions et de résultats, de traités, est tout de même encourageant. Nous avons évolué de manière phénoménale depuis la fin des années 1980, quand le rapport Brundtland a montré d’où nous partions. Les entreprises s’y mettent, les grandes compagnies maritimes par exemple, qui viennent de décider de ralentir leurs navires. Un mouvement irréversible est enclenché.

Jean-Louis Bourlanges :
Je crains d’être moins optimiste. Ce dossier est le coeur de l’impossibilité politique de notre temps. On voit bien que l’enjeu est vital (mais on savait cela depuis longtemps), mais surtout, on admet depuis une quinzaine d’années que cet enjeu est également proche. Toutes les analyses à moyen terme sont catastrophiques, les conséquences géopolitiques sont cauchemardesques, et les gens en sont désormais parfaitement conscients. Pour les responsables politiques, il y a donc là un défi qu’il fat absolument relever.
Le diagnostic ne met pas tout le monde d’accord cependant. Si les climatosceptiques niant le réchauffement n’existent quasiment plus, en revanche nombreux sont ceux qui contestent que ce soit un problème sur lequel nous ayions prise en tant qu’espèce. De telles forces nous dépassent-elles totalement ? Ou bien, si le règlement de ce problème passe par un changement complet de paradigme économique, ne tient-il pas de l’utopie complète ? Car on sait bien que l’ordre capitaliste mondial ne sera pas remis en cause dans les 15 ou 20 prochaines années, quels que soient nos espoirs ou nos opinions ...
Même dans un cas plus restreint, à l’échelle de l’UE par exemple, les arbitrages ne sont pas clairs. Est-on pour les énergies renouvelables ou pour l’énergie propre, ce qui n’est pas forcément la même chose, le nucléaire le prouve.
Le diagnostic économique et énergétique ne fait donc pas encore l’unanimité. C’est un enjeu mondial, et le monde tel qu’il est organisé, en 200 états souverains totalement indépendants, ne permet pas de solutionner un problème pareil. Ce qui fonctionne est multinational (dans le crime comme dans la vertu) or ici l’autorité politique est totalement fragmentée. L’Europe dans cette affaire est très marginale et compte très peu. La gravité de l’enjeu alliée à l’impuissance des acteurs politiques aboutit à une agitation, une judiciarisation très improbable (traîner en justice des gens qui n’ont pas fait assez pour combattre le réchauffement), voire parfois de la violence. Toutes ces réactions sont la conséquence de notre impuissance globale. La question qui me paraît prioritaire est donc celle des modes de gouvernement, européens d’abord puis planétaires, car nous sommes face à des défis que nous ne pouvons visiblement pas relever dans les cadres actuels.

Nicolas Baverez :
Je suis pour ma part un optimiste invétéré, et je tenterai donc d’éclairer un peu ce tableau si sombre. Les problèmes sont désormais bien connus et ont été très bien rappelés : il ne s’agit plus d’un risque mais d’une réalité, on est à présent sur une trajectoire de 3 degrés supplémentaires d’ici la fin du siècle. Les COP ont affiché beaucoup de bonnes intentions, mais pour l’instant les actions ne suivent pas, et par ailleurs les USA se sont retirés de l’accord de Paris. L’idée que la Chine, l’Inde et l’UE vont prendre le relais et mener le combat est belle sur le papier, mais il faut cependant rappeler que les émissions ont augmenté cette année de 2,6% en Chine, et de 1,7% en Inde.
Cependant, quatre idées permettent peut-être d’espérer.
Premièrement, cette COP 25 a une particularité : elle se préoccupe des océans. C’était l’angle mort notable de la COP 21, et c’est un enjeu fondamental puisque les océans absorbent 90% de la chaleur et le tiers des émissions de carbone. Nous pourrions faire des océans un bien commun de l’humanité, ce qui serait par ailleurs une manière de traiter certains autres problèmes.
Deuxièmement, nous commençons à voir les choses plus clairement, et à établir des priorités. Les chantiers sont évidemment gigantesques, mais la priorité absolue est la décarbonation, pour limiter la hausse de température. La biodiversité et le reste en découlent. On ne pourra pas tout régler d’un coup, il faut donc s’attaquer avant tout au réchauffement.
Troisièmement, ce problème a longtemps été le monopole des états, qui procèdent par taxes et règlementations. Les taxes sont nécessaires, la taxe carbone est mécaniquement intelligente, mais encore faut-il la rendre socialement acceptable. L’Europe du Nord l’a fait, la France a fait l’inverse. Le point positif est que les citoyens s’y mettent, mais c’est à présent aussi le cas des entreprises. Elles verdissaient jusqu’ici leur discours sans réellement faire grand chose, c’est très différent désormais. Pour avoir accès au consommateur, il faut intégrer les enjeux écologiques dans le processus de production, et cela change tout.
Enfin, cette Europe qui se cherche désespérément une raison d’être (cela ne peut plus être le droit et le marché) en a ici une à portée de la main, et exceptionnelle. Le double discours de la Chine et le retrait des Etats-Unis ont donné de facto à l’Europe une place à la tête de ce combat pour le climat. Les pistes sont multiples : l’Europe peut faire une taxe carbone intelligemment, elle peut faire une croissance inclusive et verte sans tomber dans la décroissance et le malthusianisme, elle peut verdir son grand marché en inventant les traités commerciaux du 21ème siècle, et établir des critères écologiques dans ses aides au développement. C’est surtout une manière pour l’Europe de ramener les citoyens vers son projet et de les unir dans un but commun.

Les brèves

Souvenirs culinaires

Matthias Fekl

"J’avais aussi prévu de parler de « Slow démocratie », mais cela ayant été fort bien fait, je recommanderai donc un livre plus léger qui m’a beaucoup plu, ce sont les souvenirs culinaires d’Auguste Escoffier. Il a commencé de manière très modeste dans l’auberge familiale, et finit par devenir chef du Ritz, l’un des premiers grands chefs internationaux au tournant du siècle. Il raconte de manière magnifique à la fois les produits du terroir et l’art de les accommoder, l’essor de la grande hôtellerie internationale, et puis de sa pensée sociale et de la manière dont il pense qu’il faut, dans l’hôtellerie et en cuisine, prendre soin des salariés. Tout cela donne un livre historique très fort, presque politique, qui vous donnera peut-être envie de lire aussi son guide culinaire, une lecture adaptée pour les fêtes. "

Billebaude n°15

Lucile Schmid

"Je voulais recommander le dernier numéro de la revue du Musée de la chasse et de la nature, qui a une revue appelée Billebaude (« billlebaude désigne la chasse spontanée et non organisée). Cette revue est un objet extraordinaire, qui mélange philosophie, les photos, l’art contemporain. Le dernier numéro s’appelle « fauve », un terme profondément ambivalent, qui renvoie à notre animalité, au lien entre celle-ci et notre humanité. Vous y trouverez à la fois un article de Michel Pastoureau sur la couleur fauve, mais aussi un merveilleux entretien avec Nastassja Martin, cette anthropologue qui a vécu une étreinte avec un ours, qui a failli lui coûter la vie et l’a profondément changée. "

Hommage à James Mc Cearney

Jean-Louis Bourlanges

"James Mc Cearney était un ami très cher, mort d’une crise cardiaque. C’était un professeur de langues à Sciences Po extrêmement apprécié de ses étudiants. Il a écrit plusieurs livres à propos du Royaume-Uni, notamment trois biographies, de Disraeli, de Gladstone et de Lloyd George, qui éclairent très largement le passé de ce grand peuple un peu en suspens aujourd’hui. Il était en train d’écrire une biographie de Walter Scott, qui aurait certainement été passionnante. C’était un garçon arrivé en France à 18 ans, issu d’une famille ouvrière de Glasgow, qui écrivait ses livres dans un français absolument impeccable et d’une rare élégance. Je voudrais saluer sa mémoire et vous inviter à lire ses livres."

Slow démocratie

Philippe Meyer

"« Ralentir » est l’idée qui sous-tend ce livre. David Djaïz part de la constatation devrait plutôt être appelée hyper-mondialisation, parce que si elle a réduit les inégalités entre les pays, elle les a aggravées au sein des pays. Parce que les conséquences de cette hyper-mondialisation n’ont pas été régulées, et c’est cette absence de régulation qui rendrait toute sa légitimité à la nation, pas dans le sens où l’extrême-droite entend ce terme, mais une nation dans laquelle la citoyenneté précède la nationalité. Son propos doit nous inciter à revenir à la subsidiarité chère à Jacques Delors, donc à réhabiliter la puissance publique, à développer de toutes les manières possibles une démocratie plus directe, à associer les citoyens, à reconnaître qu’on ne change pas une société par décret. Bref, la nation est pour David Djaïz la seule forme politique dans laquelle on peut faire coexister les libertés civiles avec la solidarité, et c’est un sujet trop important pour le laisser à l’extrême-droite."